Il est 12h30 dimanche 11 mars 2018. À l’entrée de la zone industrielle de Longoni, ferrailles et bouts de branches entravent la circulation. Pour passer ce premier barrage érigé il y a quelques heures, il faut montrer patte blanche. Pour s’identifier, les manifestants portent autour de leurs bras ou sur leur tête un bout de tissu. Des habitants du Nord montent la garde de cette toute nouvelle barrière. Tandis qu’il y a quelques jours encore, piétons, personnels médicaux et véhicules sanitaires étaient autorisés à circuler, désormais plus rien ni personne ne doit franchir ces obstacles.

De nouvelles consignes données alors qu’un peu plus tôt dans la journée, les forces de l’ordre sont intervenues pour débloquer la voie. « C’est regrettable, mais c’est l’État qui a voulu qu’on en arrive là », s’indigne Momed Maoulida, secrétaire général du syndicat autonome des enseignants de Mayotte et membre fondateur du Collectif des Citoyens Vigilants et Révoltés de Mayotte de la section de Sada. « Jusqu’à hier après-midi, tout ce qui concernait les ravitaillements et les livraisons étaient libres de circuler pour que les magasins ne se vident pas. On s’était dit qu’on allait laisser passer les gens, mais ce matin, ils ont essayé de nous déloger, alors plus personne ne passe. C’est notre cause, mais c’est aussi la cause de tout le monde que nous défendons. Nous sommes des citoyens revotés! Nous sommes en pleine révolte et cela continuera tant que nous ne serons pas en sécurité chez nous !« . Depuis, la situation ne s’est pas améliorée. Plusieurs autres barrages ont été mis en place, dans le centre, à l’est et au sud malgré la venue de la ministre des outre-mer, Annick Girardin. Les manifestants réclamaient la venue du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, considérant que l’Outre-mer n’a aucun pouvoir décisionnaire.

Sur le groupe Facebook « Direct Trafic 976″, les internautes font le point sur les barrages en temps réel

Nous, nous sommes calmes. Il n’y a pas de violence, alors il ne faut pas venir avec de la violence

Un peu plus loin, c’est un arbre de plusieurs mètres qui bloque le passage. Un kilomètre plus loin, le carrefour de Longoni, où se situe notamment une des sept stations de service Total, la seule entreprise à approvisionner en carburant Mayotte, est occupé par les manifestants. Venus des communes de Koungou, Bandraboua et M’Tsamboro, ils sont bien décidés à s’installer « le temps qu’il faudra ».

« Nous voulons des réponses satisfaisantes. En attendant, nous préservons notre poumon économique de tout danger », poursuit ironiquement Momed Maoulida. « Ici, il n’y a pas de villages. Nous protégeons nos hydrocarbures, qui sont juste à côté, mais aussi la centrale de production d’Électricité de Mayotte et bien sûr, notre port de commerce. Nous, nous sommes calmes. Il n’y a pas de violence, alors il ne faut pas venir avec de la violence. Il ne faudrait pas provoquer un incendie ».

Les manifestants ont déposé des pneus devant la station essence Total de Longoni

« Ne pas provoquer d’incendie« , ce sont également les mots d’Echat Ahamada, habitante de Kangani, village voisin de Longoni. Cette dame de plus de 60 ans a prévu de dormir sur place avec ses camarades. Dimanche matin, elles étaient une soixantaine. Assises à quelques mètres de la station de Total, c’est très calmement qu’elles préviennent. « Ce que nous demandons aujourd’hui c’est du respect, de la considération. Nous voulons être écoutées et entendues. Que ce soit à la campagne ou chez nous, nous ne sommes pas en sécurité. Nous sommes en danger. Il faut nous aider et arrêter de nous placer derrière tout le monde, même derrière les personnes en situation irrégulière, alors que nous sommes chez nous« .

Pour Echat Ahamada, l’intervention des forces de l’ordre ce matin n’était autre que de la pure et simple provocation. « Nous avons été jusqu’ici très tranquilles. Si des personnes viennent nous voir, qu’elles viennent avec tranquillité aussi ! Si elles viennent dans le but de se battre, nous pouvons nous battre aussi, et je peux vous jurer devant Dieu que si nous ne sortons pas gagnantes de ce combat, elles non plus ».

Echat Ahamada, 60 ans, a dormi avec ses camarades près de la station Total de Longoni dans la nuit de dimanche à lundi pour manifester son inquiétude

L’appel à la fermeture des classes par les maires 

Cette quatrième semaine de grève arrive dans un contexte bien particulier pour le 101ème département français. Les élèves devaient normalement reprendre le chemin de l’école ce lundi. La multiplication des violences en milieu scolaire a été l’une des causes de la gronde populaire. Samedi 10 mars, un communiqué signé conjointement par les ministères des Outre-mer, de l’ Intérieur et de l’Éducation nationale, annonçait l’arrivée à Mayotte de renforts de sécurité, portant donc « à 987 le nombre de forces de l’ordre déployées sur le territoire. Leur mission sur place répond à la demande exprimée par les parents d’élèves et le corps enseignant de sécuriser les établissements et les transports scolaires », peut-on lire. « Un dispositif associant 90 médiateurs de proximité, des gendarmes mobiles, des réservistes de la gendarmerie, des équipes mobiles de sécurité, des assistants d’éducation et du personnel du service civique est en cours de déploiement », ajoute le communiqué. Ces mesures ont été jugées insuffisantes par l’ensemble des collectifs et syndicats réunis.

Quant aux maires, ils avaient pour leur part appelé à la fermeture des classes, il y a quelques jours, lorsque la vice-rectrice de Mayotte, Nathalie Costantini, indiquait dans un courrier envoyé aux enseignants de l’île le 9 mars 2018 que « les personnels non grévistes empêchés pourront se rendre dans l’établissement du 2nd degré ou dans leur école pour le 1er degré le plus proche de leur domicile. S’il n’est pas dans notre intention d’apparaître provocateur, il nous appartient d’assurer au mieux notre mission de service public« .

Bâtiment de la zone industrielle de Longoni recouvert de messages de revendications pour Mayotte

Bras de fer entamé

Finalement, la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, n’aura pas attendu la fin des élections législatives partielles qui doivent se tenir les 18 et 25 mars prochains pour arriver. Il y a quelques jours encore, elle s’exprimait au journal télévisé de Mayotte La 1ere, indiquant qu’elle se déplacerait qu’à condition que le calme revienne sur le territoire. Selon le communiqué du ministère sa venue a pour objectif « de concrétiser sur le terrain la proposition de dialogue du Gouvernement, alors qu’un grand nombre d’élus ont manifesté leur volonté de s’inscrire dans cette démarche. La ministre proposera à l’ensemble de ses interlocuteurs une méthode, un calendrier, et les principaux axes d’un travail de fond indispensable pour l’avenir de Mayotte ». Pas sûr que l’annonce de cette « proposition de dialogue » contribue à calmer les esprits quand on sait que l’association des maires chiffre à 1,8 milliard d’euros le un plan de rattrapage nécessaire pour Mayotte. De plus, pour la première fois, une plateforme commune de revendications des collectifs et syndicats de Mayotte a été rédigée. Plusieurs mesures concrètes sont demandées, comme « la transformation du vice rectorat en un rectorat de plein exercice » ou encore la mise en œuvre immédiate « l’aide médicale de l’État à Mayotte « et la « couverture maladie universelle complémentaire » de droit commun.

Reste à savoir quelles réponses vont être apportées par la ministre, et si cela suffira à stopper la grève générale. En cas de prolongation du mouvement, outre les enjeux électoraux à venir, des pénuries sont à craindre. Le centre hospitalier de Mayotte parle déjà d’une situation « extrêmement préoccupante« . « Sans mesures immédiates afin de rétablir une activité aussi normale que possible, la communauté médicale craint une catastrophe sanitaire au niveau du département », alerte le CHM dans un communiqué.

Abby Saïd ADINANI, à Longoni, Mayotte

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