« Je n’imaginais pas qu’il y aurait eu autant de monde ». Claudy Siar se dit ravi et fier. Lui qui, deux jours auparavant, criait sa colère sur une vidéo Facebook vue des milliers de fois et partagée tout autant. « Moi descendant d’esclaves, j’ai la haine« , protestait-il. L’animateur radio de 48 ans, producteur de l’émission Couleurs tropicales sur RFI, est à l’initiative de cette mobilisation ce samedi 18 novembre à 16h contre les pratiques esclavagistes en Libye. Il s’enthousiasme du « rassemblement spontané » rendu possible grâce à une mobilisation sur les réseaux sociaux. L’élément déclencheur : un reportage de la chaîne américaine, CNN, montrant des Africains vendus comme des esclaves ou enchainés dans des cages en Libye. Plusieurs personnalités avaient également relayé l’appel à manifester, comme Omar Sy, Mokobe de 113, Didier Drogba ou l’ancienne Miss France Sonia Rolland.

Un collectif a d’ailleurs été créé à l’occasion : Collectif contre l’esclavage et les camps de concentration en Libye (CECCL). La mobilisation qui, au départ, devait être un simple rassemblement devant l’ambassade de Libye dans le 15ème arrondissement de Paris, s’est transformée en manifestation spontanée. Au cri de « Libérez nos frères » ou de « Libérez nos soeurs« , la foule est venue crier sa colère : 1 000 participants selon la préfecture de police de Paris, entre 5 000 et 6 000 selon Claudy Siar et d’autres à l’initiative. Majoritairement, les manifestants étaient issus de la diaspora afro-descendante. Les pancartes cartonnées arboraient plusieurs messages comme « L’esclavage, crime contre l’humanité » ou « Nous sommes tous des humains« . Autant d’inscriptions pour témoigner d’une situation universelle qui nous concerne tous, y compris les beaux quartiers parisiens.

« Si des êtres humains vendus comme esclaves, ça ne choque plus personne, alors nous ne sommes plus humains« 

« Voir nos enfants enchaînés dans une cage, c’est inadmissible, c’est révoltant« , s’insurge Julie Mabea, musicienne de 43 ans. « Si des êtres humains vendus comme esclaves, ça ne choque plus personne, alors nous ne sommes plus humains« , juge, pour sa part, Raphaël Agbemadon, équipier de vente de 37 ans. Les images ont servi d’électrochoc pour certains qui tenaient à battre le pavé parisien à tout prix. « J’avais prévu des choses ce samedi mais j’ai tout annulé à la dernière minute. Je ne pouvais pas rester chez moi », explique Sisko Mbuma, militant associatif de 37 ans.

Pourtant, la question de l’esclavage en Libye, et dans d’autres pays comme la Mauritanie, n’est pas nouvelle. Qu’est-ce qui a incité les gens à sortir dans la rue ? « Je pense qu’avant, les informations étaient restreintes. Maintenant, elles sont diffusées rapidement et partout grâce aux réseaux sociaux », analyse Mireille Owona, gestionnaire de patrimoine de 33 ans. « Personnellement, avant ce reportage de CNN, je ne connaissais pas cette réalité » avoue Julie Mabea. Pour Raphaël Agbemadon « la jeunesse africaine est en train de prendre conscience. Il serait temps que les jeunes africains aient un sursaut d’orgueil pour que le cliché sur la misère en Afrique cesse ».

« Sarkozy criminel, Sarkozy assassin »

Pour une grande majorité des manifestants interrogés, les pays occidentaux, la France en particulier, portent une grande part de responsabilité sur cette tragédie. « On ne peut pas reproduire ce qui s’est passé il y a 400 ans tout en connaissant les séquelles et les dégâts que cela occasionne« , analyse Sonia Lebrache, artisane de 33 ans. Sur la période récente, c’est l’interventionnisme occidental en 2011 en Libye qui est pointé du doigt à la quasi unanimité. Du coup, les slogans « Sarkozy criminel« , « Sarkozy assassin » ont jailli durant la manifestation.

Les manifestants avaient décidé de rejoindre le consulat de Libye, rue Kepler, dans le 16ème arrondissement, en passant par le 7ème arrondissement via l’avenue Rapp et le pont de l’Alma. Jusqu’au pont, la manifestation avançait tranquillement avec une foule grossissant au fur et à mesure. Mais en raison de son caractère « spontané » qui n’avait pas fait l’objet d’une déclaration à la préfecture de police, la manifestation a été jugée comme illégale par les autorités. Par conséquent, des dizaines de CRS ont été mobilisés pour barrer la route des manifestants sur leur parcours. C’est sur l’avenue Marceau, à l’angle de l’avenue Pierre 1er de Serbie et au niveau de l’église Saint-Pierre de Chaillot que le cortège a été la cible de gaz lacrymogènes. « On est venu manifester pacifiquement. Des mamans, des enfants. J’ai même vu des nourrissons. Et tout d’un coup, on voit des CRS qui viennent, qui nous chargent » s’insurge Sisko Mbuma.

 

Aucune dégradation commise mais des investigations demandées pour identifier les organisateurs d' »un rassemblement organisé au mépris de la loi »

La tête du cortège a pu passer à temps pour continuer sur l’avenue Marceau et arriver au niveau du consulat de Libye. Les autres groupes ont dû rebrousser chemin et se regrouper sur les Champs-Élysées, en remontant vers l’Arc de Triomphe. Mais les CRS attendaient justement ces manifestants pour les regrouper dans une nasse, sous les yeux de touristes surpris d’assister à une telle scène, avant que les CRS ne resserrent la nasse pour ne pas gêner la circulation automobile.

Une fois sortis de la nasse, plusieurs manifestants se sont dispersés pour « faire du bruit » et alerter les riverains sur fond d’appels à regroupements cacophoniques. Par exemple, sur la place d’Iéna, un groupe d’une cinquantaine de manifestants a reçu des messages indiquant de se rendre vers le pont de l’Alma pour rejoindre d’autres groupes. Cinq minutes plus tard, il était question de se diriger vers la place du Trocadéro où d’autres manifestants les attendraient. Mais finalement, un rassemblement d’une centaine de manifestants a eu lieu sur l’avenue Kléber en fin de journée, autour de Claudy Siar, saluant ceux qui ont manifesté et les appelant à rentrer calmement chez eux et à ne pas provoquer les CRS. « Aucune dégradation n’a été commise« , précise le communiqué de la préfecture de police de Paris, qui indique que « le Préfet a demandé que les investigations permettent d’identifier les organisateurs de ce rassemblement organisé au mépris de la loi afin que les procédures soient engagées aux fins de poursuites adaptées ».

Claudy Siar l’assure : cette manifestation en appellera d’autres, mais aussi un travail auprès de l’ONU et de l’Union européenne sur la situation en Libye, afin d’obtenir des excuses « de façon officielle ». « Ce n’est que le début du commencement« . Un autre rassemblement est d’ores et déjà prévu vendredi 24 novembre à 16h, toujours devant l’ambassade de Libye à Paris, à l’appel de plusieurs associations comme la Coordination Sans Papiers 75.

Jonathan BAUDOIN

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