TOUR D’EUROPE 2014. Premier étape du voyage de Saïd : Londres, Royaume-Uni. Détour par le temple de la finance et des âmes qui hantent les bureaux. Retrouvez le road trip de nos blogueurs sur notre page spéciale

Le 8 mai n’est pas synonyme de break ici. 11h30, la Central Line est bondée. Une perturbation momentanée a raison du flegme british de certains usagers. En sortant de la Bank Underground Station, les escaliers nous annoncent le spectacle de l’extérieur. Les animaux sculptés défendent le trésors de la couronne, mi-dragons, mi-lions, ils croisent votre chemin pour vous signaler l’entrée dans une zone spéciale. Aborder ce périmètre provoque quoi qu’il arrive une émotion, pour les partisans d’une Europe éthique est sociale, ce lieu représente tout ce que la perfide Albion a de plus abjecte et de plus immoral.

13982861010_745c456c38_b13982861010_745c456c38_bLa City est vieille, moderne, austère, fascinante, mystérieuse. Lieu unique de transactions financières mirobolantes : 80 % des edges found européens (fonds spéculatifs) se réalisent ici. Les évasions fiscales réalisées dans les îles de l’ancien empire britannique sont pointées du doigt par l’Europe entière. L’Union Européenne donne le chiffre de 1000 milliards d’euros d’évasion fiscale par an. On accuse un quartier dans une ville qui abrite plus de milliardaires que n’importe quel autre périmètre. La City n’est pas une symphonie de dorures, mais la richesse se sent dans les attitudes. La Défense nous parait être une seconde division de l’élégance quand on analyse le dress code de certains passants, tout est « Scorsesien ». Les larges parapluies sont à l’effigie des banques. Ce n’est pas Buckingham Palace mais tout est solennel.

14166196681_f604047667_bIl n’y a qu’à voir ce gentleman fumant sa clope en bas d’un bâtiment de la ThreadNeedle Street, il bronche à peine quand je m’approche de lui. Après m’avoir vu jouer au Frenchy perdu, le jeune homme me montre les buildings les plus intéressants pour mon escapade. C’est au moment où je commence à évoquer les élections européennes que le clopeur se braque, « no sorry », il ne veut pas parler de politique. Une ville sans grues est une ville sans ambition, c’est l’idée que cette succession de bâtiment en cours de construction renvoie aux touristes asiatiques qui malgré la pluie dégainent le flash pour prendre le meilleur angle de la St Mary Axe tour. Londres est pluvieuse, les passants baignent dans une habituelle et répétitive couche de postillons, qui s’arrête d’un coup, pour reprendre sans que personne n’exprime la moindre perturbation. J’arrive en bas de la fameuse tour que les Londoniens appellent le « Gherkin », le cornichon.

Un jeune homme portant l’uniforme de la tour fume sa clope et regarde l’armée costumée se rassasier dans des petites tentes ou « truck food » aménagés qui proposent pizzas, sandwich, fish and chips. D’origine espagnole, le jeune homme m’explique qu’il vit à Londres uniquement parce qu’il y a du travail ici : « être au service des clients, c’est-à-dire faire le maximum pour que l’accueil soit parfait, il y a un niveau d’exigence élevé, les gens qui rentrent dans ces lieux font des métiers assez bien payés ».

Il marque un temps de réflexion, comme gêné quand je lui demande si la City est dans l’Europe : « je pense que l’Europe n’est pas un problème ici on circule, je vais en France en Angleterre et tout le monde s’en fout. Le problème est qu’il y a des pays qui profitent plus que d’autres ». J’entends parler allemand, anglais, espagnol, russe. L’Europe des affaires squatte en bas des tours, le temps d’une rapide pause. « Excuse me ? ».

« Je ne me sens pas européen, je suis un anglais mais dans l’Europe »

En coupant la conversation de deux anglais je leur demande de m’expliquer les travaux au loin. Mark costume trois pièces, coupe à la Beatles, accent british, qui demande une concentration de maître shaolin prend soin de me parler doucement. « Depuis cinq ans et avec les JO, ce quartier accélère ses constructions, c’est peut-être pas londonien dans le type de bâtiment mais quand on y travaille régulièrement, on s’y plait ». Mark aime ce quartier, son « lovely » est sincère. John est moins bien habillé, cerné, un peu négligé mais souriant. Il ne perd pas son sourire quand j’évoque les sentiments de certains européens sur les résultats financiers que génèrent ce lieu : « ici on travaille dans une culture britannique, c’était comme ça avant. » L’évasion fiscale grâce à la City ? Mark rigole et ajoute : « vous êtes dans un pays qui taxe tout et n’importe quoi, vous avez votre système et nous avons le nôtre c’est pour ça qu’il y a des gens qui ne croient pas en l’Europe ».

13982840489_1cdcfbc46f_bMark est un partisan d’une Europe politique, mais pas économique et John ne semble pas partager cet avis. Il m’explique qu’il était à Paris la semaine dernière et qu’il a constaté la différence entre le continent et l’île. « Je ne me sens pas européen, je suis un anglais mais dans l’Europe » Mark ajoute : « Il n’y a pas d’ennemis de l’Europe, les ennemis sont ceux qui ne respectent pas les droits de l’homme. » Mark fait signe à un collègue, il lui demande si la City est dans l’Europe. Karl est grand, massif il porte une veste avec le logo de la Swiss Bank, il sourit, réfléchit et répond : « c’est spécial ici, le monde entier travaille, c’est pas l’Europe c’est le monde. » Quant aux critiques émises par les pourfendeurs de la City, il répond : « on ne se fait pas la guerre dans nos bâtiments, on partage le business, l’Europe n’est pas au niveau de la City, il faut que les autres places boursières se mettent au niveau de la City et pas l’inverse. Ici le business, c’est pas la guerre tout le monde à sa chance. Mes amis sont de Madrid, Zurich, Berlin, Paris. Il n’y a pas de différences entre le travail d’un Allemand et d’un Français. »

La discussion se termine par les « no sorry, no more good job », des refus professionnels de prendre part à l’album photo. Une voix crie au loin depuis tout à l’heure, je marche pour me rapprocher du bruit. Une dame âgée crie avec un panneau seule sous la pluie. Elle regarde les passants en leurs criant : « Shame on you, shame on you ». Prédicatrice, illuminée, elle hurle son rejet d’un système qu’elle combat à sa manière. Melina, accent tiré du Nigeria travaille tous les jours de 6h à 10h, elle fait une heure de marche à pied pour gueuler au pied des tours qu’elle juge apocalyptique “It’s cinema here, it’s not the real life. » « Il faut que tu retournes en France, dire à tous ceux que tu vois que Babylone est ici. » « Regarde-les, ils ne sont pas éveillés, je ne demande pas de sous je ne veux pas d’aide, je suis là pour eux ». Elle essaye de me dire quelques mots en français et éclate de rire : « Vous êtes bonne, monsieur ».

Je marche jusqu’à Aldgate pour constater l’étalement du quartier d’affaires, un griffon qui entoure la zone croise mon chemin, ça sera le dernier. Les constructions devant moi redeviennent anglaises, les commerces de proximité réapparaissent et m’annoncent Whitechapel.

Saïd Harbaoui

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