Bondy Blog : Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre en scène la vie de votre père ?

Michel Djiwonou : Une anecdote a suffi à amorcer cette envie. Mon père est quelqu’un qui parle quand on se montre attentif à ce qu’il dit. Aux Tarterêts, il est connu comme le menuisier, notamment pour avoir réparé tous les meubles des habitants. J’ai passé pas mal de temps à l’écouter me raconter sa vie. Il me parlait du pays (le Togo, ndlr), de son enfance, de son arrivée en France, de ma mère et sans le savoir, j’emmagasinais tout ça. Je n’avais pas encore imbriqué mais je l’entassais dans mon esprit.

Plus récemment, après mes années de théâtre, il y a cinq ans, j’ai décidé de noter ce qu’il me disait. Je partais sur l’idée d’en faire un livre car j’aime écrire. De fil en aiguille, mon expérience dans le théâtre a pris le dessus et j’ai pris la décision d’en faire une pièce. Néanmoins, il n’y avait pas encore le déclencheur. Un jour, il m’a évoqué une anecdote – que j’évoque dans la pièce – qui m’a immédiatement donné le feu vert. Je me suis dit que plus rien ne devait m’arrêter, qu’il fallait y aller, qu’il fallait raconter et porter sur scène ce chemin de vie.

Votre père s’est-il facilement prêté au jeu de la confession ?

Mon père n’est pas bavard. Si on ne lui demande rien, il ne dira pas grand-chose. Quand je lui ai dit que j’écrivais sur sa vie, il n’a pas tout de suite compris la pertinence. Il ne comprenait pas que son existence, aussi singulière soit-elle, soit portée sur scène. Par pudeur, il voulait garder sa vie pour lui et ses enfants. L’exposer devant des personnes avec Internet et les réseaux sociaux ? Il avait un peu de mal. Je l’ai rassuré en lui disant que son histoire pouvait parler à beaucoup de personnes.

Mon père est quelqu’un de très pudique mais de fil en aiguille, il s’est confié. Peut-être parce qu’il sait qu’il est plus proche de la fin que du début. Il sait qu’il n’est pas éternel même si souvent je le taquine sur sa santé de fer du haut de ses quatre-vingt-trois années. Il a une hygiène de vie irréprochable, une alimentation saine et lit beaucoup. Finalement, après avoir vu la pièce, il m’a remercié pour ce cadeau.

Que vous a-t-il dit, à ce moment-là ?

Il m’a parlé d’amour. Le lendemain de la première, il m’a appelé à six heures du matin et m’a parlé pendant cinq minutes, sans s’arrêter. Il m’a dit : « Tu vois les gens qui étaient dans la salle ? Il s’agit de personnes qui t’aiment et tu te dois de leur rendre cet amour. Ils sont venus pour le spectacle mais ils sont aussi venus pour toi ». C’était un discours qu’il ne m’avait jamais tenu auparavant. Je me suis rendu compte qu’il y avait de la richesse dans l’humilité de mon père et j’étais encore plus satisfait d’avoir mis ça sur scène.

Mon voyage au Togo m’a permis de tout visualiser

Cette pièce a-t-elle changé quelque chose à votre relation avec vos parents ?

Il n’y a pas eu tant de changements que ça même si je me permets plus de choses que d’habitude. Cela nous a encore plus rapproché dans le dialogue, le conseil et même dans l’affect. Avant, j’aurais parlé de respect dans la relation avec mes parents. Aujourd’hui, je n’hésite pas une seule seconde à parler d’amour. Si je pouvais ériger une statue en leur honneur, je le ferais. Je suis au courant de leur histoire, je sais ce qu’ils ont traversé. Mon père est mon super-héros. Il est humble et respectueux et surtout, il n’a pas d’ennemis.

Pendant l’écriture de cette pièce, vous vous êtes rendus au Togo. Pouvez-vous nous en dire plus ?  

Je dois beaucoup à mon entourage. Yse Boberiether, ma metteuse en scène, qui m’a proposé de jouer ma pièce devant un groupe d’amis pour savoir si nous faisions bonne route. Mon ami Dahmane n’avait rien à redire sur ma présentation mais m’a demandé si je projetais d’aller au bled afin d’aller voir, sentir et toucher le lieu que tu es en train de décrire. Ce n’était pas dans les plans, je pensais que ce n’était pas nécessaire. En fait, il avait raison à 10000%. Mon voyage au Togo m’a permis d’être encore plus prêt de l’authenticité que j’essayais de chercher et de retranscrire. Grâce à ce voyage, j’ai réussi à me rapprocher de la matière de mon père : son chemin pour aller à l’école, l’atelier où il a travaillé. J’ai pu tout visualiser.

Le voyage de votre père retrace aussi celui de millions de personnes qui ont émigré. Comment cela a été reçu par le public ?

Mon spectacle a eu une sorte de résonance chez les personnes qui ont vu ma pièce car il y a l’histoire d’un père, d’un oncle, d’un cousin qui fait écho à celle de mon père. À travers le voyage de mon père, j’ai voulu montrer l’universalité, la transmission et l’héritage mais aussi les questions qui les accompagnent : « Est-ce que je prends l’héritage de mon père ou est-ce que je m’en débarrasse ? Est-ce que je m’inscris dans la continuité ou est-ce que je coupe ce fil ? ».

Au-dessus de tout, je mets l’universalité et il ne s’agit pas là d’un slogan publicitaire. Un Africain qui a émigré en Asie, un Breton qui émigre en Amérique Latine ; si dans le voyage de mon père, quelqu’un se reconnait dans la trajectoire, dans la douleur, dans l’angoisse, dans les rêves et bien, j’ai réussi à transmettre mon message. 

Le craquellement sous vos pieds quand vous montez sur scène… C’est quelque chose.

Vous nous avez dit que l’idée de base était d’en faire un livre. Comment vous est venue l’envie de faire du théâtre ?

Les chemins de vie aux Tarterêts et les trajectoires ne sont pas nombreuses. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont été présents ; ils n’ont pas compté les sacrifices et l’école a toujours été primordiale. Tous les soirs, mon père nous demandait, mes six frères et sœurs et moi, ce que nous avions appris de la journée et nous devions en rendre compte. Nos parents étaient derrière nous mais aussi à nos côtés. Ils étaient exigeants car ils voyaient en l’école un moyen de s’en sortir.

J’étais résolu à faire ce dont je rêvais et je ne voulais pas décevoir mes parents. Animateur de centre de loisirs, je suis tombé sur Michael Lebail qui m’a proposé de monter Othello de Shakespeare et j’en ai rigolé : je n’avais aucune culture littéraire et théâtrale. Il a insisté.  Deux ans après, je rentrais dans sa troupe pour m’entrainer et on a effectivement fini par monter Othello de Shakespeare. J’ai remonté mes manches et je me suis mis au travail. Je ne me suis fixé aucune barrière, je ne me suis pas dit que mon adresse postale devait limiter mes choix. On a valorisé mon travail, on a valorisé ma personne et cela agissait comme du carburant.

À coup sûr, le spectacle m’a rendu vivant. Je vous conseille de monter sur une scène et d’écouter le craquellement sous vos pieds. C’est quelque chose. On parle de virus quand on parle de théâtre, j’ai été touché. Je suis passionné par ce que je fais et l’effort ne me fait pas peur.

Vous êtes aussi père de famille, qu’espérez-vous avoir transmis à vos enfants ? 

La question du sens est importante. Il faut susciter la curiosité et les questionnements afin de les accompagner dans la construction de leur projet. À travers la pièce, j’espère avoir transmis le goût de l’effort. Ma fille me voyait écrire jusqu’à une heure du matin. Elle me questionnait sur chaque avancée et me voyait partir en répétition. Est-ce qu’ils vont se rendre compte que j’ai bossé comme un dingue pour ça ? J’ose espérer. Ce qui m’intéresse de leur faire prendre conscience qu’on n’a rien sans rien. Là, ils ont vu la pièce mais ils ont aussi assisté au processus créatif : le travail, l’écriture, les répétitions, les difficultés. Je leur ai partagé tout ça, mes enfants étaient aussi présents lorsque je parlais avec mon père et me questionnaient.

Vous êtes montés deux fois sur scène à guichet fermé. Quelle est la suite pour Le Voyage de mon père ?

Il y a un an et demi, quand je suis allé voir la MJC, je leur ai demandé trois dates. Ils m’ont dit que c’était impossible de remplir une salle complète à trois reprises. Malgré ma conviction assumée, je n’ai réussi à n’avoir que deux dates. Seulement, trois semaines avant le spectacle, les deux dates étaient complètes et les demandes ne désemplissaient pas. Après réflexion, la MJC a finalement décidé de prévoir une troisième date : le 13 avril 2019. Mon ambition, maintenant, est de jouer partout où c’est possible même à l’étranger. On est lancés, on est convaincu que mon spectacle est d’utilité publique. Il y a un triptyque pour Le Voyage de mon père : spectacle, débat et un atelier d’écriture. Ma pièce s’inscrit dans un projet pédagogique afin de mettre aux gens aussi de se livrer. L’histoire de mon père, c’est l’Histoire de France et je crois, fondamentalement, qu’il faut reconnaître la valeur des histoires qui font l’Histoire.

Propos recueillis par Yassine BNOU MARZOUK

Crédit photo : Diemby MAKABI

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