A Clamart (Hauts-de-Seine), depuis 1965, la Petite Bibliothèque Ronde accueille les enfants du quartier « La Plaine ». Ce monument historique nécessite des travaux mais l’association qui gère les lieux craint de ne pouvoir revenir une fois la rénovation achevée. Reportage.

Je n’y comprends rien, vous allez fermer ?” Une jeune grand-mère, à peine entrée dans les lieux, interpelle Michèle Valentine, médiatrice du livre à la Petite Bibliothèque Ronde de Clamart. Cette dame a découvert l’endroit en 1994 à travers un article sur la visite de l’impératrice du Japon. Elle y amène sa petite-fille pour Le Poussin Masqué, l’atelier bimensuel de lecture d’histoires aux tout petits, animé par la médiatrice qui alterne avec des chants et le kamishibaï, théâtre de papier. Ce mercredi 2 novembre, ils sont six enfants à être venus, accompagnés des parents, mamies et assistantes maternelles ; un petit groupe d’habitués qui connait les comptines quasiment par cœur.

Offrir le meilleur de la littérature jeunesse aux enfants du quartier

Construite en 1965, la Petite Bibliothèque Ronde est un bâtiment à l’architecture insolite, classé monument historique depuis 2009. Neuf cylindres plus ou moins grands accueillent près de 30 000 documents. Dès les premiers croquis de cet espace de 600 m2, l’architecte Gérard Thurnauer et ses collaborateurs de l’Atelier de Montrouge, ont pensé à la libre circulation de l’enfant. C’est d’ailleurs l’une des premières et rares bibliothèques réservées aux petits. Une équipe de douze salariés y perpétuent l’objectif de la mécène Anne Schlumberger, riche héritière du groupe de services pétroliers du même nom : offrir le meilleur de la littérature jeunesse aux enfants de ce quartier populaire.

Vue aérienne

Crédits photo : La Petite Bibliothèque Ronde

Pas d’urgence à fermer la bibliothèque, dit l’association

Comme de nombreux bâtiments construits au XXème siècle, la Petite Bibliothèque Ronde contient de l’amiante, matériau isolant classé désormais cancérogène. Pour la municipalité, propriétaire depuis le don de la mécène en 1971, la mise en chantier est devenue inévitable pour “préserver cette bibliothèque, joyau du patrimoine clamartois, et continuer d’y accueillir des enfants dans les conditions d’hygiène et de sécurité requises », indique-t-elle dans le Clamart Infos de septembre 2016.

Mur des enfantsConsciente de la dangerosité de l’amiante, l’association qui gère la bibliothèque a fait entreprendre  en août 2015 un diagnostic technique : l’amiante est dite stabilisée et non volatile. L’association conteste alors le caractère urgent de la fermeture du bâtiment et demande à rester au cœur de la cité « la Plaine ». Desservie par le tramway T6 depuis fin 2014, ce quartier du Haut-Clamart et son voisin « Trivaux-La-Garenne », concentrent la majorité des logements sociaux de la ville. Ces dernières années, les 6 000 habitants ont vu la rénovation de leurs petits immeubles de quatre étages en brique rouge, le réaménagement de leur coulée verte et l’ouverture d’un poste de police municipale.

“La bibliothèque, c’est important pour la vie du quartier”

Intérieur PBRC’est un quartier très calme”, confie Mohand Chérif, 62 ans, habitant la Plaine depuis 25 ans. Ses enfants sont grands désormais mais il y a dix ans, il les emmenait encore à la Petite Bibliothèque Ronde. “Ils apprenaient des comptines, empruntaient des livres, participaient à des ateliers. Cette fermeture, c’est malheureux”, regrette-t-il. Mehdi partage cet avis : “La bibliothèque, c’est important pour la vie du quartier ». Il se souvient, nostalgique. « Quand j’étais petit, ma grand-mère habitait juste en face de la bibliothèque. J’y allais tout le temps. On s’entendait bien avec ceux qui y travaillaient. On pouvait lire, dessiner. On a passé de bons moments là-bas”. A 17 ans, lui et son ami Karim n’y vont plus mais trouvent la fermeture « dommage pour les petits”.

C’est la troisième pièce de la maison”, confirme Chloé Even, chargée de communication de l’association. “A l’ouverture, les habitants enlèvent leurs chaussures dès l’entrée. Il y a eu plusieurs générations d’enfants ici. Des mamans reviennent aujourd’hui avec leurs enfants. Et puis, nous sommes dans un quartier piéton. Les enfants peuvent venir seuls”.

« Si la rencontre avec la lecture se fait, il y aura peut-être moins de difficultés à l’école »

Michèle Valentine, elle, est arrivée en 2007, pour être selon ses mots, « de ceux qui font que le livre va rencontrer l’enfant et que l’enfant va rencontrer le livre ». “On les nourrit d’oralité, explique-t-elle. Ils développent leur goût pour la lecture et le plaisir de la lecture sans obligation. C’est notre rôle. Si la rencontre avec la lecture se fait, il y aura peut-être moins de difficultés à l’école”. Ses collègues et elle vont “chercher les gens les plus éloignés de la littérature”. Dans les parcs, où ils organisent des lectures publiques. Et même aux Restos du coeur où chaque semaine, ils s’occupent des enfants pendant “ce moment difficile” où les parents récupèrent les aliments qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter.

Michèle lit, chante, mime. Elle échange beaucoup avec les assistantes maternelles, comme Rim Chebli, 43 ans, qui ne rate pas un Poussin Masqué. Cette habitante de la Plaine depuis 12 ans fréquente la Petite Bibliothèque Ronde depuis autant d’années. “Je viens souvent, en tant que maman et en tant qu’assistante maternelle. La Petite Bibliothèque Ronde, c’est notre deuxième maison, ça fait partie de notre quartier.  Les enfants adorent ces séances où l’on chante, on écoute les histoires, on regarde les kamishibaï. C’est un moment important pour les petits et aussi pour nous, les professionnels”, explique Rim.

La bibliothèque accueille également des classes. L’association organise également une sortie annuelle, qui comme l’inscription à la bibliothèque, est gratuite. L’an dernier, ils ont réuni enfants de moyenne section et collégiens de 6ème, pour la création d’un album numérisé. Il y a aussi des ateliers d’adaptation, comme celui de Barbe Bleue, célèbre conte de Charles Perrault, qui donnera vie à un livre pop-up. “On nourrit les enfants du texte en leur lisant, en les laissant lire, en leur présentant d’autres adaptations, pour que chaque jour ils s’imprègnent de l’histoire. Puis, on les invite à créer leur propre interprétation. Je n’ai jamais vu un enfant ne pas y arriver. Si on fait attention à ce qu’ils font, si on est dans un rapport de sincérité, les enfants y arrivent”, décrit Michèle Valentine.

Impliquer l’enfant dans le fonctionnement de la bibliothèque

L’esprit de Célestin Freinet plane au-dessus des neuf cylindres de la Petite Bibliothèque Ronde. Cet instituteur a développé dans les années 1920 une pédagogie, qui porte son nom désormais, favorisant la libre découverte par les enfants, des grandes lois du langage, des mathématiques, des sciences, en les incitant à expérimenter, observer, comparer, imaginer des théories, vérifier.

Chloé Even a rejoint “ce projet intellectuel” il y a près de trois ans. Pour elle, la littérature jeunesse est au centre de tout et amène à découvrir aux tout petits toute forme d’art, comme le cinéma ou les arts graphiques. “Ici, l’enfant est respecté comme une personne. On part du désir de l’enfant, et même si on a notre fil conducteur, on peut aussi suivre ses idées. L’enfant est également impliqué dans le fonctionnement de la bibliothèque. Il peut être aide-bibliothécaire et faire les visites, s’occuper des retours et des emprunts, ça le responsabilise”.

Un collectif de soutien pour une garantie de retour

La renommée du lieu a attiré de nombreux stagiaires du monde entier, qui ont enrichi le fonds en traduisant les ouvrages de leur pays d’origine. Les enfants du quartier sont eux aussi attachés à la Petite Bibliothèque Ronde, comme Ben qui s’est exprimé dans le livre d’or. “La bibliothèque, c’est ma maison. Je ne veux pas qu’elle parte”. Ou Lou qui promet de se scotcher au sol pour empêcher la délocalisation !

Bibli ouverteUn collectif de soutien est rapidement né pour accompagner l’association et interpeller les pouvoirs publics. Ils sont une trentaine, dont Kaspar Vogler qui en 2015, a réalisé un film documentaire de 54 minutes sur la bibliothèque. Il définit la Petite Bibliothèque Ronde comme un lieu extrêmement vivant. “Il y a la volonté d’offrir l’excellence, culturelle et architecturale, à un quartier populaire. C’est une démarche forte de lier l’architecture, la pédagogie et l’offre culturelle. Ça devrait être une philosophie générale”.

Le collectif a lancé un site internet; une pétition en ligne a recueilli plus de 4 000 signatures et a décroché une tribune dans Libération pour appeler le ministère de la Culture à s’emparer du dossier. Ils ont aussi organisé plusieurs rassemblements autour de la bibliothèque. Leurs objectifs ? S’assurer d’une garantie de retour dans les locaux après les travaux et connaître les échéances de la rénovation. En juin dernier, il a été question d’un déménagement le temps du chantier qui, selon le maire “prendra plusieurs années d’études et de travaux”. Rien d’anormal pour les monuments historiques car tout immeuble classé ne peut être détruit, déplacé, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration, de réparatiMur de soutienon ou de modification, sans autorisation préalable du préfet de région. “On est sceptiques, confie Kaspar Vogler. On ne sait pas si les travaux vont réellement se faire. Il n’y a pas eu d’appel d’offre. La Direction régionale des affaires culturelles et l’architecte des bâtiments de France n’ont pas été contactés, ni-même les familles de la mécène et des architectes qui étaient avec nous lors du dernier rassemblement”.

Mi-septembre, les membres du conseil d’administration ont acté le refus du déménagement dans les nouveaux locaux situés à plus de 3 km. Le bail, envoyé par la municipalité quelques jours avant la réunion, ne répondait pas à leur principale exigence : la garantie de retour dans les murs. Le montant du loyer – les locaux actuels sont mis à disposition – risque d’entraîner le départ de plusieurs salariés. L’association qui fonctionne à 60% avec des fonds privés, attend par ailleurs toujours ses subventions municipales de 2015 et 2016.

Vue barricadée

Crédits photo : Collectif Notre Petite Bibliothèque Ronde

Dans le magazine municipal, une page entière “invite les enfants du Haut-Clamart à poursuivre leurs séances de lectures à la médiathèque municipale”. Même communication que sur la palissade métallique de 3 mètres, qui depuis le 4 octobre donne à la Petite Bibliothèque Ronde, toujours ouverte, une allure de chantier. L’association s’inquiète de cette précipitation, mais aussi de la mise en concurrence avec la proche médiathèque François Mitterrand.

Menace d’expulsion

Le jeune maire Jean-Didier Berger (LR) n’a pas donné suite à nos multiples sollicitations, ni ses collaborateurs qui ont reçu pour consigne de ne pas communiquer sur la Petite Bibliothèque Ronde. « J’ai pris l’engagement que cette Petite bibliothèque Ronde reste un lieu dédié à la lecture pour les enfants, répond le maire. Mais il ne revient ni à cette association ni à ses salariés de décider de l’avenir de ce lieu. C’est à eux de monter un projet solide pour prétendre y revenir à l’issue des travaux. Or, ils sont dans un très mauvais état d’esprit et sont désormais soutenus par mes opposants politiques ». L’association est par ailleurs menacée d’expulsions.

De l’autre côté, la mobilisation a porté ses fruits. Le ministère de la Culture devrait recevoir la direction de l’association, pour engager une médiation sur la rénovation du bâtiment et sur l’avenir de l’association au sein du monument historique cinquantenaire. Un tout petit premier pas dans la longue bataille inachevée.

Rouguyata SALL

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