Si la chambre d’étudiant offre un confort spartiate et sans surprises, les à-côtés sont souvent croustillants, voire émétiques. Tom qui rêvait d’autonomie, de rencontres et de fêtes a rapidement déchanté après une visite organisée.

Après avoir affronté les miasmes enragés de la ligne 13 en ces temps de grippe, je m’arrête à Basilique de Saint-Denis (93). J’ai rendez-vous avec Manon*, étudiante et locataire dans une cité universitaire. Lorsque j’entends les générations précédentes me parler de leur vie dans ces chambres, ils m’en parlent comme un lieu de rêve. Mais pour Manon et certains de ses voisins, l’idylle s’est envolée. Nous arrivons devant le grand bâtiment où réside une centaine d’étudiants. Un carré de pelouse fait face au bâtiment.

À première vue, c’est plutôt esthétique. En me rapprochant, j’ai remarqué que l’herbe vivait en imparfaite harmonie avec des cannettes, des bouteilles de bière, des emballages de fast-food, des mégots de cigarettes et autre capotes usagées… Tout un microcosme de détritus. Cependant, force est de constater que lorsque je suis entré dans le bâtiment, j’ai cru m’être déplacé pour rien : loge pour un gardien de nuit, bureau d’aide au CROUS, hall d’entrée flambant neuf sans tag… Il en est de même dans les différents couloirs où se trouvent les chambres étudiantes.

Manon sent que je commence à accuser le coup. Mais pour me prouver le contraire, elle ouvre la première des portes sur notre droite dans le couloir : la salle d’eau qui réunit douches et toilettes. Une odeur de moisi saute à mes narines dans un premier temps. Odeur désagréable, certes, mais celle qui suivit me fit regretter la première : celle des excréments. Rien d’étonnant quand on se trouve dans des toilettes me direz-vous.

Mais le problème est que ce parfum âcre ne s’en va pas, et pour cause : ou bien la salle de 20m² n’est pas aérée du tout, ou bien très peu. Une autre preuve accablante d’un problème d’aménagement : la température extérieure était, le jour où je me suis rendu sur les lieux, de 2°C. La température de la salle d’eau de la cité avoisinait les 30°C Manon enchaîne en me montrant les douches : il n’y a aucun moyen de régler la température souhaitée.

« Les trois premiers jours, j’ai dû me laver au robinet, car l’eau était bouillante et le concierge était impuissant face à ce problème, ou bien il avait juste la flemme de venir régler cet inconvénient » me dit Manon avec un large sourire. Une de ses copines raconte qu’une personne a déféqué dans une des douches et que l’objet flottant non identifié est resté une dizaine de jours avant que l’organisme ne se charge de résoudre le problème : « Maintenant, je ne me douche plus dans la salle d’eau de mon étage ! Je préfère me promener en claquettes pour descendre » me dit-elle avec une grimace de dégoût.

BBTOmciteU2BBTOmciteU2J’en ai assez vu au sujet des douches et la chaleur pesante me force à sortir de la salle. Ma guide m’emmène donc vers la cuisine. Le sol est plutôt sale alors qu’il n’a pas plu, ni dans la journée, ni la veille. Cependant, les murs semblent propres, et la salle est équipée de 4 plaques électriques, d’un robinet et d’un large plan de travail. Mais une fois encore, Manon me fait remarquer un des dysfonctionnements : il y a quatre plaques chauffantes, et par conséquent quatre boutons, mais aucune indication ! Le seul moyen de savoir laquelle des plaques est la nôtre est de… mettre la main sur la plaque !

DSC_0091Ce dernier geste peut être cependant retardé grâce (ou à cause) de la mauvaise habitude qu’ont les plombs de sauter lorsque l’on allume les plaques (preuve est faite sous mes yeux dès le premier essai). Enfin, clou du spectacle : Manon me demande de regarder au-dessus du néon qui surplombe les plaques chauffantes qui ont l’habitude d’accueillir des casseroles pleines de pâtes et d’autres denrées alimentaires… Je n’avais jamais autant vu de moucherons morts, il y en avait même collé au plafond ! J’imagine la délicate surprise que doivent avoir certains étudiants en découvrant dans leur plat un supplément d’insecte mort…

DSC_0083Cette cuisine m’a coupé l’appétit. Je sors et Manon me montre d’autres désagréments engendrés par la salle de bain non aérée : des gouttes d’eau perlent le long du mur qui fait face à la salle d’eau. Mais surtout, une grosse trace de moisissure se trouve juste en dessous de l’équipement électrique de l’étage… Elle me montre alors sa chambre refaite il y a peu et décorée par ses soins d’affiches telles qu’« Actionnaires, Tortionnaires, deux ou trois vers de rap du groupe IAM, des habits sur une chaise et tout l’attirail d’une jeune fille disposé sur l’évier.

« La première fois que je suis venue visiter la chambre avec ma mère, elle était pleine de poussière et elle n’était vraiment pas top. Mais depuis ils l’ont refaite et j’avoue y avoir pris goût. Et puis elle est quand même cool ! », me dit-elle, semblant chercher mon avis.
Mais pas la suite, elle me fait remarquer les inconvénients de sa chambre : un des deux néons clignote continuellement. Le propriétaire lui a déclaré qu’il ne viendrait le changer que lorsque le deuxième sera cassé, sinon ça lui prendrait trop de temps… mais ce qui l’énerve le plus, c’est la promiscuité.

Elle me le démontre en jetant une claquette contre le mur. Manon n’a pas la carrure d’une boxeuse professionnelle et son lancer ne faisait pas preuve d’une grande conviction. Mais au contact de la tong sur le mur, un gros bruit creux s’est produit, comme lorsque l’on tape avec ses phalanges sur une fine plaque de bois. Inutile de préciser que ce mur peu épais n’est pas non plus le meilleur des isolants sonores : elle me raconte que chaque soir, même lorsqu’elle révise, sa voisine met sa musique à fond. Et si la batterie venait à lui faire défaut… Elle chante ! Et Manon remet en cause les talents de cantatrice de sa voisine.

Cette promiscuité est aussi entretenue par le fait que sous sa porte, il y a un trou de deux centimètres : la lumière du couloir est tout le temps allumée, et nous pouvons donc l’apercevoir de la chambre. L’espace permet d’entendre tout ce qui se passe dans le couloir. En l’espace de 10 minutes, j’ai pu entendre, sans y faire particulièrement attention : une discussion téléphonique, un objet tomber entraînant un « putaiiin » hargneux de la part de son propriétaire… Il m’a même semblé, dans un moment de blanc, entendre quelqu’un se gratter alors qu’il n’était pas à côté de la porte !

Je décide de mettre de côté les conditions matérielles de vie dans cette cité U. J’essaye d’emmener Manon sur le terrain de la fête, celle dont on m’avait tant parlé. Mais mon interlocutrice me regarde l’air un peu surpris « je ne sais pas où tu as vu ça, mais emmènes-y moi ! Ça fait quatre mois que je suis là, et la seule fois où l’on a organisé quelque chose, c’était pour manger une part de galette des rois ! Les gens ne viennent ici que pour dormir, et à part un ou deux  » bonjours  » dans la journée, les gens ne se parlent pas et ne cherchent pas à se connaître. Ils ne viennent ici que pour se laver, manger, et dormir ».

Je suis sorti dubitatif de cet entretien. Moi qui vis encore chez mes parents, envieux d’autonomie, je me suis mis à reconsidérer mes positions : vivre seul, proche de son lieu de travail, soit ! Mais à quel prix et dans quelles conditions ? Je me suis aperçu que j’entretenais une vision assez candide de la vie en cité universitaire qui, pour moi, rimait avec fête, vie en communauté, mélange de culture… Mais au lieu de représenter une cité jeune et dynamique, les cités universitaires se transforment en cité-dortoir.

Tom Lanneau

* prénom modifié

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