Devant la porte du ministère de l’Education nationale, ce samedi sur les coups de 14 heures, les manifestants peinent à se faire entendre. Les « stylos rouges », ces professeurs en colère qui militent pour une revalorisation de leur travail, sont venus en nombre, mais visiblement pas assez pour bloquer la rue de Grenelle. La première confusion vient du lieu de rassemblement : la voie devant le ministère étant bloquée par des travaux, les professeurs sont cantonnés deux rues plus loin, contre un trottoir et quelques barrières de chantier.

Mais ce n’est pas le seul problème. Pour faire trembler la rue de Grenelle, il aurait fallu que les stylos rouges se mobilisent en masse. Ce qui est loin d’être le cas, comme le déplore Véronique, une enseignante de CM1 venue du Loiret pour l’occasion. « Je suis extrêmement déçue et même découragée, se désole une des rares provinciales à avoir fait le déplacement. Les gens se plaignent beaucoup, râlent beaucoup mais finalement les enseignants n’agissent pas beaucoup. » Elle poursuit et nuance : si ses confrères et consoeurs ont parfois du mal à se mobiliser, c’est aussi parce qu’ils savent leur cause impopulaire dans l’opinion publique. « Dès que ça ne va pas, on nous dit ‘vous avez les vacances, vous n’avez pas beaucoup d’heures’… On en prend plein la figure régulièrement, c’est difficile de se montrer. »   

Même les grèves sont de moins en moins suivies. « De toute manière, cela ne sert à rien de faire grève en primaire, regrette Véronique. Vu que l’accueil minimum est assuré, on n’embête personne ». Environ une demi-heure après le début de la manifestation, les rangs ont certes doublés mais la mobilisation reste timide, et beaucoup se demandent si des manifestants ne se sont pas joints aux gilets jaunes, mobilisés le même jour. « On est bien loin des 600 personnes attendues », entend-on ici et là. Des voix s’interrogent à haute voix : ne faut-il pas rejoindre le cortège principal, celui de la grande grève du jour ?

La réforme du bac, les suppressions de poste et les salaires dans le viseur

La mobilisation du jour se voulait pourtant originale, différente des grèves habituelles. Avec une population hétéroclite et des revendications assez larges. Dans leur viseur, les réformes, comme celle du baccalauréat prévue en 2021, à en croire Dominique, professeure dans un lycée de Longjumeau (Essonne : « Le problème du nouveau bac, c’est qu’il n’y aura plus que deux matières en examen, et que le reste dépendra surtout de la réputation du lycée. Dans mon lycée, avant, les élèves pouvaient se vanter en disant j’ai eu 14 ou 15 au bac, car c’était un examen national. Maintenant on va leur dire ‘Oui tu as au 14, mais c’est le bac de Longjumeau.’ On va s’intéresser à l’image du lycée et non plus à ses résultats. »

Au-delà des réformes, c’est l’étiolement de l’égalité des chances qui inquiète les enseignants. Ceux-ci évoquent en vrac tous les postes qu’on leur supprime, de RASED, d’AVS, d’ATSEM… Autant de sigles un peu barbares qui désignent ces chaînons indispensables, qui aux élèves en situation de handicap, qui aux élèves de maternelle ou aux élèves en difficulté. « Avant nous avions un RASED avec 6 ou 7 personnes, à présent il ne reste que la psychologue scolaire », explique Mariam, enseignante en CP dans les Yvelines. Le RASED est parfois totalement supprimé comme ce fut le cas pour Emmanuelle, qui enseigne en CE2 à Maison Alfort. « Et encore, je suis dans un quartier favorisé ! », ironise-t-elle.

Si les écoles classées comme REP ou REP+ disposent de plus d’aides – notamment les écoles en REP¨+ qui ont des CP à 12 – les problèmes sont les mêmes, surtout sur l’accueil des élèves handicapés. En maternelle, il n’y a pas de structure pouvant accueillir des élèves autistes par exemple. « Lorsque l’on se retrouve dans une classe à 30 avec un élève qui ne communique pas, qui crie et qui tape, la classe devient bien plus difficile, aussi bien pour cet élève que pour les autres », regrette Dominique, enseignante en grande section de maternelle dans les Yvelines. Même son de cloche pour Mariam, qui a parfois des élèves qui ne sont pas dans un environnement adapté et qui sont retirés de la classe seulement trois quarts d’heure par jour.

Ceux qui payent les conséquences, ce sont ceux qui sont au bas de l’échelle sociale

Et puis, il y a les problèmes de budget. Les enseignants racontent leur début de carrière « à 1380 euros par mois, lorsqu’on paye ses cotisations », dixit Arnaud, professeur de français et coordinateur des stylos rouges pour l’académie de Créteil. « Les salaires sont gelés depuis neuf ans et l’inflation a pris 10% sur la même période, poursuit-il. L’Etat nous abandonne sur nos salaires et sur nos conditions de travail. Nous, nous demandons 1000 euros de plus par mois. »

La manifestation s’est finalement terminée à 16 heures, soit une heure avant l’heure annoncée. Mariam ironise : pour elle, c’est une question de caractère de l’enseignant, rien de plus. « L’enseignant est bon élève, sourit-elle. L’esprit de rébellion est assez rare chez les enseignants, il y a beaucoup de gens qui subissent. » Dominique acquiesce et ajoute : « Je pense qu’il y a la peur, pas de la révocation, mais d’être pointé du doigt. » Pour Nadia, interrogée en marge de la manifestation, la mobilisation extérieure était une alternative préférable aux manifestations : « Je pense que les grèves d’une journée n’ont plus d’impact sur le gouvernement. Il nous faut trouver d’autres moyens d’expression. Les rassemblements en dehors de nos heures de travail sont un bon commencement pour faire connaître le mouvement et fédérer. »

Si la mobilisation du jour n’a pas été un succès, l’envie de se battre pour l’avenir de l’école n’a visiblement pas faibli d’un iota chez les enseignants. Qui revendiquent même une lutte plus large, dixit Dominique : « On sait que c’est le démantèlement de l’école publique comme celui de tout le service public. Dans tous les secteurs, ça ne va pas et ceux qui en payent les conséquences, ce sont ceux qui sont au bas de l’échelle sociale. Les gens qui ont plus de moyens enlèveront leurs enfants du public et iront dans le privé. L’école publique pourrait devenir une espèce de fantôme. »

Paloma VALLECILLO

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