Fatou Diome est née au Sénégal. Elle arrive en France en 1994 et vit depuis à Strasbourg. Celle qui se dit « Française par choix, donc par amour mais aussi par résistance » explique sa colère devant certaines déclarations politiques qui font de l’identité nationale un totem sclérosé, dans Marianne porte plainte ! Elle porte plainte aussi auprès de chaque lecteur. Compte-rendu.

Un cri du coeur en forme de livre pour exprimer son amour mais aussi sa colère. Dans Marianne porte plainte ! l’écrivaine sénégalaise Fatou Diome clame son amour pour la France, « sa mère adoptive« , et critique un discours ambiant fait de haine et de rejet et installé depuis plusieurs années, qui donne une teinte confessionnelle et identitaire à la question sociale.

Avec sa plume, elle entend combattre ceux qui tiennent des propos sexistes, racistes, islamophobes et antisémites, ceux qui divisent la société française et ne veulent pas admettre la diversité des enfants de Marianne. Dès le début de son ouvrage, Fatou Diome prévient : « Messages de malheur, toujours à tirer, accuser, rejeter, ils sont prêts à sonner la curée; je ne serai pas de ceux qui auront laissé les loups dévorer les agneaux au nom de l’identité nationale. Marianne porte plainte !« 

« La France est multiple, ses passions successives, ses idoles innombrables »

À travers un ouvrage qui mêle faits sérieux, poésie et humour, Fatou Diome s’en prend aussi aux responsables politiques. Pour certains, l’identité nationale, qu’ils ont réduite à un accent ou une confession religieuse, est devenue une obsession, surtout en période de campagnes électorales. L’écrivaine dénonce des positions qu’elle juge « immorales » voire « obscènes« . Elle renomme notamment Marine Le Pen, présidente du Front national, en « Marie-Marchand-de-Haine »et François Fillon, le candidat des Républicains à l’élection présidentielle, en « François-fions-nous-à-Dieu ». Ce dernier avait déclaré que « La France n’est pas une nation multiculturelle« . Une affirmation à laquelle, Fatou Diome semble reprendre en s’appuyant sur une histoire commune et une identité républicaine à travers ces mots : « La belle France à laquelle on se réfère quant-aux droits de l’Homme n’est pas aussi celle du code de Colbert, peut-elle se dissocier de celle de l’esclavagiste et colonialiste, sans mutiler son identité ? […] La France est multiple, ses passions successives, ses idoles innombrables. Son identité lui ressemble ».

Au fil de sa pensée, Fatou Diome tacle également sévèrement ceux qu’elle appelle les « adoptés possessifs« , à savoir « Nicolas Sarkozy le Hongrois« , la « manipulatrice et gesticulante Nadine Morano » encore « le recycleur Manuel Valls » qui, selon elle, revendiquent tous une identité de la France à part entière faisant fis de leurs origines. Selon l’auteur de Marianne porte plaine ! ils devraient faire preuve de modestie quand ils abordent un tel sujet. « Un peu de modestie quand vous parlez de l’identité nationale. Votre langue ne suffira pas comme ciseau pour ôter à Marianne sa part africaine. […] Si votre vision de l’histoire était complète, vous sauriez que, parmi ceux auxquels, vous contestez ce pays, nombreux sont des silencieux capables de revendiquer autant que vous, sinon plus légitimement. Autant qu’à vous, la France en sa liberté, appartient aux descendants de ceux qui sont morts pour la défendre », estime Fatou Diome.

L’écrivaine revient sur les polémiques et les divisions nées du débat sur la déchéance de la nationalité qui avait occupé une grande partie de la sphère médiatique. « L’honnêteté commande d’admettre que la déchéance de la nationalité était une mesure raciste, car ne visait que les binationaux, les citoyens venus d’ailleurs principalement les non-blanc. Marianne porte plainte ! »

« Ce n’est pas l’islam qui menace la France, mais les fous de Dieu »

Chez Fatou Diome, la déception est grave. Son amertume vise aussi une certaine élite intellectuelle incarnée par Alain Finkelkraut ou Eric Zemmour qu’elle estime être des « bandits » dépositaires « d’idéologies diaboliques » qui menacent la cohésion sociale. « La France a un problème avec les terroristes, certes, mais également avec ceux qui pratiquent le chasse aux sorcières, leur désignant sans cesse des ennemis, au risque de renforcer les réflexes communautaristes ». En outre, Fatou Diome reproche à ces intellectuelles de faire des amalgames et d’accuser de tous des les maux de la société une minorité de la population, à savoir les musulmans. « Ce n’est pas l’islam qui menace la France, mais les fous de Dieu, minoritaires parmi les musulmans. Gare aux amalgames ! », écrit-elle.

L’écrivaine quadragénaire veut rétablir une justice équitable et mettre sur un même pied d’égalité tous les enfants de Marianne. Elle croit qu’il ne sera pas possible d’intégrer « les dignes fils de Marianne » tant qu’on continuera à les marginaliser, tant qu’on continuera à la juger sur leur couleur de peau, leur religion, leur cultures divers plutôt que sur leurs compétences. « Ces identifiables enfants colorés ne sont pas plus bêtes que les autres, mais pour le prouver, il faudrait qu’ils bénéficient les mêmes opportunités que leurs frères. Si la blancheur n’est pas une compétence, pourquoi en faire un argument dans le recrutement d’employés », déplore-t-elle.

Fatou Diome s’appuie aussi sur les bases de la langue française en guise de facteur d’unité, affirmant par exemple que « le trait d’union en français, on s’en sert pour rallier, relier, corréler des signifiés quand la paresse ne conçoit que des dissociés. […] Cette manie du tri cause tous les drames humains, si l’on n’y prend pas garde, c’est elle qui nous perdra. Face aux possessifs, ces isolationnistes à l’esprit répulsif qui malmènent une partie de la population française, les enfants de Marianne portent plainte ! »

« Française par choix, par amour mais aussi par résistance »

Fatou Diome se veut tout de même positive. Pour elle, les enfants de Marianne sont tous liés par une chose : la devise de la République française, « Liberté, Egalité, Fraternité ». Elle s’appuie aussi sur la Constitution française pour étayer ses dires. « Dès son article premier, notre constitution stipule que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Et d’ajouter : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

À l’heure où certains considèrent l’immigration comme un danger pour la France, mettant de côté son histoire, celle qui affirme être devenue « Française par choix, par amour mais aussi par résistance« , estime que ce pays vaut mieux que le repli identitaire. « La mémoire courte, les dents longues, les populistes parlent, la bouche pleine de binarités, d’abord la juxtaposition, plutôt différenciation : eux et nous, les immigrés etnous, les musulmans et nous, les réfugiés et nous ensuite l’opposition mutant au rejet : eux ou nous ? Cette litanie leur tient lier de programme politique », écrit-elle. Quand le « eux et nous » oriente le discours, c’est la victoire des amalgames et du rejet de l’autre qui se dessine.

Alors dans le dernier chapitre de Marianne porte plainte ! Fatou Diome évoque l’éducation en guise de solution. Selon elle, l’éducation est à la base de toute maturité. « Face à toute obscurité, je chercherai toujours l’issue de secours dans l’éducation, parce qu’elle seule libère l’individu de ses propres limites pour lui offrir le monde ».

Kab NIANG

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