A La veille du Comité Interministériel des Villes à Matignon, le premier ministre, accompagné du ministre de la ville François Lamy,  s’est baladé à Clichy-Sous-Bois. Une visite millimétrée. 

Il faut suivre le mouvement. Comme des moutons. Ne poser aucune question, ne pas se demander si tout cela est normal, ne surtout pas se dire si c’est la vie ou non. Il faut juste suivre le troupeau enchaîné  et se taire. Regarder le spectacle donné, les personnages mouvants, les entrants, les sortants, les figurants. Un déplacement de ministre se vit comme, soit comme un combat, soit comme une pièce tragi-comique. On allait pas se battre, alors on les a laissés nous porter.

Matignon a affrété deux cars pour les journalistes. Les journalistes s’engouffrent. Ils chargent les caméras, les appareils photos, les escabeaux, les micros, les batteries, les projecteurs, les mandarines, les lumières supplémentaires, les stylos décapuchonnés, les cahiers à peine griffonnés. Le matériel s’encastre dans les portants du car. Et le car démarre. Paris court derrière les vitres. Le soleil s’est posé sur tous les toits. Place d’Italie. Les enfants, qui passent, regardent les journalistes. Les journalistes regardent, à travers la vitre, les enfants qui passent. C’est le bon temps des colonies. Prochain arrêt : Clichy-sous-Bois, deux heures d’arrêt.

Les cars s’arrêtent. Les contrôleurs sont passés dans les rangs, ils ont distribué des badges plastifiés. Les voyageurs d’un jour descendent de voiture. Tout le monde décharge les kilos d’objectifs. Et un petit attroupement, un peu plus loin, commence à s’impatienter. « Le PM arrive de ce côté, mettez-vous sur le trottoir pour avoir l’image quand il descend de voiture », charge un conseiller. Les télés s’exécutent sans chômer. Derrière, la cité de la Forestière baigne dans un tas de gravas. Les immeubles pourraves sont en cours de destruction. Seules quelques familles, pas encore relogées, sont encore là. De leurs fenêtres, elles regardent.

Quelques habitants stagnent, près de l’arrêt de bus. Ils n’osent pas trop s’avancer. Ils regardent de loin. « On a été prévenu qu’il venait ce matin, alors on est venu », coupe un monsieur. Il reprend : « Mais pourquoi ne vient-il pas au Chêne Pointu ? » Sa voisine détaille : « Le Chêne Pointu, c’est là, un peu plus bas, ils auraient du venir chez nous, plutôt qu’ici. » Le premier reprend : « Nos charges locatives sont énormes, et pourtant les ascenseurs ne fonctionnent pas. On est des pauvres. » Il insiste sur le mot « pauvre ». « Mais tout ça, c’est pour le buzz. » Quand il dit « tout ça », il pointe les journalistes, occupés à capturer le cortège d’Ayrault qui débarque. Les cinq voitures freinent. Il sort.

Le premier ministre serre des mains. Au préfet, dans sa belle tenue de bal. Au sénateur, au maire, aux élus. Un habitant l’interpelle, un peu plus loin : « Venez au Chêne Pointu ». Le maire interrompt : « Mais monsieur le premier ministre connaît parfaitement les problèmes du Chêne Pointu. » Communication maîtrisée  Le vent porte le troupeau dans une rue bloquée. Sur deux bâtiments, deux snipers guettent, jumelles au point, les pas de coté. Des ouvriers travaillent. Le premier ministre les salue de loin. Et il s’engouffre dans un bâtiment de belle allure, tout fraîchement construit. « Les habitants de la Forestière sont, en partie, relogés ici », signale le maire, tout fier. Une caméra s’introduit avec eux. Les autres, non autorisées, doivent attendre devant. Une fille, poupée maquillée, vernis fluo, peut-être lycéenne : « Avant de faire des nouveaux bâtiments, ils devraient rénover les anciens. » Mais personne ne l’écoute.

Un conseiller place les caméras en arc-de-cercle. Il dit : « Toi, ici. Toi, installe-toi là. Le premier ministre va venir comme ça. Il se mettra ici. » Les rédactrices, juste armées de stylos et cahiers, s’accroupissent. Et puis, au dernier moment, un conseiller dit qu’il sort « de l’autre coté ». Panique sur les pavés. La presse court sur les traces de Jean Marc Ayrault. Les photographes le saisissent dans tous les angles. Un talon s’enfonce dans une phalange. Un journaliste trébuche. Chute. Des jeunes qui admirent l’embrouille générale s’éclatent de rire. Ils reprennent du sérieux et avouent « ne demander que du travail ». Mais personne ne les écoute.

Au centre social, une table a été dressée. Des nappes jaunes. Quelques bouteilles d’eau. Et des représentants d’associations venus raconter le quotidien du quartier. Ecouter les propositions du premier ministre. Mais, encore une fois, le discours reste rodé, jamais sorti du terrain politique habituel. Pas une phrase de trop. Juste des mots : « espoir », « cohésion », « concertation ». Ayrault dit et répète : « Si on est venu, aujourd’hui, avec François Lamy, c’est pour montrer qu’on a une volonté politique de relancer la politique de la ville. » Le disque se rejoue, pas encore rayé : « espoir », « cohésion », « concertation ». Il dit aussi : « Il faut secouer le cocotier, mais ce n’est pas facile. » Mohamed Mechmache, président d’AC LE FEU, chauffe sa voix, ses yeux dans ceux d’Ayrault : « On nous a promis un changement, on l’attend ». Cette fois, on l’a entendu.

Devant le centre, le troupeau s’ébranle encore. Une journaliste crie, presque par terre. Les photographes volent à la volée des images du premier. Ayrault dit quelques mots, et puis s’en va. Une journaliste au micro rouge s’enrage contre « le service de sécurité très violent qui empêche de tourner des sons. » Un autre, micro jaune, avoue : « S’ils font un déplacement et qu’on peut pas poser de questions, autant qu’on vienne pas. » Avant qu’Ayrault remonte en voiture, un homme l’arrête : « Je suis malien. Et je veux vous dire merci, merci à la France, de soutenir ainsi le Mali. Je suis vraiment ému. » Lui, joue pas la comédie.

Dernière escale, dernier arrêt. Le lycée Alfred Nobel, un bâtiment grisâtre aux grilles closes. Avec des élèves, pas peu fiers que toutes les télés viennent les voir. A l’intérieur, la sonnerie crie. C’est la fin des cours. Un peu de mouvement dans les couloirs, les portes se battent. Et au bout, une salle. Des élèves, écrivains d’un temps, présentent le livre « Ce jour-là » au premier ministre, installé face à eux. Il écoute le projet : un écrivain en résidence, Tanguy Viel, pendant un an, collabore avec une vingtaine d’élèves pour écrire un livre sur leur ville, Clichy-sous-Bois. Des élèves se lèvent, lisent quelques extraits du livre, édité « chez un éditeur nantais », glisse fièrement Ayrault. Puis, il dit, coupé du discours du jour, un peu plus libre de ses mots : « Il n’y a pas d’écriture sans inquiétude. »

Les élèves font des photos. Une dernière, puis une dernière, puis la dernière, pour de vrai. Le premier ministre pose, sourit à peine. Ils le remercient, il les remercie. Dans la cour, le cortège aux voitures brillantes et teintées s’apprête à repartir, d’un bond, vers Paris. Juste le temps, une dernière fois, promis, de faire une photo. Juste le temps de couper tous les micros, de ranger les caméras. Et de vivre un vrai instant.

 

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah.

 

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