Rendu célèbre par le film Entre les murs, cet établissement classé réseau éducation prioritaire a su mettre en place des outils pédagogiques adaptés. A l’heure où la carte de l’enseignement prioritaire doit être redéfinie, le collège Françoise Dolto symbolise les principaux enjeux à venir : s’adapter à un quartier en pleine mutation.

Nous sommes au collège François Dolto, dans le XXe arrondissement parisien, métro Pyrénées. Au coin de la rue, le pain au chocolat a pratiquement augmenté d’un euro depuis mon départ, il y a cinq ans. Pourtant il a l’air beaucoup moins chocolaté… Cela donne globalement le ton pour le reste du quartier où se sont discrètement installés un Naturalia et un Bio c’bon, une épicerie fine comme on dit chez nous, et des petites primeurs où la batavia vaut de l’or. Ici, c’est le village Jourdain, dont la vie est rythmée par les cloches de l’église, le déjeuner des enfants, la pause café des architectes et graphistes qui sortent du boulot la tête pleine de projets. On se prend les pieds dans des poussettes, on fait la queue au rayon huile de sésame, on discute du dernier Xavier Dolan, tout en ventant les mérites de la danse Africaine. Voilà quoi, Jourdain, c’est vraiment sympa. Et Françoise Dolto donc, c’est ici ; c’est ce collège qui avait été le héros du Festival de Cannes en 2008 avec le film Entre les Murs. Ce collège, qui avait provoqué à la fois l’émerveillement de la fausse intelligentsia — non seulement française, mais aussi mondiale — par le courage de ces professeurs dévoués, mais aussi le choc ressenti face à des élèves insolents qui jouaient les analphabètes pendant près de deux heures.

Voilà, en 2008, c’était ça une ZEP.  Il est temps d’arrêter de jouer la carte du « collège difficile », d’arrêter d’associer le nouveau statut REP (Réseau d’éducation prioritaire) à des professeurs tiraillés, pour rétablir la réalité d’un collège vivant, attentif et tout simplement humain.

L’humain. Dans un collège REP, pour la principale du collège madame Busson, l’humain c’est avant tout plus d’encadrement, plus d’accompagnement. En chiffre ça donne 47 professeurs, 8 surveillants, une infirmière à plein temps, une assistante de sécurité, une assistante sociale et grâce à eux, grand nombre d’activités, d’ateliers, entre le club philo, le ciné-club, le club de danse, l’atelier cultures urbaines, les cours de soutien en langues…

Le label REP, c’est aussi des subventions pour des voyages, comme le week-end d’intégration des 6ème à Siouville, dans la Manche : « C’était super ça. Certains n’avaient jamais vu la mer » confesse la principale. « Moi je n’étais jamais allé en Normandie, c’était une découverte » raconte Aminata, élève de 6ème, un peu déçue par le temps : « mais là-bas il pleut tout le temps, c’est nul ! ».

Pour ce voyage, les élèves ont payé 20 € chacun. Car une REP c’est aussi plus de subventions que dans des établissements dits classiques. Françoise Dolto, où l’on comptait l’an dernier 38,5 % de boursiers, reçoit 20 % d’aide en plus par élève que dans les autres collèges. En plus de cela, le collège participe à des appels à projets financés par la Mairie de Paris. Il y a enfin ce que l’on appelle le fond social, qui est plus important qu’ailleurs : en général, celui-ci s’élève à 3000 € par an et c’est à l’assistante sociale de le redistribuer selon les besoins des élèves. Ici, à « Dolto » on atteint 5000 € par an.

13h, la cloche sonne. Certains vont à la cantine. C’est vendredi, donc au menu : carotte vichy et poisson pané. Nous partons en exploration dans le gymnase assister à l’atelier Hip Hop de Mr. Robert, le doyen des professeurs d’EPS.

Oscar, entre deux pas de danse à la Mickael Jackson résume le label REP en quelques mots : « C’est plus de surveillants, de profs, et moins d’élèves par classe ». En effet, ils sont 21 en 5ème5. Et alors, c’est bien ? « Ba ouais ! Et surtout y a l’AS, l’AS c’est trop cool. Moi j’fais du handball et du hip-hop » (AS, Association Sportive).

DSC02873Mais Basile n’est pas d’accord : « Le niveau n’est pas très bon, j’aimerai bien aller en pensionnat ». Qui dit ça ? Toi ou tes parents ? « Euh.. Mes parents. Enfin, les deux. Et y a des perturbateurs dans la classe. » Ah ! Des perturbateurs… Les fameux perturbateurs… Voilà, les REP c’est aussi ça : la peur des parents, la crainte que leurs enfants prennent du retard sur le programme, qu’ils perdent leur temps, que le niveau de certains ne déteigne sur leurs petits précieux… Après leur sixième, quatre « potes » de Basile ont changé d’établissement, dont un est aujourd’hui dans le privé. « Ça a pas l’air marrant, j’crois qu’il galère ». Ces départs précipités, c’est précisément ce contre quoi se bat madame Busson, la principale.

L’une de ses priorités : la mixité. C’est ça qui fait avancer. C’est aussi comme ça qu’on apprend. Mais le label REP doit-il payer le prix de cette mixité ? D’un quartier sympa où il fait bon vivre ? Monsieur Robert avoue avoir peur de voir le collège sortir de la carte des REP. Celle-ci est révisée tous les 4 ans. « Avec les résultats du brevet qui augmentent, le quartier qui s’embourgeoise, ça serait un peu la cata ». Eh oui, la cata. Car juste derrière la boulangerie qui accumule les prix de la meilleure tradition depuis 2011, il y a la rue Olivier Métra et la Place des fêtes — où habite Oscar d’ailleurs —, leurs grands ensembles gris-beige qui font du bruit la nuit, et qui n’ont peut-être, en effet, jamais vu la mer.

C’est l’heure des Battles, les élèves de l’atelier Hip Hop préparent un spectacle pour la fin de l’année. Chacun leur tour, ils enchaînent le funcky chicken, le moon walker en passant par l’incontournable pas de bourré. Et ça rend vraiment bien. Ils jouent le jeu, mi pour rire mi sérieux. À la fin, on applaudit. Mais M Robert est exigeant, ils peuvent encore faire mieux : « Odile par exemple, t’as un super groov, mais tu sors pas assez de toi. Donne-nous plus ! »

En partant, je croise sur Madame Eynard Machet, professeure d’histoire, qui soulève une question intéressante : « Oui, c’est vrai, il y a une flopée d’élèves qui ne bossent pas, qui restent le nez en l’air, qui ne veulent pas s’y mettre ; mais est-ce que c’est parce qu’on est REP ? Pas sûr… C’est pareil partout. » Cette inertie certaine, elle la voit comme une conséquence de l’essor du numérique. Elle pointe un écart entre la vie à l’école, et la vie dehors. C’est vrai ça. REP ou pas, et si c’était l’École avec un grand « E » le problème ? Et si l’École était désuète ? Le numérique, dans lequel les élèves baignent, certes, c’est automatique. Apprendre… ça prend une vie.

Dans 4 ans, lors de la révision de la carte REP, Aminata et Oscar devront-ils troquer leur week-end en Normandie et la découverte du Hip Hop pour un nouveau Naturalia, et une viennoise sans chocolat ?

Alice Babin

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