« Fais attention ! Et appelle moi dès que tu as fini. Je viendrais te chercher ». Cette mère d’élève ne laisse pas son fils pour une ou deux semaines mais seulement pour la journée. Son adolescent vient à peine de faire sa rentrée en classe de seconde. C’est journée d’école, tout ce qui a de plus banal qui commence. La scène se déroule ce mardi 18 septembre devant le lycée Paul-Eluard de Saint-Denis (93). La mère s’inquiète pour son fils après l’agression d’un élève le 12 septembre à l’intérieur de l’établissement. Depuis, elle l’accompagne quotidiennement. Devant la porte d’entrée, une équipe de sécurité de cinq hommes habillés en noir, envoyée par le rectorat de Créteil, surveille les allées et venues. Quelques jours après la rentrée scolaire, parents, enseignants, élèves et personnel vivent dans la peur quotidienne de ces violences devenues trop fréquentes, banalisées.

Droit de retrait et violences depuis des mois

Il est environ 10 heures mercredi 12 septembre. Nous sommes une semaine seulement après la rentrée des classes. Un groupe de jeunes escalade les grilles du lycée Paul-Eluard et s’introduisent dans la cour, armés de couteaux, d’un marteau et de bombes lacrymogène. Une bagarre éclate. Un élève de 16 ans est blessé. Il souffre de blessures au visage. Deux jours plus tard, vendredi 14 septembre, une agression similaire se produit. Ils sont cette fois-ci quatre à également pénétrer dans l’établissement en escaladant les grilles agressant un élève de première en l’aspergeant de gaz lacrymogène.

Pour protester contre ce nouvel acte de violence grave, une quarantaine de personnels ont décidé le lendemain d’exercer leur droit de retrait et cesser de travailler réclamant « l’égalité de traitement des établissements ». « Au printemps dernier, nous avions dû interrompre notre travail pour dénoncer un contexte de violence et des moyens insuffisants, ont rappelé les personnels dans leur communiqué. Pourquoi nos élèves et le personnel n’ont ils pas le droit aux mêmes conditions de sérénité et de sécurité que ceux d’autres lycées« , demandent-ils. Depuis mardi 19 septembre, le personnel a repris le travail.

Déjà en mars et en avril 2017, les professeurs avaient exercé leur droit de retrait à la suite d’un certain nombre de violences survenues à l’intérieur de l’établissement. Le 21 mars 2017, un parpaing avait été projeté à travers la vitre d’une salle de classe blessant légèrement un professeur et une élève ; deux jours plus tard, ce sont trois jeunes extérieurs à l’établissement qui avaient pénétré dans le lycée gazant des élèves avec une bombe lacrymogène.

Faut-il attendre un drame pour que les autorités se bougent ?

Pour Malika Chemmah, 44 ans, mère de deux élèves au lycée Paul-Eluard et présidente de la FCPE de l’établissement, leurs appels n’ont pas été pris au sérieux par le rectorat de Créteil. « Depuis l’année dernière, nous demandons que des mesures de sécurité soient prises pour protéger nos enfants mais aussi pour les professeurs et le personnel administratif. Faut-il attendre un drame pour que les autorités bougent ? La situation, est grave, elle est même alarmante. Nous avons peur pour nos enfants quand ils partent au lycée ».

Les élèves aussi s’inquiètent de ce mauvais climat qui compromet leur scolarité et leur réussite. Ceux avec qui nous avons échangé ont la boule au ventre. Adel*, 17 ans, est élève en première ES. Ce n’est pas la première fois qu’il assiste à une bagarre mais ce qui le surprend c’est que celle-ci ait eu lieu à l’intérieur du lycée. « On a l’habitude de voir des scènes de violences dans les stades, dans les manifestations ou dans la rue. Mais une bagarre avec des couteaux, des marteaux et du gaz lacrymogène dans la cour de Paul-Eluard, ça m’inquiète. Ça peut nous arriver à nous tous ».

Je suis toujours sous le choc. Ils étaient très violents. J’avais l’impression de regarder un film avec leurs armes. Vraiment, j’ai peur.

Inés*, lycéenne de 16 ans, en classe de seconde, insiste pour garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. « J’ai peur d’aller seule au lycée. C’est ma première année ici et depuis que j’ai vu la scène d’agression devant moi, je suis toujours sous le choc. Ils étaient très violents. J’avais l’impression de regarder un film, avec leurs armes et leur façon de s’habiller. Vraiment, j’ai peur. J’ai demandé à ma mère de m’accompagner et de venir me chercher. Je ne suis pas la seule dans ce cas ».

On a alerté sur les conditions d’enseignement, de travail et sur les lycéens. On n’a jamais obtenu de réponse concrète

Agnès Renaud, enseignante de français au lycée Paul-Eluard, affirme avoir alerté les autorités à plusieurs reprises lors des différentes réunions l’an passé. Elle estime aujourd’hui que ses élèves et le personnel sont abandonnés par l’État « Cet état de fait c’est quand même le symptôme de la faillite de l’État à plusieurs niveaux. On a alerté sur les conditions d’enseignement, de travail et sur les lycéens. On n’a jamais obtenu de réponse concrète. Aujourd’hui, le problème dépasse l’administration du lycée. Tous les acteurs doivent s’y mettre ».

Contacté par téléphone, le rectorat de Créteil nous informe qu’ « après une réunion lundi 17 septembre avec les acteurs politiques de la ville, la préfecture, l’administration du lycée pour régler en urgence la situation de l’insécurité au niveau du lycée, décision a été prise de mettre en place un médiateur et de déployer plus d’effectifs pour la sécurité », sans plus de précision. Insuffisant pour les enseignants qui réclament le recrutement de 4 assistants d’éducation à temps plein pour venir épauler les 8 surveillants en poste actuellement pour les 1 900 élèves que compte le lycée. Valérie Pécresse, présidente de la région d’Île-de France, a de son côté promis « des travaux en urgence pour rehausser les grilles qui vont démarrer ce lundi 24 septembre ».

Kab NIANG

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