#BESTOF Le 17 mai, Jean-Michel Blanquer a été nommé ministre de l’Éducation nationale. Celui qui fut directeur général de l’enseignement scolaire sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy a publié, en octobre 2016 « L’école de demain », un livre regroupant ses propositions pour l’éducation nationale dont il pourrait s’inspirer pour la politique du nouveau gouvernement. Notre analyse.

L’école a sans doute évité le pire en échappant à la nostalgie dévastatrice de Marine Le Pen ou à la saignée chez les fonctionnaires prévue par François Fillon dans son programme. Pour autant, la nomination de Jean-Michel Blanquer inspire bien des inquiétudes tant ses prises de position sont clivantes au sein de l’Éducation Nationale. Un des points importants de son ouvrage concerne l’autonomie des établissements qu’il appelle de tous ses vœux. Il n’est pas le seul : durant la campagne présidentielle, François Fillon et Benoît Hamon ont également invoqué ce principe à des degrés divers.

« Dégraisser le mammouth »

Le 24 juin 1997, Claude Allègre, alors ministre de l’Éducation nationale, prononce une phrase qui cristallise le conflit entre les enseignants et les hautes sphères : « il faut dégraisser le mammouth« , dit-il. Il jure ensuite qu’il entendait plutôt « muscler » le mammouth, le rendre plus effilé, plus souple. Puis, en 2000, dans son ouvrage « Toute vérité est bonne à dire », il explique que « l’image du dinosaure correspond mieux au gigantisme et à l’inertie du système ; et les dinosaures ont disparu parce qu’ils n’ont pas évolué ».

En creusant derrière cette lourde métaphore empreinte d’ambiguïté, voire de lâcheté, on comprend que l’ambition de Claude Allègre pouvait s’énoncer bien plus clairement : il voulait rendre autonomes les établissements en donnant plus de pouvoirs à leurs chefs. C’est aujourd’hui l’ambition de Jean-Michel Blanquer.

Le risque d’accroître, encore, les inégalités scolaires

Il faut dire qu’un peu partout en Europe le recrutement et la gestion des enseignants se font au niveau des établissements qui gèrent eux-mêmes leurs ressources budgétaires. En Allemagne comme en Finlande, le chef d’établissement constitue ses équipes et les fédère autour d’un projet commun ; les laisse innover, ou non, module leurs horaires à sa guise et peut même introduire de nouvelles disciplines. A certains égards, tout cela paraît séducteur : mais comment ne pas imaginer que, dans un tel système, une forme de concurrence entre les établissements va s’installer ? Et comment ne pas conjecturer alors que les milieux privilégiés en profiteront, au détriment des établissements des quartiers populaires ? Jean-Michel Blanquer parlait d’ailleurs de donner une « récompense » aux établissements qui réussissent à sortir du dispositif d’éducation prioritaire.

En réalité, comme le rappelle l’inspecteur de l’Éducation Nationale, Paul Devin, sur un post de blog sur Mediapart, la nécessité de l’autonomie des établissements n’a jamais été démontrée par la littérature spécialisée. Pire, selon la sociologue Nathalie Mons, les résultats des enquêtes empiriques montrent surtout qu’une telle mesure augmente les coûts, donne lieu à « des avancées de népotisme » sans qu’il n y ait d’effets significatifs sur les résultats des élèves. Surtout, selon la spécialiste de l’analyse des politiques éducatives françaises et étrangères, « ces politiques conduisent à un renforcement des inégalités scolaires et sociales à l’école ».

L’école maternelle au centre des attentions

Au Bondy Blog, nous sommes sensibles aux inégalités scolaires, bien conscients des liens étroits qu’elles maintiennent avec l’injustice sociale. Dans son ouvrage, Jean-Michel Blanquer écrit qu’il souhaite s’y attaquer à travers l’acquisition du langage dès l’école maternelle car « la période entre la naissance et l’âge de 7 ans est décisive ». Et pour offrir un « vocabulaire riche » aux plus jeunes, il souhaite favoriser l’apprentissage de la musique, de la lecture à haute voix des contes et préconise de créer un certificat spécifique à l’enseignement en maternelle pour les professeurs. Là-dessus, difficile de le contredire et nous sommes loin du sinistre Xavier Darcos qui, en 2008, s’indignait que l’on fasse passer des concours bac +5  à « des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ».

En parlant de Xavier Darcos, il se trouve que le nouveau ministre était son fidèle collaborateur en tant que DEGESCO (Directeur Général de l’Enseignement Scolaire). Alors qu’il était en charge d’élaborer la politique éducative et pédagogique, on a assisté à des suppressions massives de postes et d’enseignants spécialisés (RASED) mais aussi au démantèlement des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), sans aucune solution de rechange. Puis, comme recteur à Créteil, Jean-Michel Blanquer a été à l’origine des « internats d’excellence « , des structures pour élèves « méritants » issus de milieux défavorisés. En janvier dernier, il déclarait dans l’hebdomadaire le Point son souhait de relancer ces établissements parce qu’ils permettraient aux élèves « d’échapper aux déterminismes sociaux ». Il dresse un parallèle avec l’école de la IIIème République en affirmant que si les internats dans les grandes villes n’avaient pas été là pour accueillir les enfants de paysans, la scolarisation généralisée des enfants de France n’aurait pas pu prendre son essor. Mais les enfants des milieux populaires sous la Vème République ont déjà leurs établissements pour les accueillir. Permettre aux plus « méritants » d’en échapper n’augure rien d’apaisant pour l’énorme majorité qui, elle, y restera.

Vigilance accrue

Jean-Michel Blanquer connaît la maison, c’est une certitude. Il a, par le passé, défendu bien des idées, expérimenté beaucoup de dispositifs et tout cela est évidemment intéressant à savoir et à analyser. Mais comme le rappelle Philippe Watrelot sur son blog« s’il a une vraie réflexion personnelle, il faut aussi considérer qu’il s’inscrit dans une réflexion plus globale. Ce n’est pas son livre qui va lui servir de feuille de route mais le programme de ‘En Marche’”. Et le programme d’Emmanuel Macron en matière d’éducation prévoyait quelques actions qui vont dans le bon sens comme la division par deux des effectifs dans les classes de CP et de CE1 les plus défavorisées, même si on voit mal comment les 4000 créations de postes promises pourraient suffire à combler de telles ambitions. On se demande comment aussi les communes vont pouvoir construire de nouvelles classes surtout dans un contexte où leurs ressources financières sont de plus en plus tendues et où les dotations de l’État en baisse.

L’école de Blanquer sera-t-elle celle de la réussite pour tous ou celle de l’excellence des « méritants » et de l’échec pour les autres ? Chacun peut avoir son idée, tout en gardant en mémoire qu’au lendemain d’une élection, les démonstrations a priori peuvent être appréciées comme étant du pessimisme à outrance. Il faut attendre, non sans rien faire et redoubler non pas seulement de vigilance, mais aussi d’exigence pour faire face aux inégalités scolaires. Les accroître serait un échec, les garder telles quelles aussi.

Rachid ZERROUKI

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