Parmi les pays qui investissent en France, il y en a un dont on parle et reparle beaucoup. D’une superficie égale à elle de la Corse ou la région Ile-de-France, le Qatar a su depuis longtemps tisser des liens extrêmement serrés avec les dirigeants français et toute la classe politique. Foot, immobilier, hôtels de luxes parisiens, et plus récemment, banlieues. Le Qatar joue sur plusieurs tableaux.

Certains s’en réjouissent, d’autres s’en méfient. Pourquoi le Qatar investit-il en France ? Pourquoi s’intéresse-t-il à notre cher pays ? Pour tenter de répondre à ces questions, après de longues recherches sur le pays ainsi que sur le sujet, j’entre en contact avec Nabil Ennasri,  un spécialiste du pays, auteur d’un mémoire de DEA sur le Qatar. Ce pays, Nabil le connaît comme sa poche. Il suit l’affaire depuis le début.

« Le Qatar est un pays très riche et donc très vulnérable. Il est dans une situation géopolitique extrêmement tendue. Coincé entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, il essaie de tisser des relations les plus solides possibles avec des pays qui pèsent sur la scène internationale, comme la France par exemple. Ce qu’il faut savoir, c’est que le Qatar n’investit pas qu’en France. Cette dernière ne représente qu’un faible pourcentage de leurs investissements à l’étranger. En ce qui concerne les banlieues, la polémique n’a pas lieu d’être. Ce n’est pas le Qatar qui est venu frapper à la porte des banlieues. Ce sont les banlieues par le biais d’élus qui sont partis frapper à la porte du Qatar. »

Genèse

A l’origine du projet, une dizaine d’élus de banlieue issus de tous bords politiques. Réunis au sein d’une association, l’ANELD (Association nationale des élus locaux pour la diversité), ils se rendent à Doha, en novembre 2011, pour demander au Qatar d’investir dans les quartiers populaires. Chômage, insécurité, délinquance : les banlieues sont les grandes oubliées du gouvernement. Alors autant demander de l’argent là où il y en a. Une démarche accueillie favorablement par l’Emir Al-Thani qui propose initialement 50 millions d’euros pour financer des projets portés par des habitants issus des quartiers populaires.

En réalité, cette association est née en 2009, peu de temps après l’élection du premier président noir des Etats-Unis, Barack Obama. Ambition déclarée du collectif : convertir la France au « pragmatisme anglo-saxon sur l’intégration des minorités. » L’association multiplie les voyages d’études à l’étranger : Canada, Suède, Maroc, États-Unis. C’est de là qu’est née la genèse du projet.

Fouad Sari fait partie de ces élus qui se sont rendus au Qatar pour solliciter l’Émir Al-Thani. « L’Émir a tout de suite été séduit par la création d’un fonds d’investissement pour les banlieues. Ce qui l’a intéressé, ce sont ces petits créateurs d’entreprises qui avaient des idées mais qui rencontraient des difficultés pour financer leurs projets. On a été très flattés, très touchés. On a été reçus comme des rois. Et s’il nous a reçus, je crois que c’est parce qu’on a réussi à le sensibiliser. Il y a eu un coup de cœur, on est parti le rencontrer dans le but de lui expliquer qu’en banlieue il y avait des « zizou » du commerce, du marketing, des « zizou » dans tous les domaines mais qu’il faut les aider. Il a tout de suite été emballé par le projet. En France on galère à obtenir un simple rendez-vous avec un député, alors qu’avec le Qatar on a directement rencontrer l’Émir. »

Le conte de fée est perturbé par moultes rebondissements. Le projet suscite une immense polémique au sein du pays : avec Marine Le Pen, l’extrême-droite se déchaîne et estime que l’Emirat n’investit que pour des raisons communautaires, dans des banlieues où vivent de nombreux musulmans. En pleine campagne électorale, Nicolas Sarkozy temporise. Le projet est gelé. Arrivent ensuite les élections. Le nouveau gouvernement s’empare de l’histoire en arrivant au pouvoir.

Le partage du gâteau

Les socialistes, tout comme les jeunes issus des quartiers populaires, ne sont pas insensibles aux pétrodollars du pays arabe. Mais la polémique et les questions autour de l’investissement et la présence du Qatar en France est toujours présente. Le Qatar pourra finalement investir dans les banlieues françaises. Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a en effet approuvé la création en septembre dernier d’un fonds qatari destiné a financer des projets d’entrepreneurs de quartiers populaires. Somme annoncée : 100 millions d’euros. Mais contrairement au projet initial, le fonds sera élargi à toutes les « zones françaises paupérisées », rurales et urbaines. Et l’Etat aura finalement des parts dans le capital du fonds, histoire d’assurer un minimum de contrôle.

Côté banlieue, dès l’annonce en janvier dernier, le projet suscite un engouement immense. C’est un espoir pour plusieurs jeunes. « On est passés du rêve américain au rêve qatari… » souligne Fouad Sari. A sa création, la page Facebook du collectif est pleine de messages de jeunes proposant leurs services ou leur CV. Le projet révèle rapidement une réelle demande de la part de ces jeunes qui aspirent à devenir auto-entrepreneurs. Les élus de l’ANELD reçoivent encore a ce jour des centaines de dossiers de porteurs de projets et des piles de candidatures de toute la France. Mais ils ne disposent d’aucune information à leur transmettre.

« Que l’argent vienne du Qatar ou de la Roumanie, j’en ai rien à faire tant qu’on m’aide »

Pour certains porteurs de projets, tout est presque prêt, il ne manque plus que l’argent. C’est le cas de Salim. Cet habitant de Clichy-sous-Bois a pour projet d’ouvrir Le Nil, un restau-péniche sur les quais de Seine à Paris.  » C’est un ami qui m’en a parlé, je suis un jeune de banlieue et j’aspire à être auto-entrepreneur. Je répondais à tous les critères. Immédiatement j’ai monté un dossier, j’ai pris contact avec l’ambassade du Qatar. Depuis longtemps, j’avais l’envie d’ouvrir un restau-péniche dans Paris, pour que des familles de banlieue puissent se retrouver dans un autre décor que leur quartier. C’est un projet qui me tient à coeur, mais qui a un sacré coût. C’est pour cela que dès l’annonce du déblocage du fonds, j’étais comme un gosse ! J’ai un dossier complet, avec un un tableau prévisionnel, j’ai même déjà le logo. Tout est prêt il ne manque que l’argent. »

Salim, comme d’autres porteurs de projets, se demande pourquoi ça coince encore.  » Je ne comprends pas toute la polémique qu’il y a eu. Je suis sûr que s’il aurait été question d’un autre pays, on aurait déjà eu les sous, le problème c’est la banlieue. Mais nous ici, on galère, les banques nous refusent les crédits, alors dès que l’on a un moyen de s’en sortir, ben on le prend ! Que ce soit clair : moi l’argent, qu’il vienne du Qatar ou de la Roumanie j’en ai rien faire tant qu’on m’aide… »

« Le problème c’est la lutte des classes »

Pour Nabil Ennasri, si le Qatar investit en France c’est avant tout pour des questions de business. Pour lui, le Qatar n’investit sans aucune arrière-pensée politique.  » C’est un intérêt économique, comme il l’a dans le luxe, dans l’immobilier ou dans le sport. Cela lui permet de renforcer son prestige. Si le Qatar perçoit qu’il y a davantage à perdre qu’à gagner en investissant en France, non seulement ils se retirera, mais surtout d’autres pays européens accueilleront ces fonds avec grand intérêt et beaucoup de plaisir. Le Qatar n’est pas là pour financer les mosquées, ou transformer les églises en minarets mais bien pour densifier son rapport avec la France dans le domaine économique. »

Même son de cloche pour Fouad Sari. « Il y a dans les quartiers un vivier de gens qui ont des idées, des compétences, des projets mais qui ne trouvent personne pour les accompagner. L’Etat a déserté et les banques refusent systématiquement de s’engager à leurs côtés. Ce n’est pas parce qu’il y a des musulmans dans les quartiers que le Qatar est venu, c’est parce qu’il y a des projets. Ce projet révèle réellement qu’il y a une énorme demande, une énorme attente, il y a une envie de créer son entreprise. C’est fini le temps où les jeunes voulaient être footballeur ou chanteur, je suis moi-même professeur dans un collège, et dès le début de l’année je demande à mes élèves ce qu’ils souhaitent faire comme métier plus tard. Plusieurs me répondent  « je veux être patron, je veux créer mon entreprise ». Ça fait rêver et on les a fait rêver avec ce projet. » Salim, lui n’est pas prêt d’abandonner : «  Tant qu’on me dit pas Salim, c’était une blague, c’était un poisson d’avril, il n’y a pas d’argent, moi je ne lâcherai pas. »

Aujourd’hui on parle même d’un fonds d’au moins 300 millions d’euros à destination des PME françaises. Un fonds qui se trouverait déjà dans les comptes de l’ambassade du Qatar en France. Mais pourquoi le train en marche est-il tombé en panne ? Ce fonds serait le bienvenu dans des quartiers où le taux de chômage est souvent proche des 50%. Aujourd’hui en banlieue, une entreprise sur deux disparaît au bout de trois ans, faute de moyens.

Fouad Sari ainsi que les élus de l’ANELD restent confiant et espèrent que le projet verra prochainement le jour. Ils regrettent tout de même la polémique. « Le problème c’est la lutte des classes. On est toujours là à se battre et se justifier dès qu’on essaie d’aider la banlieue. Si j’avais une question à faire un passer au gouvernement ainsi qu’a toute la classe politique française, ce serait de savoir s’ils sont réellement prêts à voir émerger des jeunes issus des quartiers populaires. Est-ce que la banlieue est une priorité pour eux ? Si nous, en tant que simple élus, on a réussi à faire ce qu’on fait, aller demander de l’aide à un pays étranger avec de l’ambition, pourquoi eux ne font rien ? On se pose des questions, on veut du changement. N’ayez pas peur de la banlieue, la banlieue fait partie de la République. Tiens j’ai même un slogan pour eux :  « La banlieue : c’est maintenant. »

Mohamed Mezerai

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