TOUT AZIMUT. 3/4. Dans une région où l’argent donne la clé des champs, la réussite appelle souvent les gros chiffres. Cette maxime peut s’appliquer à toute la jeunesse d’Asie du sud-est, coincée qu’elle est entre rêves de succès et manque de monnaie.

Ban Lung. Bourgade du Nord-Est du Cambodge. Sur les hauteurs, une petite guesthouse surplombe la jungle alentour.  Dans la baraque de bois, une petite fille cambodgienne déambule. C’est Jumih.  À 6 ans, Jumih parle un anglais impeccable et s’arrête de table en table pour un brin de conversation avec les touristes. Petite dernière d’une famille aisée  – qui a réussi dans le tourisme – elle a la chance d’aller dans une école privée.  Tous ne l’ont pas.

P1010148P1010148Dans les pays que j’ai traversés, les jeunes voient une seule porte d’échappatoire : l’anglais. Mais bien souvent, l’éducation est loin d’en donner la clé, bien trop préoccupée à courir après un taux d’alphabétisation affolant. Alors le système D est prisé. Apprendre l’anglais de son côté. En Birmanie, c’est par dizaine que les adolescents m’approchent dans chaque lieu touristique, simplement soucieux qu’ils sont d’améliorer leurs dires dans la langue de Shakespeare.

P1000618Mais les initiatives personnelles ne suffisent pas. Le système scolaire dans cette région plombe une génération. Au Cambodge, un enfant sur deux quitte l’école sans être complètement alphabétisé. Dans la Birmanie voisine, seuls 28% des enfants scolarisés en primaire vont au bout de leur scolarité. Des chiffres d’autant plus effrayants qu’ils ne reflètent pas l’immense disparité entre villes et campagnes. Si la situation tend à s’améliorer pour les citadins, en milieu rural, elle reste fragile. Là encore, l’argent est à la source. Et il faut remonter plus haut pour le voir. Il coûte trop cher à l’Etat de construire une école dans chaque village.

Alors il ne reste plus aux enfants qu’à avaler de longues distances pour aller chercher les connaissances. Comme dans cette petite école sur les hauteurs du Lac Inle, en Birmanie. Les enfants viennent d’une quinzaine de villages différents, situés parfois à 10 kilomètres du lieu d’apprentissage.  Ce sont des enfants des campagnes. Bien vite, ils sont rattrapés par les travaux ruraux. Et ils sont nombreux. Des millions dans la région.

Je suis au cœur de la campagne cambodgienne. Dans la province du Ratanakiri, celle là même où la petite Jumih mène une enfance heureuse. Pour les enfants qui vivent là, loin de la ville, l’ennui n’est pas l’ennemi. Pas le temps pour cela. Appelés aux champs du matin jusqu’au soir, aidant leurs parents pour rapporter quelques centaines de riels supplémentaires et subvenir – un peu mieux – à leurs besoins alimentaires.Partout ailleurs, des bambins travaillent. Combien de maisons de thés emploient des gamins pauvres venus de la campagne, qui ont moins d’une décennie au compteur, en échange d’un peu de monnaie, et de quoi se loger, manger ?

Pour les autres, dans les villes, ça n’est pas gagné non plus. Tous s’offrent de rêver, pour éviter de crever. Mais la porte d’entrée est plus large que la sortie. En Birmanie, presque tous les adolescents que j’ai rencontrés se voient en guide touristique. Perspective juteuse eu égard à l’explosion du marché. Les élus seront peu nombreux. Et, bien souvent, la réalité rapplique à grand galop et chasse les rêves à coups de sabots.

P1000990En fait, en débarquant avec son regard et son équilibre occidental, c’est le concept même de l’enfance qui est bouleversé. Le plus dur reste de l’accepter. Au cœur du Plateau des Bolovens, au sud du Laos, se dresse un village. Au milieu se trouve la grande place, un simple espace dégagé de toute habitation et balayé par la poussière. Parmi ses nombreux usages, elle fait office d’autel pour les mariages. Et ceux-ci arrivent bien vite. Dans cette ethnie, les enfants se passent la bague au doigt avant d’avoir toutes leurs dents. Mariés à 5 ans, à 6ans, ils fument d’immenses bangs dans lesquels se consume un mélange de tabac et de bambou.

Autre élément qui trouble le regard occidental : la place que joue la religion pour la jeunesse. Birmanie, Cambodge et Laos, sont trois pays bouddhistes. A des degrés divers. Mais tous les jeunes, avant d’avoir atteint leur vingtième printemps, doivent passer « un an » au monastère. Si l’on regarde cela d’un œil cynique, et on est tenté de le faire, cette année passée au monastère apporte un éveil spirituel mais aussi une année de gite et couverts. Une impression que m’ont confirmée plusieurs moines que j’ai rencontrés. Presque tous venaient des campagnes et avaient grandi dans des foyers démunis. Bien souvent, ils restaient au monastère après leur première année, bénéficiant par là même d’une éducation qui leur aurait été difficile d’avoir autrement.

De la Birmanie au Laos, être jeune est différent. L’enfance n’a rien à voir avec ce qu’elle est en France. Pour beaucoup, elle consiste à se constituer en premier soutien, physique puis financier, de la famille. C’est le cas de la plupart. Ailleurs, quelques privilégiés. Demain matin, Jumih prendra son cartable. Au fond de celui-ci, un manuel d’anglais.

Hugo Nazarenko-Sas

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