Art urbain et éphémère par excellence, le grafitti est malmené par les transformations des anciennes zones industrielles. S’éloigner pour s’exprimer ou figer sa bombe sur une toile pour exister, ce art doit trouver ses nouvelles muses.

Le canal de l’Ourcq est un élément fort de l’identité de la Seine-Saint-Denis. Il traverse le département d’est en ouest, passant par de grandes villes comme Pantin, Bobigny, Bondy et de petites agglomérations de Seine-et-Marne. Les territoires qui bordent le canal sont riches pour la Seine-Saint-Denis comme pour la métropole francilienne. Hier marqués par la désindustrialisation, les territoires comptent désormais de multiples opportunités permettant d’envisager des projets innovants.

Dans le cadre de l’appel à projet lancé par Paris Métropole, le Conseil général de la Seine-Saint-Denis a souhaité élaborer un projet fédérateur en faveur du développement durable. Ces projets doivent être cohérents et complémentaires et garder une dynamique et une identité commune. Il y a 14 communes, dont 2 communautés d’agglomérations présentent sur le territoire de la Seine-Saint-Denis qui s’engagent pour le département, et pour la ville de Paris (propriétaire du canal) à améliorer la vie des habitants. Et ce, tout en respectant les trois grands volets du développement durable : social, économique, écologique.

La priorité du projet du Grand Paris est de mettre en valeur le potentiel de chaque territoire. Suite à cette initiative, le canal de l’Ourcq connaîtra de grandes transformations. De nombreuses démolitions, rénovations et créations sont en négociation. Toutes les berges le long du canal seront démolies pour optimiser une meilleure communication entre le centre-ville et le canal.

Or la formidable empreinte du canal de l’Ourcq, ce sont ses graffitis qui bordent les rives. A ce jour, rien n’a été prévu pour préserver l’ensemble des graffitis. En ouvrant l’espace, on confisque la toile de l’artiste. Notre territoire risque de perdre un patrimoine artistique urbain, qui a trouvé là, un moyen d’exister et d’exprimer son identité. La mutation urbaine, le développement durable et l’art éphémère peuvent-ils évoluer ensemble ?

Le graffiti est l’art majeur des grandes agglomérations. C’est un mode d’expression très présent en périphérie de Paris. Il est aussi précieux pour son message, comme le confie Marko 93, graffeur de renom : « le tag, c’est une façon de s’exprimer, une façon de rencontrer des gens, de découvrir de nouveaux endroits, de communiquer. Les passants vont s’arrêter, regarder, observer, discuter avec moi. Il y a un vrai échange ».

Mais également pour sa particularité, comme l’explique une journaliste de FatCap (site sur le grafitti et le street art): « le graffiti et le tag ont vraiment l’art de la typographie. Il y a énormément d’arts qui sont figuratifs, mais très peu d’arts où l’on s’intéresse à l’art de la lettre. Il y a la calligraphie arabe par exemple, ou encore orientale, chinoise, et aussi le graff. Nous jugeons donc important de protéger un de ces rares arts qui valorisent la typographie ».

Bien que tous défendent l’idée de préserver cet art de rue, tous sont conscients que le graffiti est un art éphémère. Derrière l’ambition de préserver leurs toiles urbaines, les graffeurs sont sans cesse en quête de nouveaux territoires, de nouveaux murs, et ce, en admettant le changement.

« Par essence même, le graff, le tag tout ça, c’est éphémère. Dès le départ, on est conscient que les choses ne sont pas éternelles, c’est justement une des choses qui nous forcent à chaque fois d’essayer de faire mieux. C’est plutôt un bon challenge. Maintenant, tout ce qui est rénovation de tous les milieux urbains, c’est aussi ce qui nous permet d’intervenir là dedans. Moi qui suis originaire du XIX° arrondissement, au bord du canal de l’Ourcq, j’ai du bouger de là où je suis né, car tout est en train de se faire raser, c’est le jeu… On ne peut malheureusement pas l’empêcher ! On essaie de se faufiler là dedans et d’accompagner le mouvement », confie Da Cruz, autre graffeur reconnu dans le milieu.

Malheureusement, il ne s’agit plus simplement de réitérer ou de renouveler sont art. Plus le temps passe, plus le territoire de prédilection des graffeurs est restreint. C’est certainement ce manque d’espace, qui a poussé certains graffeurs a exposer certaines de leurs «toiles» dans des musées. Une sorte de compensation qui confronte les conservateurs d’un art de rue, aux artistes qui cherchent a le faire évoluer avec son temps. Le graffiti peut-il se mettre en boîte ?

« Chacun a un avis différent ! Certains s’expriment très bien sur toile, d’autres non ! Peut-être que la toile est un objet marketing du mur. C’est une manière de vendre son graff. Je trouve beaucoup plus de plaisir sur un mur que sur une toile, par rapport à l’influence du milieu, la dimension… Mais je ne suis pas du tout contre, si des artistes arrivent à vivre de ça, c’est tout à leur honneur. Ce n’est pas vendre son âme ! », sourit Marko.

La question sur la place du graffiti est très difficile a évaluer, le graffiti a émergé dans la rue. A l’origine c’est un mouvement contestataire, c’est ce qui en fait un art intéressant et qui lui donne sa légitimité dans le monde artistique. S’il ne se pratique plus dans la rue, sera-t-il toujours cet art singulier ? Tout l’enjeu complexe du renouvellement urbain et environnemental est là. Comment une population peut s’approprier un territoire si les transformations sont faites sans leurs concertations et si l’on ne garde rien de ce qui fait son identité.

Jasmin Nahar

 

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