Depuis sa création il y a 7 ans, l’atelier des anciens se donne comme principal objectif de réunir des jeunes désirant avoir une pratique théâtrale régulière sans pour autant fréquenter les cours et les conservatoires. Ainsi, plusieurs samedi par mois, des passionnés se donnent rendez-vous autour de professionnels du spectacle pour améliorer leur jeu et monter un spectacle de fin d’année. 

Ce samedi, même le soleil est de la partie. Les jeunes arrivent au fur et à mesure au conservatoire Jean Weiner à Bobigny, où ils se sont donnés rendez-vous. En attendant les retardataires, les premiers échangent et discutent de leur boulot respectif pour certains, de leurs cours à la fac pour d’autres, ou encore de leurs projets autour de leur passion commune : le théâtre.

La joyeuse troupe arrête nette toute activité à la vue d’un grand jeune homme à la chevelure blonde. Il s’agit de Denis Boyer, comédien et intervenant. Il a découvert le dispositif mis en place par la MC93 (Maison de la culture) grâce au metteur en scène Nicolas Bigards, qui a toujours mis en scène les spectacles de l’atelier. Alors qu’il jouait sous sa direction, Denis découvre une nouvelle façon de faire du théâtre, avec des jeunes qui viennent de tous les horizons et hors des murs d’un conservatoire ou d’une école. Au début, il venait aider lors des répétitions. Cette année, c’est la première fois qu’il met en scène le spectacle avec les jeunes. Celui qui est diplômé d’une école de théâtre à Limoges vient partager son expérience professionnelle en toute générosité.

Ils sont désormais au complet. Ce jour-là, ils sont une vingtaine de jeunes filles et garçons âgés de 19 ans à 26 ans. La plupart sont habillés en tenue de sport pour être à l’aise dans leurs mouvements. La grande majorité habite en Seine-Saint-Denis. Tout le monde s’installe dans la salle 212, initialement prévue pour des cours de chant lyrique. Le soleil les accompagne jusqu’à l’intérieur de la pièce grâce aux immenses fenêtres. Sur un fond sonore de flûte à bec et de piano qui parvient des cours qui se déroulent à côté, les élèves finissent par se mettre à l’aise et certains enlèvent leurs chaussures pour s’installer sur le parquet en bois. Depuis deux ans, l’atelier des anciens trouve refuge au conservatoire de Bobigny pour ses répétions à cause des travaux menés dans les locaux de la MC93. Une situation qui leur convient, même s’ils se languissent de retrouver « la maison », comme nous le confie Rachel, 20 ans, bondynoise, étudiante en philosophie et jeune comédienne.

Plongée dans l’univers théâtral de Love and Money

De gauche à droite : Karl Marx, Mélisse et Aymane au conservatoire Jean Weiner de Bobigny.

Si pour la plupart des participants, la découverte du théâtre s’est faite grâce aux options du baccalauréat au lycée, aujourd’hui chacun a ses obligations. C’est le cas de Mélisse, animatrice dans une école primaire à Bondy. D’où la nécessité de trouver des créneaux convenables pour tous pour chaque séance. En Seine-Saint-Denis, plusieurs lycées tels qu’Eugène-Delacroix à Drancy ou encore Louise-Michel à Bobigny proposent une option théâtre pour le baccalauréat. C’est à travers ces options que certains ont découvert le théâtre et souhaité continuer la pratique bien après l’obtention de leur bac. Et c’est dans ce contexte que la MC93, partenaire de plusieurs lycées, a décidé de mettre en place l’atelier des anciens. Pourquoi ce nom? Parce que ce sont des anciens lycéens qui, après leur bac, intègrent l’atelier alors qu’en réalité, par le bouche à oreille, tout le monde peut participer au dispositif. Cet atelier, c’est une opportunité pour ces anciens lycéens de continuer une pratique théâtrale tout en étant encadrés par des professionnels. « J’ai découvert le théâtre par hasard au lycée, où il fallait choisir une option, mais aujourd’hui c’est mon plus grand plaisir de la semaine de retrouver ma bande de potes ici », s’enthousiame Mélisse.

L’après-midi continue, et c’est maintenant le moment tant attendu pour tous. Après avoir passé la première partie de l’année à faire des trainings et des improvisations, voici venu le temps pour Denis d’annoncer le titre de la pièce que vont jouer les jeunes cette année. Ils s’impatientent, tentent de deviner le titre de l’oeuvre. Denis finit par lâcher le morceau, ce sera la pièce Love and Money, une critique acerbe de l’argent roi et l’histoire d’un couple au destin malheureux. « C’est une pièce qui apporte de nouveaux éléments à vos jeux de comédiens, avance Denis. Il s’agit de fournir un travail collectif, et en même temps de se concentrer sur le mouvement intérieur de votre pensée ». Il n’hésite pas à leur montrer le lien entre notre quotidien et celui décrit dans l’oeuvre : « On est en pleins dedans, cette société de consommation, c’est aussi la nôtre dont l’auteur parle ». Aucune réaction auprès de nos apprentis comédiens, qui ne semblent pas connaître cette oeuvre signée Dennis Kelly. Après les explications, une première lecture est réalisée. Place à la découverte du texte. La troupe se rassemble en cercle autour de l’intervenant. Karl Marx et Marie-Hélène se proposent alors pour commencer la lecture. Les visages se concentrent et un silence religieux s’installe.

De gauche à droite : Victoria, Marie-Hélène, Melanie et Denis Boyer au conservatoire Jean Weiner, Bobigny.

À la fin de chaque scène, Denis commente ce que les jeunes viennent de lire. Il essaye de les faire plonger dans l’univers théâtral de la pièce et leur donne des indications tout au long de la lecture pour que chacun puisse s’approprier au fur et à mesure ce qu’il a sous les yeux. Chaque passage est l’occasion pour chacun de prendre la parole. Certaines hésitations se vont entendre. « C’est une écriture assez particulière », lance Denis, comme pour les rassurer et rappelle qu’il s’agit de théâtre contemporain. Tout au long de la lecture de la pièce, les jeunes comédiens commencent à découvrir le sens du texte et de l’oeuvre. Que reste-t-il de l’amour dans un monde qui ne pense qu’au fric ? C’est tout le sujet de la pièce, qui met en scène des personnages d’aujourd’hui, avec leur fragilité ou leur immoralité. Il s’agit d’une « critique vis-à-vis de la place de l’argent dans nos vies, ajoute Denis. Les personnages se cherchent dans un monde superficiel et se demandent pourquoi ils n’ont pas été là, les uns pour les autres ». Le sujet parle aux jeunes comédiens. « C’est fort dans la façon dont c’est écrit, mais je trouve ça très beau », dit Aymane, 22 ans étudiant en BTS.

« Le théâtre m’aide à avoir confiance en moi, à oser prendre la parole en public, à gérer mon stress, me tenir droite »

Pause bien méritée. Pendant ce moment de répit, certains jeunes se remémorent leur voyage à Avignon l’an passé, organisé par la MC93. D’autres débriefent de la pièce et semblent déjà conquis. Plusieurs rires et échanges se font entendre dans une bonne humeur générale. Bon nombre d’entre eux se connaissent depuis leur entrée au lycée. L’atelier est devenu un lieu de retrouvailles, une sorte de petite famille. « Ça me permet de faire partie d’un groupe », confie Mélanie, 21 ans, habitante d’Aulnay-Sous-Bois. « La relation avec les autres est différente ici, on apprend à écouter, comprendre, dialoguer sans parler », rapporte Mélisse. « En plus d’être le lieu de retrouvailles, le théâtre m’aide à avoir confiance en moi, à oser prendre la parole en public, à gérer mon stress, me tenir droite, surenchérit Rachel. Je souhaite me réorienter pour faire de la médiation culturelle, travailler dans le théâtre et surtout en banlieue pour permettre un meilleur accès à la culture, c’est quelque chose qui me parle vraiment ».

Alors que la pause touche à sa fin, les esprits reprennent leur sérieux. Les membres de l’atelier se lancent le défi de mettre en scène, de jouer et de porter la pièce devant un public dans… à peine un mois ! « C’est du travail. Faites-moi confiance, on peut faire quelque chose de bien », souffle Denis pour booster sa troupe. Les jeunes sont réceptifs à leur nouveau metteur en scène. « Ça me plaît, même si j’ai eu du mal à lire aujourd’hui, je vais beaucoup travailler », lance Karl Marx, 22 ans, étudiant et habitant de Drancy. Plusieurs d’entre eux commencent déjà à parler de la distribution et font part de leurs envies. « J’aimerais beaucoup jouer la scène de l’hôpital », lance Rachel. C’est sur ces échanges et dans l’euphorie de se lancer dans une nouvelle aventure que les comédiens quittent le conservatoire. Rendez-vous le 21 mai pour voir le résultat !

Fatma TORKHANI

Crédit photo : Saumya CHANDRA

L’atelier des anciens sera en représentation le 21 mai 2017 avec la pièce Love and Money à la salle Pablo Neruda à Bobigny dans le cadre du festival des écoles. Entrée gratuite.

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