Stages de rabatteurs, quotidien des salons de coiffure africains, histoire d’un quartier, rôle des femmes… Les réalisateurs du film La Vie de Château (sortie en salles le 9 août) reviennent sur le tournage et sur les thèmes qu’ils abordent dans leur premier long-métrage. Interview.

Le Bondy Blog : Comment vous vous y êtes pris pour retranscrire l’ambiance de Château d’Eau ?

Cédric Ido : On a eu l’idée du film avec le producteur Matthew Gledhill il y a quatre ans déjà. Depuis, on a passé énormément de temps dans le quartier, à observer, à se faire introduire par des connaissances, à parler de leurs galères… Le premier contact que j’ai eu, c’est par ma nièce qui se faisait coiffer là et qui connaissait un rabatteur. Et puis on était plus ou moins conscients de certaines choses, c’est une culture qui ne nous est pas étrangère. Je suis né en France mais à l’âge de trois ans, je suis parti cinq ans au Burkina Faso avec mes parents. Modi, lui, est russo-guinéen.

Modi Barry : On a beaucoup travaillé les dialogues pour qu’ils soient les plus authentiques possibles. On a aussi demandé à plusieurs des acteurs de faire des stages sur le boulevard. Eric Abrogoua, Jean-Baptiste Anoumon, Hoji Fortuna…  Ils ont été coachés par des rabatteurs et pendant quelques jours ils ont essayé de ramener des clients. Ils ont pu réaliser à quel point c’est dur. En fait, tu te fais insulter toute la journée. Normal, une femme qui marche à pied de la Gare de l’Est à Strasbourg-Saint-Denis, elle se fait alpaguer une bonne centaine de fois. La centième fois, elle te lâche un mot pas très poli. Mais du coup, tu mets ton égo de côté.

Le Bondy Blog : Quelle a été la réaction des rabatteurs en vous voyant débarquer avec votre projet de film ?

Modi Barry : Ils le prenaient assez bien ! Les rabatteurs étaient contents qu’on viennent leur annoncer, qu’on ne fasse pas le truc en cachette et qu’on discute avec eux. Ils ont été rassurés par le fait qu’on veuille faire une comédie qui donne une image positive du quartier. L’idée d’un documentaire les faisait flipper parce qu’il y a déjà eu pas mal de polémiques, d’intrusions en caméra caché, de trucs à charge.  Avec nous, ils savaient que ça n’était pas le but.

Cédric Ido : Comme ça a duré très longtemps, au bout d’un moment on a fini par se fondre dans le décor. Ils savaient qu’on était les gars qui allaient faire un film dans le quartier mais ça prenait tellement de temps qu’ils ne nous croyaient plus ! On était un peu les mecs mytho avec des grands projets mais qui n’arriveraient jamais au bout. Comme pas mal de types ici finalement, sauf que nous ça n’était pas le football.

Le Bondy Blog : Au sujet de ces articles qui dénoncent l’exploitation dont sont victimes certains employés sans-papiers, c’était un choix de ne pas en parler dans le film ?

Modi Barry : En fait, il y a de l’exploitation dans certains salons, qui ont fermé, mais il n’y en a pas dans d’autres. Il y a un mode de fonctionnement différent dans chaque établissement et le problème c’est que les médias se sont focalisés sur ce qui ne fonctionne pas. Notre volonté, c’était de montrer ce qui se crée à partir de cette situation, sans avoir de discours moral sur ce qui est légal ou pas.

Cédric Ido : On n’a justement pas voulu tomber dans ce réflexe de répondre à l’attente des gens. Tout le monde ne connaît que ça de Château d’Eau, nous, on montre autre chose.

Le Bondy Blog : Le salon présenté dans le film est géré par un homme blanc, interprété par Gilles Cohen. Ça dépeint une réalité ?

Modi Barry : Oui, c’est souvent le cas. C’est un quartier qui est juste à côté du Sentier, où les Juifs sont arrivés et louaient des entrepôts à de vieilles familles françaises. À l’origine, c’était le quartier des perruquiers de théâtre. Et il y a un grossiste de matériel de coiffure qui s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de clients africains mais pas de salon pour eux. Il a ouvert un premier salon et ça a tellement marché que rapidement, les autres commerçants se sont mis à ouvrir des salons. Finalement, les Juifs ont fini par racheter les entrepôts aux vieilles familles et c’est aussi ce qui est en train de se passer pour les Africains qui rachètent progressivement les salons.

Le Bondy Blog : Dans ce que vous montrez, ce sont les femmes qui gèrent les salons tandis que les hommes travaillent pour elles…

Cédric Ido : La plupart des salons sont tenus par des femmes. Elle s’occupent de la gérance, font la comptabilité, etc. Parce que les mecs, en général, ne s’intéressent pas à ça, ils s’en foutent de comment le business fonctionne.

Modi Barry : C’est un truc qui va au-delà de Château d’Eau. Ce qu’on trouvait intéressant, c’est de montrer à quel point les hommes en général sont vachement dans le fantasme. C’est-à-dire qu’ils ont toujours l’impression que leur situation va s’améliorer du jour au lendemain, grâce à une bonne idée, le loto, le tiercé, tout ce que tu veux. Ils ne pensent pas au fait qu’entre la phase de départ et celle où la situation va s’améliorer, il y a un travail quotidien et permanent. J’ai l’impression que les femmes sont beaucoup plus conscientes que pour arriver à certains objectifs, il faut mettre en place certaines choses. Dans le film, la plupart des personnages masculins fantasment, que ce soit Dan qui pense qu’il est cocu ou Charles qui rêve de son salon.

Cédric Ido : Mais c’est aussi parce que ce sont des mecs qui sont arrivés à Paris avec le désir de réussir, et malgré les réalités, ils ne veulent surtout pas lâcher ce désir.

Propos recueillis par Lina RHRISSI

La Vie de Château de Modi Barry et Cédric Ido. Sortie nationale le 9 août 2017

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