TOUR D’EUROPE 2014.  Cinquième étape du voyage de Rémi : Varsovie, Pologne. Une grande majorité des jeunes polonais travaillent avec un « contrat poubelle » qui les prive de droits sociaux. Malgré cette situation sociale explosive, la gauche peine à mobiliser. Retrouvez le road-trip de nos blogueurs sur notre page spéciale

L’encart publicitaire d’une enseigne au logo bleu et jaune ne fait pas rêver à première vue : « Nous ne donnons pas de contrat poubelle ». Mais pour la moitié des Polonais de moins de 26 ans qui travaillent sous ces fameux contrats précaires à courte durée c’est peut-être le signe d’un changement. Pas de sécurité sociale, pas de congé maladie ou maternité, le coût social de ces contrats flexibles commence à se faire sentir dans les rangs de la jeunesse.

Gaja a 22 ans et travaille en parallèle de ces études. Avec un contrat poubelle. « Mais comme beaucoup de Polonais je m’y suis fait » tempère la jeune femme. « Ils ont été pensés pour un certain type d’emploi, souvent à la tâche ou pour les étudiants. Mais par exemple, ma sœur a enchaîné ces contrats au sein de la même entreprise pendant plusieurs années. Même après avoir obtenu un poste à responsabilité, elle travaillait avec des contrats d’un mois ou deux ». Pas de préavis de rupture de contrat, cela signifie une source de revenu instable pour cette génération sacrifiée. Difficile ainsi d’entrer dans la vie adulte, ne serait-ce que de déménager de chez ses parents. En Pologne, 56% des 20-34 ans cohabitent encore avec leurs parents.

Malgré cette précarité, les jeunes ne tiennent pas rigueur au premier ministre actuel qui a pourtant largement fait campagne pour l’extension de ces contrats. Plateforme Civique, le parti de Donald Tusk, règne en maître incontesté sur la politique polonaise depuis 2007. « Les jeunes ne se reconnaissent pas dans l’opposition de gauche. Le parti social-démocrate, anciennement communiste leur semble être une bande de vieux croûtons. De toute manière leur opposition aux contrats poubelles a été très mesurée » commente Gaja.

Au nom de la flexibilité

Dans ce pays très catholique, le débat public est polarisé par les questions de société. A ce titre, un mouvement a retenu l’attention des plus jeunes aux dernières élections. C’est celui de Janusz Palikot, un transfuge du parti social-démocrate. Agitant volontiers un godemiché au cours de ses meetings, ce provocateur charismatique s’attaque violemment à l’église, très puissante en Pologne. « Mais sur le plan économique, leur plateforme économique reste libérale » regrette Jakub Dymek, un jeune intellectuel de 25 ans. Lui qui n’a pas connu le communisme ne comprend pas la passivité de ces concitoyens face au tournant libéral qu’a pris la Pologne.

Depuis quelques années, il écrit pour la revue Krytyka Polityczna, la voix de la gauche anti-libérale. Animée par une trentaine de jeunes, cette revue refuse le double héritage du marxisme et du social-libéralisme des années 1990. « Les jeunes polonais acceptent tacitement le libéralisme parce qu’ils ne voient pas d’alternative. Mais pourquoi un employé dans un supermarché devrait être sous un contrat à durée déterminée ? Les besoins de main d’œuvre ne change pas tous les mois ! » proteste Jakub.

En traduisant des ouvrages de la pensée critique comme le dernier livre de l’économiste français Thomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle, la revue tente de relancer le débat sur le libéralisme. « Nous essayons de pointer ses incohérences et de montrer qu’il existe des alternatives. Parce qu’en attendant, les Polonais partent travailler à l’étranger et ne reviennent plus ».

Rémi Hattinguais

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