C’est son premier long-métrage. Avec « 3000 Nuits », Mai Masri signe une fiction humaniste et profonde qui met en scène une jeune institutrice condamnée pour un attentat qu’elle n’a pas commis. La réalisatrice donne ainsi une voix aux femmes palestiniennes incarcérées dans les prisons israéliennes. Interview.

Le Bondy Blog : Racontez-nous la genèse de « 3000 Nuits ».

Mai Masri : J’ai eu l’idée de ce long-métrage à Naplouse dans les années 80. J’ai fait une rencontre émouvante avec une femme palestinienne qui avait eu son enfant en prison. Cette histoire m’avait marquée et je me suis intéressée à d’autres femmes qui avaient vécu cette même expérience. J’ai ainsi écrit un scénario en rassemblant toutes ces histoires. J’ai voulu montrer l’humanité des Palestiniennes, leur dignité, leurs luttes, mais aussi leur capacité dans la résistance et la résilience.

Le Bondy Blog : Pourquoi avoir choisi 1982 et l’intervention militaire israélienne au Liban comme trame ?

Mai Masri : À cette époque-là, il y avait beaucoup d’événements marquants pour les prisonnières notamment des grandes grèves contre le massacre de Sabra et Chatila [Les phalangistes chrétiens ont massacré deux camps de réfugiés palestiniens sous la bienveillance des soldats israéliens qui encerclaient les camps, ndlr]. Il y a eu aussi d’autres mouvements de contestation pour améliorer la condition des détenues et surtout des échanges très importants d’otages entre prisonniers palestiniens et libanais et soldats de Tsahal. Cette guerre est très forte dans l’inconscience du peuple palestinien, beaucoup ont émigré au Liban. À cette époque, je commençais à tourner mes premiers documentaires au Moyen-Orient et j’ai été marquée par ce conflit en tant que cinéaste et Palestinienne. Il est important de filmer notre Histoire.

Le Bondy Blog : Où avez-vous tourné le film ?

Mai Masri : En Jordanie, dans une prison militaire désaffectée. J’aime le réalisme et filmer dans une prison était un vrai luxe. Cela apporte une réelle force visuelle au récit et surtout un atout important pour les comédiens. Beaucoup d’acteurs de « 3000 Nuits » ont été emprisonnés eux-mêmes. Cela a renforcé leur jeu d’acteur. J’ai voulu me rapprocher du cinéma-vérité, voire du documentaire, en étant la plus réaliste possible

Le Bondy Blog : Justement vos actrices sont très justes, comment les avez-vous dirigées ?

Mai Masri : Nous avons beaucoup parlé du scénario avant de commencer à tourner. Nous avons longuement évoqué les personnages et affiné les rôles ensemble. Les actrices ont rencontré des vraies prisonnières. Elles ont utilisé leurs propres expériences pour donner une dimension au film. Une des actrices, Raida Adon, a fait revivre les souvenirs traumatiques de son enfance quand elle allait voir son frère en prison. Cela été très bénéfique pour elle d’exorciser ce passé.

Le Bondy Blog : Quand vous filmez l’accouchement d’Iman qui est enchaînée au barreau du lit, vous mettez en lumière toutes ces mères palestiniennes qui donnent naissance à des enfants en prison ?

Mai Masri : Tout à fait, c’est malheureusement une réalité. Dans les prisons israéliennes, les femmes sont menottées pendant l’accouchement et c’est la symbolique de tout un peuple enchaîné. Tout le monde dans ce pays est concerné par l’emprisonnement. Pendant mes recherches, j’ai lu l’histoire de quatre générations de femmes venant d’une même famille qui ont été en prison en même temps.

Le Bondy Blog : Comment avez-vous réagi face à la censure de « 3000 Nuits » par la mairie d’Argenteuil (Val d’Oise) dans le cadre du festival Ciné-Palestine en mai dernier ?

Mai Masri : J’étais surprise d’être censurée en France, le pays de la liberté ! J’ai ensuite appris que le film « Le Sociologue et l’Ourson« , qui évoque le mariage pour tous, avait lui aussi été censuré. Je pense que c’est une décision arbitraire et que la mairie n’a pas vu les deux films. Ce fut finalement assez bénéfique car cela a fédéré une grande solidarité. Des associations se sont réunies pour soutenir « 3000 Nuits » ainsi que des artistes comme Ken Loach, Costa-Gavras ou encore Jack Lang. Nous l’avons montré à Argenteuil malgré la censure et maintenant il est en salles et fait le tour du monde. Le film est sorti « normalement » en Israël dans les villes mixtes et en Palestine. Il faut que les Israéliens voient « 3000 Nuits » car beaucoup refusent d’admettre la réalité des prisons. C’est important d’ouvrir les yeux.

Le Bondy Blog : En 2017, comment sont les prisons israéliennes pour femmes ?

Mai Masri : Les conditions sont peut-être encore plus dures qu’avant. Il y a eu des avancées avec l’autorisation de pouvoir lire et écrire ou de voir la télévision, mais ça a pris du temps. Le problème c’est qu’il y a de plus en plus d’enfants qui sont arrêtés et il y a beaucoup de détenus administratifs qui n’ont pas été jugés et qui attendent d’aller au tribunal. Les grèves de la faim sont aussi de plus en plus nombreuses.

Le Bondy Blog : Quel regard portez-vous sur les colonies israéliennes qui prolifèrent dans les Territoires occupés ?

Mai Masri : Cela fait trop longtemps que l’occupation existe. C’est de pire en pire. Les destructions des maisons, les exécutions et les arrestations sont de plus en plus nombreuses et concernent notamment les enfants. C’est l’emprisonnement de tout un peuple. En tant que cinéaste, je peux faire quelques chose en m’élevant contre cette injustice, en racontant l’histoire de mon peuple à travers mes films. J’ai beaucoup d’espoir malgré la situation. On ne peut pas occuper un peuple pour toujours. Regardez l’Afrique du Sud, l’apartheid a finalement disparu.

Propos recueillis par Lloyd CHERY

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