Dans le film, ils sont frères. L’un est premier rôle, l’autre après les seconds. Farid porte des vêtements sombres, les cheveux un peu en bataille, les veines vénères, sourire souvent impeccable. L’autre, Kikim, un peu blagueur, porte un pull Adidas. Là, ils ont des sacs de cadeaux, reçus sur un plateau. Tewfik ouvre un sac. Malik balaye son compte Twitter d’un doigt. Il a 200 763 followers, peut-être la moitié de jolies-gentilles-sexy filles. Tewfik et Malik sont dans une voiture.

Voilà, enfin, ta dernière interview. Tu n’en as pas marre des journalistes et toutes ces questions qui se répètent ?Tewfik : Non, jamais. J’en n’ai pas marre. Franchement, à chaque fois que l’on parle du film, il y a des questions qui reviennent… Ça fait toujours plaisir de parler d’un bon film plutôt que d’un film que l’on n’aime pas. J’imagine les gens, et il doit y en avoir un paquet, qui font un film, qui ne l’aiment pas forcément, et qui sont obligés d’aller le défendre devant la presse. Là, il y a toujours des choses à redire.
Tu ne te sens pas un peu disque rayé ?Je pense que je suis en train d’utiliser mes dernières cartouches d’énergie.  
C’est quand la première fois que tu t’es senti naître ?Il y a eu plusieurs naissances. Je crois que la première fois où j’ai vraiment eu une sensation de naissance, c’est la Coupe du monde de 1998. Vraiment. Un truc en moi s’est déclenché. Je suis presque né par le foot, et Zidane c’est presque mon père. Aussi, quand je suis rentré au Conservatoire National, il y a eu une espèce de nouvelle naissance.
Et la première fois que tu t’es dis « je viens d’ici », que t’as eu la notion de venir de quelque part ?C’était dans mes premiers voyages. On partait avec des potes, draguer des meufs en Espagne, elles nous disaient « d’où vous venez » et on leur disait « je viens de France ». Souvent, les gens tiquaient un peu, disaient « ah bon ? » Et après, tu dois parler de tes origines.    
Pourquoi on précise, toujours, nos origines ?Les gens ont un sentiment où ils ont besoin de s’identifier. Quand je dis que je viens d’Argenteuil, tous ceux d’Argenteuil s’identifient. Quand je dis que je viens de France, des gens sont contents. Et quand je dis que je suis d’origine algérienne, je fais plaisir à mes grands-parents aussi.
C’est pour faire plaisir à tout le monde.Oui, je crois. C’est pour ne pas froisser les anciens. Eux, ils ont l’impression que si on dit qu’on est français, il y a une forme de trahison. Moi, je connais des mecs de 40 ou 50 ans qui n’osaient pas prendre leur passeport français parce que c’était trahir le père qui avait refusé auparavant la nationalité française. Nous, on fait partie d’une génération qui vit en disant « on est là ». On est fiers d’être français.
C’est beauf comme phrase de dire « je suis fier d’être français »…Tewfik : Non. Je trouve ça beau de dire je suis fier d’être français. Les fachos ne sont pas habitués à nous entendre dire ça. C’est comme un vieux tube. La chanson, la première fois, tu la trouves bof. Et puis, au fur et à mesure que tu l’écoutes, tu commences à l’apprécier à force de la réécouter. Enfin, tu connais les paroles par cœur. La France, il faut lui répéter le plus souvent possible qu’on est français.
Malik : Il faut gommer l’aspect selon lequel un jeune issu de l’immigration, quand il dit qu’il est fier d’être français, ça sonne faux. A travers des films, des spectacles ou à la télé, on peut montrer qu’on est pleinement français. Avec nos textes, ou même avec ce film, on touche un public beaucoup plus large que les jeunes de banlieue, on tente de toucher toute la France. Il n’y pas de complexe d’infériorité à avoir. Je suis français, je vis ici, j’ai grandi ici.
Dans Né Quelque Part pourtant, parfois, on n’a pas trop envie d’aimer la France…Malik : On voit les deux côtés : le bon et le mauvais. Après, la France ce n’est pas que les centres de rétention. Surtout, ce film c’est un pont entre l’Algérie et la France, mais c’est aussi un miroir. On est témoins de la découverte de l’Algérie pour un Français, mais aussi on voit un blédard algérien rêver de France.
 
Avec Né Quelque Part, on dit « Vive la France »,  mais on dit aussi « Vive les blédards »…Tewfik : Quand on marche dans Paris, quand on les voit au café ou dans le métro, à aucun moment on prend conscience de leur histoire. Pourtant, ce sont des monuments, les mecs. Faut savoir le sacrifice énorme qu’ils ont. On n’imagine même pas ce qu’ils ont vécu et dans quelles conditions ils ont été accueillis. Ce film leur rend hommage.

Malik : Né Quelque Part, c’est un film qui veut humaniser ces blédards. On se dit : « si moi j’avais été à leur place, qu’est ce que je ferais ? Si j’étais au bled et que je verrais arriver un cousin de France qui débarquerait avec un Jean Levis et des Stan Smith alors que moi je galère au pays, est ce que je ne serais pas tenté de faire le grand saut ? Est-ce que je serais un blédard sans foi ni loi ? Pas sur, au contraire. » Si tu prends le risque, c’est que quelque part t’as du cœur.

Discussion : Tewfik Jallab, Malik Benthala, Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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