Les musulmans aux Etats-Unis sont plus diplômés et mieux payés que la moyenne des Américains. Médecins, ingénieurs, avocats, ce sont des classes aisées,  issues d’une immigration assez récente. Les chiffres sont fluctuants mais les spécialistes s’accordent à dire que le nombre le plus plausible de musulmans aux Etats-Unis se situe entre 7 et 8 millions. Environ un tiers est issu de l’immigration asiatique, un tiers des pays arabes et l’autre tiers est constitué par des convertis, afro-américains essentiellement. On compte près de 2000 mosquées à travers le pays.

Pour Zahid Bukhari, directeur de l’American Muslim Studies Program, de l’université de Georgetown à Washington, il y a plusieurs versions concernant l’arrivée des premiers musulmans en Amérique. Une qui tient plus de la légende et l’autre beaucoup plus plausible. Selon la première, les Espagnols en découvrant l’Amérique auraient rapporté dans leurs écrits que certains Indiens avaient des pratiques religieuses très proches de l’islam. Cette pratique leur aurait été communiquée par des rescapés d’une expédition lancée avant Christophe Colomb par un riche empereur africain et qui avait fait naufrage. La seconde version, beaucoup plus probable, situe l’arrivée des musulmans avec l’esclavage puisqu’on estime qu’environ 20% des esclaves africains étaient musulmans. Leur pratique religieuse, ignorée pendant près de 400 ans  serait ressortie après l’abolition de l’esclavage. Cet antécédent explique que beaucoup de Noirs américains qui choisissent l’islam aujourd’hui n’acceptent pas la notion de conversion mais expliquent plutôt qu’ils retournent vers la religion de leurs ancêtres, interdite par les esclavagistes. Ce fut notamment le cas de Malcolm X qui refusa de se donner un nom pour contester celui d’esclave qui lui avait été donné par les blancs.

Chacun a sa propre histoire avec l’islam et avec l’Amérique. Bien sûr, depuis le 11 Septembre, la suspicion à l’égard des musulmans est plus pesante. Si l’Afghanistan, l’Irak et Guantanamo sont des sujets de tensions évidents, les musulmans américains que nous avons rencontrés reconnaissent que depuis les attentats du World Trade Center, l’intérêt des Américains pour l’islam est croissant, même si ce n’est pas toujours pour de bonnes raisons.  Le nombre de convertis ne cesse de croître depuis 2001. C’est le cas de Sharif Rosen de la clinique musulmane UMMA qui nous reçoit. De père juif russe et de mère philippine, il est entré dans la religion musulmane en 2002. Pour lui, le 11 Septembre a été un déclic et il s’est alors rapproché de la communauté musulmane pour essayer de mieux la comprendre. Il s’est alors investi dans cette clinique fondée il y a plus de 15 ans par des étudiants musulmans dans le quartier difficile de South Los Angeles, qui fut l’épicentre des émeutes de 1992 suite à la relaxe des policiers qui avaient été filmés en train de tabasser Rodney King, un conducteur noir américain. Cette clinique exemplaire et qui fonctionne essentiellement avec l’argent de fondations vient se substituer au système de protection sociale quasi-inexistant pour une population essentiellement afro-américaine et hispanique qui vient profiter de soins médicaux.

La rencontre la plus impressionnante sur cette question a probablement été celle d’Abdul Karim Hassan. Cet Imam très charismatique aux faux airs de Marvin Gaye travaille depuis plus de trente-cinq ans dans une des communautés les plus pauvres de Los Angeles. Fondateur d’une école privée islamique qui là encore reçoit très minoritairement des musulmans, Abdul Karim Hassan a un parcours impressionnant. Converti en 1956, il entre très vite dans « the Nation of Islam » et devient un  fidèle compagnon de Malcolm X dont il sera le garde du corps, l’ami et auprès duquel il militera pour le droit des Noirs. Il nous raconte comment le leader noir américain, assassiné en 1965,  s’est converti au début des années 50, après son passage en prison dans le Massachusetts et sa rencontre avec Elijah Muhammad.

Malcolm X, un orateur extraordinaire de plus de deux mètres, à la peau claire et qui ne souriait jamais en public, avait organisé une véritable armée, dont les techniques d’entraînement et de sécurité ont été copiées y compris par les équipes de la FBI qui avaient infiltré le groupe. Pour Abdul Karim Hassan, les Afro-Américains convertis qu’on estime à près de 3 millions, sont avant tout américains. Leurs racines africaines sont trop lointaines et ils n’ont pas d’autres choix que de faire progresser leur cause dans le pays.  Ils comptent s’appuyer pour cela sur les nouvelles vagues de musulmans arabes et asiatiques, souvent plus aisés et plus diplômés et dont les enfants commencent aujourd’hui à intégrer la société américaine.

Mohamed Hamidi

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