Dans le 17 ème arrondissement parisien, un salon littéraire de plein air a permis aux auteurs estampillés banlieue de rencontrer le public parisien. Des gars de Villiers à Berthet, beaucoup s’étaient donné rendez-vous.

Pour une fois, nul besoin de prendre le RER ou de traverser le périphérique pour aller en banlieue. Ce samedi, ce sont les auteurs de littérature dite « de quartier » qui sont venus à la rencontre de leur public, à Paris, emmenant avec eux leurs mots et leurs imaginaires. Cité en mouvement [basée à Fontenay-sous-Bois, 94] a monté cette première opération baptisée des « Quartiers et des livres ». L’association a fait un joli pied de nez en s’installant pour une après-midi dans le 17 e arrondissement au square Martin Luther King. A la frontière du Paris des Batignolles bobo voire bourgeois tout court et du Paris plus déshérité de la Porte de Saint-Ouen.

A première vue, la réussite de ce salon littéraire en plein air semble compromise. Le cocktail « temps incertain + livres » n’est pas à proprement parler le plus attirant des programmes quand on est adolescent. Un léger crachin oblige les flâneurs à s’abriter sous les chapiteaux blancs dressés pour l’occasion. Chacun abrite deux auteurs. Certains devisent avec des visiteurs tandis que d’autres dédicacent leurs ouvrages. L’ambiance est détendue, Les gars de Villiers fument la chicha, tandis que d’autres se contentent de dévorer les crêpes offertes aux auteurs. Ces crêpes sont d’ailleurs confectionnées par les jeunes qui fréquentent les deux associations partenaires et qui ont été associés à la manifestation. Les cuisiniers d’un jour s’attellent à fabriquer des barbes à papa bleues.

Elsa Ray la secrétaire de l’association explique avoir eu l’idée de ce salon en plein air après la sortie du livre de Mara Kanté, Préjugé coupable, un récit dans lequel il raconte comment il a été incarcéré à tort pour avoir participé aux émeutes de Villiers-Le-Bel en 2007. « Son livre, beaucoup de jeunes s’y intéressaient lors d’interventions scolaires. Et je me suis dit que ce n’était pas le seul auteur à être issu des quartiers populaires », précise Elsa Ray. D’où l’idée de les mettre en lumière. Plusieurs profils d’auteurs se mêlent. Des écrivains dans le sens noble du terme, auteurs de pure fiction comme Mabrouck Rachedi, ou des auteurs venus livrer un témoignage comme Mara Kanté ou Les gars de Villiers.

Elsa Ray explique que Cité en mouvement, s’est associée avec RTT prod et Actions jeunes qui œuvrent dans le 17ème arrondissement. La secrétaire de l’association entend aussi par cette opération promouvoir l’exemplarité. « Ce n’est pas parce qu’on a fait de la prison comme Mara Kanté ou Berthet qu’on ne peut pas s’en sortir ou qu’on vient d’un quartier qu’on ne peut pas écrire. Les jeunes en sont capables ». D’ailleurs dans l’allée dévolue au salon les passants s’arrêtent devant un mur barbouillé de rêves d’enfants. Toujours dans cette idée que chacun a des rêves, un « Mur mur des cités » est installé. Tout le monde peut y consigner son désir le plus profond, avec une orthographe plus ou moins hasardeuse comme cette jeune fille qui rêve de « devenir milliardère en gagnant au Lotto (sic) » ou cette autre qui veut devenir « avocate ». Certains formulent des envies plus accessibles comme « une barbe à papa » ou « une crêpe ».

La littérature dite de banlieue est un genre qui charrie son lot de clichés. Les auteurs présents sur place, insistent sur le fait qu’ils n’écrivent pas spécialement pour les jeunes des quartiers mais pour un public plus large. La jeune Dali Touré, 19 ans, explique ne pas « viser un public précis. J’écris sur des faits sociaux divers auxquels tout le monde peut s’identifier comme l’anorexie ou le problème des sans-papiers par exemple ». La jeune femme originaire d’Aulnay-Sous-Bois a écrit son premier roman à 14 ans et l’a publié un an plus tard en s’auto-éditant. Elle fixe elle-même les prix qu’elle ne veut pas voir excéder 10 euros pour qu’ils restent accessibles à tous.

A ses côtés le turbulent Nadir Dendoune, venu dédicacer ses deux récits Lettre ouverte à un fils d’immigré et Le Tocard sur le toit du monde, est plus cru « ça me fait kiffer de faire un truc sur les quartiers chez les bourges de manière décomplexée parce que ça me dérange qu’on soit considérés comme des auteurs de banlieue. Ici ce que j’aime c’est qu’il y a de l’échange. J’ai parlé avec une vieille dame peut-être que ça va dédramatiser son rapport aux quartiers populaires ». Preuve à l’appui, il s’adresse dans un langage très châtié à un vieil homme qui s’approche du stand. « Ce sont deux mondes qui se croisent mais ne se rencontrent jamais. C’est comme les jeunes de quartier, ça ne veut rien dire. Ce sont des jeunes Français avant tout ».

« J’aime bien les trucs réels où on peut se voir dedans »

Nadir Dendoune est lucide. Il s’énerve de voir que parfois dans le milieu de l’édition un certain paternalisme, et opportunisme aussi, soit de mise. « A force de se voir comme des victimes certains jouent la carte du misérabilisme et sont publiés alors qu’ils ne savent pas écrire. » Les gars de Villiers eux ont démarché près d’une centaine de maisons d’édition avant d’être publiés. Aujourd’hui ils présentent leur livre éponyme, sorti en octobre 2011. Les gars de Villiers, ce sont dix jeunes originaires du quartiers des Hautes-Noues à Villiers le bel qui ont décidé de décrire leur vision de leur quartier, aidés par Pascale Egré, journaliste au Parisien.

Mossi Traoré, 27 ans explique que leur envie d’écrire a été déclenchée par les émeutes de 2007 et les clichés qu’ils ont pu lire et percevoir sur leur ville. « On se connaît depuis le collège, on a fait des conneries ensemble mais là on est allés au bout de notre démarche. » Hadama Bathily ajoute « on a plusieurs amis qui sont partis à l’étranger, on a réalisé que le destin fait que nos liens éclatent ». Ce livre est devenu leur lien et leur moyen de casser les caricatures. Leur présence dans cette rencontre leur permet de montrer que « tout est possible », car disent-ils souvent « les gens de cité sont introvertis et se sentent écrasés ».

MurMurMossi poursuit « ce livre s’inscrit dans une démarche positive et prône de se battre ». Eux aussi n’ont pas envie que leur ouvrage ne soit lu que par des gens de quartiers, ils espèrent plutôt qu’il traverse le périphérique. « On a envie de partager ce livre ». Contrairement à l’idée répandue Mossi explique ne pas avoir été réfractaire à la littérature plus jeune. Même si écrire c’est plus compliqué. « Petits, on allait à la bibliothèque on aimait bien lire et on se disait qu’il fallait avoir de la répartie dans le quartier et aussi que pour draguer les filles il faut être un peu poète » ajoute-t-il en riant. « Le langage est une matière à exploiter et nous a permis le voyage le plus intéressant qu’on ait jamais fait ensemble ».

Sur place, le public visé à savoir « le jeune de quartier » est plus mitigé. Noha et Moussa, 17 et 18 ans originaires de la Porte de Saint-Ouen sont surtout venus pour aider à monter l’opération. Les deux amis n’ont pas parlés aux auteurs présents, disant avec mauvaise foi « qu’il n’y a pas grand monde devant leur stand, ça ne donne pas envie ». Certes ce n’est pas la foule des grands jours mais des grappes de plusieurs personnes passent d’un stand à un autre. Noha dit ne lire de toute les façons que des mangas comme Naruto ou Full Metal Alchimist. Moussa, encore plus pragmatique, dit ne lire que les livres « de l’école » et « que de toute façon tous les livres sont adaptés en films. J’attendrais que les livres des auteurs qui sont là aient leurs livres adaptés ».

Leur ami Chams tient un discours différent. A 17 ans, il dit que la lecture ne le rebute pas et se dit heureux de « voir des gens comme nous, venus des quartiers, écrire. Parce que pour nous un écrivain c’est un mec qui porte un costard et des lunettes. Ça prouve que n’importe qui peut écrire et que tout le monde a des choses à dire ». Lui-même, qui a bien aimé « Les Misérables », aimerait aussi, pourquoi pas coucher, sur papier deux ou trois idées. « J’aime bien les trucs réels où on peut se voir dedans » conclut l’adolescent. Et promet qu’il va aller discuter avec les auteurs.

Mabrouck Rachedi, installé un peu plus loin, est venu pour des jeunes comme Chams. L’auteur qui a publié trois excellents romans, aimerait que chacun des jeunes pense que « c’est possible ». « Le but de ce genre de rencontres n’est pas que mercantile, explique-t-il, cela contribue à rapprocher les gens. Les lecteurs sont curieux. Une dame m’a dit qu’elle avait lu mes chroniques et m’a demandé des conseils d’écriture ».

Pour l’auteur être présent ici c’est donc une manière de transmettre sa passion. « Au départ les gens sont timides et il pleut, ça peut décourager. Mais il ne faut pas se contenter d’une seule rencontre. C’est dans la longueur que les choses changent ». Badin, Mabrouck Rachedi ajoute avec une emphase feinte : « Nous sommes dans le Square Martin Luther King qui a fait un rêve. Moi mon rêve c’est que chaque jeune réalise les siens ».

C’est le mot d’ordre de l’après-midi, puisque Mara Kanté aussi explique avoir voulu faire de son expérience en prison quelque chose de positif. Une manière pour lui « de casser les clichés des bobos ». « Les auteurs viennent du même milieu, mais chacun vient avec son histoire, on part de rien et on peut faire des choses ». Mara, depuis sa sortie de prison, veut devenir éducateur de rue pour transmettre aux jeunes l’envie de réussite. Parce que, dit-il « rien n’est plus dangereux qu’un homme cultivé, on se sent plus libre, sans être un mouton ».

Faïza Zerouala

 

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