Samedi dernier à 13h30, la place de la Basilique à Saint-Denis (93) accueillait la plus grande dictée de France. Une initative mise en place il y a deux ans par Rachid Santaki (écrivain) et Abdellah Boudour (président de l’association « Force des Mixités ») et qui rencontre toujours un franc succès.
Sous une chaleur écrasante, des tables et des chaises à perte de vue, une distribution de copies et de stylos  aux allures  d’examens. Et pourtant, plus d’un  millier de personnes : enfants, parents, jeunes, groupes associatifs, habitants, profs et politiques se sont réunis ce samedi 30 mai pour participer à la dictée des cités.
La place est noire de monde, un parfum d’été, l’ambiance est festive, la bonne humeur est présente, on entend déjà certains  ados se  questionner sur le texte !  Nacera,  en  classe  de troisième, pense qu’il s’agira d’un extrait  du texte « de Bel-Ami de Maupassant,  parce qu’on l’a étudié en classe pour le Brevet ». Achraf, étudiant en Terminale Scientifique a une autre idée : « Je pense qu’on aura un texte, d’Apollinaire, de Flaubert ou de Zola, les profs aiment trop faire des interros sur ces auteurs ».
La dictée des cités : réunir les individus autour des mots
DSC07398A la tête du concept de la « dictée des cités  », deux amis : le célèbre écrivain Rachid Santaki, auteur de Des Chiffres et des Litres (Alvik Editions – 2012),  Les Anges s’habillent en caillera (Avik Editions – 2011)  et Abdellah Boudour, président de l’association « Force des Mixités ». Les deux amis se sont rencontrés et réunis autour de la construction de projets, dont un sur la thématique de l’éducation, plus  précisément autour de la langue française,  son usage, ses effets et sa maîtrise. C’est ainsi que la première dictée des cités a eu lieu le 31 août 2013. Depuis, cette date, les auteurs de ce concept, accompagnés d’une équipe de bénévoles, ont propagé l’action sur l’ensemble du territoire : Lyon, Marseille,  Nantes,  Strasbourg… Une dictée mobile et fédératrice qui réunie les individus autour des mots.
Après une présentation des consignes par les organisateurs, chaque personne doit inscrire le numéro de sa catégorie : 1 pour les primaires, 2 pour les collégiens, 3 pour les lycéens, 4 pour les adultes et 5 pour les associations. Une dernière vérification ; chaque participant possède bien une feuille, un stylo, et tout le monde regagne sa place. C’est le début de la dictée, un extrait du livre Quatre-vingt-treize de Victor Hugo : « Tout était plein de fleurs ; on avait autour de soi une tremblante muraille de branches d’où tombait la charmante fraîcheur des feuilles ; des rayons de soleil trouaient çà et là ces ténèbres vertes ; à terre, le glaïeul, la flambe des marais, le narcisse des prés, la génotte, cette petite fleur qui annonce le beau temps.»
Tous les regards sont rivés sur les copies, la concentration est au maximum et les participants jouent le jeu. Les groupes associatifs se soutiennent entre eux, Karim adhérent au sein  de l’association le B.A-BA (Besoin d’Agir en Banlieue), demande en catimini à Massinissa : « s’il y a un ou deux L à prunelliers …», tandis qu’Erwan acquiesce discrètement lors qu’Aly lui montre le mot « d’arrête-bœufs », qui porte bien un « s ». D’autres tentent de finir la dictée, « pas facile quand on a bébé qui vous réclame toutes les cinq minutes », confie une maman toute souriante. D’autres enfants rédigent la dictée par terre, debout, sur un bout de table mais tous motivés ! Après 30 minutes de lecture, enfin la récréation
« C’est la même langue, dans les murs et hors les murs ce n’est pas pareil »
Les correcteurs se ruent vers les tables pour corriger les copies, les responsables associatifs et leurs adhérents distribuent la collation, les gens discutent et échangent sur le texte et d’autres font connaissance. Amina, Dionysienne, étudiante en Licence d’histoire, 21 ans confie : « J’ai buggé sur certains mots, ce n’était pas évident, je pense que j’ai fait des fautes. Mais, je suis venue pour passer un bon moment avec mes copines, nous avons vu sur Facebook, qu’il y avait une Dictée à Saint-Denis et nous sommes venues, et c’est drôle de voir comment un exercice qui  paraît  simple  comme  la  dictée  demande  autant  de concentration et de réflexion ». Autre témoignage, celui de Khadija, originaire de Stains, 52 ans, ancienne prof d’anglais et mère de trois enfants, nous dit avec autodérision : « Dès que j’ai entendu dire qu’il y avait une dictée, pour les 5-99 ans, je me suis dit qu’il fallait absolument y participer, pour me tester et pour voir si mes enfants ont le niveau, indirectement, et là, vu le texte, je comprends pourquoi je boycottais les cours de français ».
Les  récompenses sont  nombreuses  et  font  tourner  la  tête : PS4, une somme de 2000 euros pour l’association qui sera vainqueur, une TV grand écran, le maillot collector de Laurent Blanc, des Tee-Shirt de Mac Tayer, des Baskets, mais pour ne pas faire de jaloux, des Bescherelles et le dernier livre de Rachid Santaki, qui s’intitule La France de demain (edition Wildproject) ont été distribués à tous les participants. D’ailleurs, dans ce manifeste, l’auteur fait une analyse pertinente sur « l’intelligentsia des  banlieues  » et  pointe  sans  ambages les maux  dont souffrent les habitants des quartiers populaires.
Rachid Santaki et Abdellah Boudour, se sont donnés comme principal objectif de faire de la dictée des cités, la plus grande dictée de France, et le challenge est réussi avec 980 copies corrigées !
Mais l’enjeu est de fond, les cofondateurs souhaitent que : « Les quartiers de France battent un record de  créativité et  qu’ils  soient  fédérateurs, notre ambition :  c’est  que les quartiers de France écrivent l’histoire et ce sont eux qui ont réussi à écrire la plus Grande Dictée de France,  exercice symbolique,  autour de la langue française ». Rachid Santaki souligne que : « la langue française, n’est pas appréciée de la même manière dans l’école et dans la cité, dans la cité tu en fais ce que tu veux avec, tu chambres, tu tchatches, tu inventes des histoires, tu fais le mytho, et ça tu kiffes, maintenant quand tu vas à l’école, que quand tu ne parles pas correctement et que le prof te reprends , là tu la détestes cette langue, alors que c’est la même langue, dans les murs et hors les murs ce n’est pas pareil, c’est pas le même usage de la langue et c’est ce qu’on fait avec la dictée, comment tu peux aimer la dictée quand tu as des mauvaises notes, et bien là t’as pas de notes, tu rencontres du monde et la dictée est fédératrice, tout le monde y adhèrent, la langue française réunit les gens ! ».
« Dans la dictée des cités, ce qui est bien c’est qu’on dédramatise »
DSC07401D’autres personnalités, présentes à la dictée partagent ce sentiment, et manifestent un  soutien sans équivoque, à cette action qui rassemble les individus autour de la culture, le savoir, la littérature, notamment, la secrétaire d’Etat à la Politique de la Ville, Myriam el-Khomri. La ministre s’estime : « très heureuse de participer à la dictée des cités à Saint-Denis, d’ailleurs 70% de la population vit dans des quartiers classés en Politique de la ville. La dictée, c’est un moment intergénérationnel et de diversité,  et surtout un moment collectif et ludique. C’est aussi mettre en valeur que l’usage de la langue française c’est possible ici et c’est surtout mettre en valeur les Talents des quartiers ».
L’artiste Mac Tayer (rappeur français) était aussi présent : « La dictée, ça permet de mettre les jeunes face à la réalité. Avec les sms, les réseaux sociaux,  beaucoup ont oublié l’importance et  l’orthographe des mots.  Les mots, la lecture, ça apaise, quand tu ne lis pas ça te rends nerveux.  Tu peux t’expliquer, te faire comprendre, quand tu maîtrises et que tu connais ton vocabulaire  ». Valérie Pécresse, député UMP des Yvelines et ancienne ministre sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy apprécie elle aussi cette initiative : « il ne faut pas renoncer à la dictée, car l’orthographe est un outil de sélection sociale. Lorsqu’on envoie une lettre de motivation, la première chose qu’on regarde c’est l’orthographe, c’est un critère de sélection. L’orthographe c’est comme les vêtements, c’est la première apparence qu’on a de vous. Dans la Dictée des cités, ce qui est bien c’est qu’on dédramatise ».
La dictée est à la fois un exercice boudé et populaire. Mais, la dictée des cités permet d’effacer les frontières symboliques, surtout à un moment où notre société se divise autour des questions d’identité et de pauvreté.
Nadia Azzaz

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