Hamid est chauffeur de taxi de nuit. Depuis 27 ans, il photographie ses passagers. Une infime partie de ses clichés est exposée au Relais Restaurant de Pantin. Rencontre.

« Hélène Radier ? Non ! » La dame, il ne l’a pas reconnue tout de suite, mais elle tient entre ses mains une photo de Hamid à l’âge de 15 ou 16 ans. Elle savait l’effet que ce cliché allait faire : replonger Hamid dans « le labo photo du bahut » où elle lui a appris à développer ses premières photos en noir et blanc. C’était il y a au moins 50 ans. Quelle surprise pour l’enseignante quand elle a vu l’annonce de l’exposition de Hamid dans Canal, le journal de la ville de Pantin.

IMG_4994« J’aimais la photo avant d’être taxi, raconte le chauffeur de taxi. Avec les copains on voyait des trucs dans Paris, on se disait ‘ah ça, c’est une belle photo’. On ne savait pas que c’était artistique. Maintenant je sais qui a pris ces grandes photographies. Comme celle du pâtissier, un mec un peu gros, un peu sévère, prise par August Sander. Ou les Indiens, d’Edward Curtis. »

Le Bondynois pousse alors la porte du labo photo de son bahut à Drancy et découvre le développement. « C’était la révélation. Je me suis dit ‘c’est ça que je veux faire, tireur’. » Mais il déchante vite. « Le CAP, les études, oh la la ! Moi je pensais que la peinture, la photo, la sculpture, ça ne s’apprenait pas. Et là on m’a parlé des Beaux-Arts ! explique-t-il. Mes parents, ils ne connaissaient pas ce genre de choses, c’est des paysans, ils gardaient des chèvres en Kabylie. Ici c’était le boulot, l’usine. Un jour, quand j’ai voulu décrocher le vieux tableau du salon, une copie d’un Italien connu où il y avait une semeuse dans les champs, ils m’ont dit ‘non, on le laisse, nous on est des paysans’. »

Des milliers de visages capturés

Hamid, c’est un petit sexagénaire, dégarni « parce qu’un peu énervé alors ça fait tomber les cheveux ». C’est un photographe qui ne veut pas qu’on le prenne en photo. Mais c’est surtout une grande pipelette, qui se remémore les 400 coups avec ses potes d’enfance de Bondy. Hilare quand il rapporte ses vacances entre amis au ski sans matos, où les gendarmes les ont gentiment hébergés dans leur refuge. Pendant son adolescence, Hamid se passionne pour le développement, pas encore pour la prise de vue. Son petit Minox 35 GT, il l’a eu en gage contre la réparation d’une voiture, mais le propriétaire n’est jamais revenu le payer.

IMG_5014Depuis le jour où frustré de ne pas pouvoir immortaliser les têtes des punks montés à bord de son taxi, il ne quitte plus son petit appareil 35 mm, avec lequel il a pris des dizaines de milliers de portraits de toute la société, « des cuisiniers, des balayeurs, des blancs, des blacks, des beurs, des asiatiques, des homos, des gouines, des travestis, des gens avec des idées bien ou tordues. Tout le monde ». Comme celle de ce monsieur espagnol, « avec un beau visage, une belle émotion », à l’avant du taxi car ils étaient quatre, à se marrer. Ou encore ces deux copines en fin de soirée. Et cette femme, timide, en boubou, qui ose à peine le regarder.

Utiliser le flash, sortir la tête ou l’objectif par la vitre, à travers le pare-brise, Hamid apprend tout seul, pas vraiment satisfait du résultat. Jusqu’au jour où par accident, il trouve comment il faut capter la lumière. « Je me suis rendu compte qu’il fallait que les têtes soient éclairées, avec l’éclairage de la rue, les lumières que je trouve, précise-t-il. Ça me plaisait de plus en plus, je commençais à faire poser les gens. Je rentrais développer dans ma salle de bain. Maintenant j’ai un placard spécial. »

« La vraie photo, c’est l’argentique »

Grâce à sa tchatche, rares sont les passagers qui refusent de se laisser prendre en photo. Sa collection représente aujourd’hui 46 classeurs qui contiennent chacun 60 pellicules de 24 photographies. Une passion qui coûte, en argent et en temps quand il laisse passer quelques courses pour obtenir LA photo. Mais ça ne le poussera pas pour autant à passer au numérique. « La vraie photo, c’est l’argentique. La couleur j’en ai fait un petit peu dans les discothèques, pour les costumes. Mais je sors presque tout en noir et blanc. »

IMG_5007Hamid ne se souvient pas de toutes les personnes qu’il a photographiées. Mais certaines l’ont marquées, comme ce couple de touristes japonais. « J’ai pris le temps de leur envoyer leur photo. Ils m’ont écrit après. » Parmi la centaine de photos exposées, on reconnaît quelques célébrités comme Sami Naceri, au tout début de sa carrière de comédien, un client quelconque qu’il n’avait pas reconnu. Tout comme le styliste Jean-Paul Gaultier.

Hamid prend surtout des gueules, des gens, mais il capture parfois la rue, les toilettes, les cours, les restaurants, les clochers d’églises, les ponts, les usines, les immeubles, les arbres, les squats, les aéroports. A Paris, Nanterre, le Vésinet, La Courneuve. Et depuis quelques années en Algérie aussi. « Tout a changé, surtout les transports avec les autoroutes, le tramway, le métro, le téléphérique, décrit-il. Même les balayeurs, qui n’ont plus leur balai en branches et sont maintenant en uniforme. Les bâtiments aussi. Je voudrais photographier ce changement, surtout figer ce qu’il reste de l’architecture coloniale. »

Rouguyata SALL

Dernier jour de l’exposition : 30 novembre, jusqu’à minuit, au Relais Restaurant de Pantin, 61 rue Victor Hugo.

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