Dans la salle de la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs (MPAA) de Saint-Germain (Paris 6e), les danseurs sont émus, le public applaudit chaleureusement. « Les Pépites, c’est l’un des festivals les plus ouverts, vifs et pertinents », commente Nadia Harek, ravie de présenter pour la première fois son film à Paris. « Nadia, c’est la seule nana à avoir créé des liens très proches avec tous les B-boys du break dance qui détestent être filmés et caricaturés par les médias » raconte Aïcha Bélaïdi déléguée générale des Pépites du Cinéma.

Par trois fois, la France a remporté le titre de champion du monde de danse hip-hop. Et par deux fois (2006, 2011) ces champions s’appelaient les Vagabonds. Le saviez-vous ? Pour réparer les lacunes de l’Histoire, Nadia Harek a suivi ces danseurs durant trois semaines (« quatre ans de rencontres en fait »), de leur préparation à leur travail de transmission avec les jeunes jusqu’à la finale mondiale du Battle Of The Year 2011 de Montpellier. « Les Vagabonds m’ont toujours passionnée par leur style. J’admire leur ténacité : ils ne se montrent pas tant que leurs mouvements ne sont pas parfaits ».

L’amour du hip-hop touche Nadia très jeune car, « comme toute ma génération, c’est un truc qu’on a pris dans la face ». À Cluses en Haute-Savoie (74) où elle est née en 1971, comme dans toute la France, les jeunes breakent : «  Je tiens à le préciser : le hip-hop n’est pas né à Paris ».

Deuxième d’une famille de neuf enfants (père ouvrier, mère au foyer), Nadia grandit au pied des Alpes « dans le ski, la neige, le froid ». Pas skieuse pour autant, elle regarde en cachette des films classiques en noir et blanc « qui faisaient super peur » comme Les yeux sans visages de Georges Franju. « J’étais au collège, ma mère se couchait et moi je branchai la télé et je regardais des vieilleries… Je sais pas, je devais être insomniaque » se remémore-t-elle en souriant.

Élève « sûrement bavarde », nulle en maths mais écrivant bien (« Mlle Harek, vous avez l’écriture facile » lui dit un professeur), Nadia passe un Bac L puis s’inscrit en Fac de Droit à Grenoble d’où elle se fait virer en 1991 par un professeur inscrit sur la liste électorale du Front National. « Quand il faisait l’appel, il faisait exprès d’écorcher les noms des Noirs et des Arabes. J’ai pris la parole une fois et ça a coincé ». Le professeur rédige une lettre à l’intention de sa direction, Nadia rétorque : « Vous n’avez pas besoin de m’exclure, je ne resterai pas ». C’est l’occasion rêvée pour se lancer dans des études de cinéma.

À l’époque, seules les universités de Paris et Montpellier enseignent le cinéma. Nadia préfère Montpellier (« parce que la misère est moins pénible au soleil») et s’y installe avec l’une de ses sœurs. Une marque d’indépendance peu habituelle dans la culture algérienne de ses parents : « Quand tu as 18 ans, tu te rebelles ou tu te rebelles pas. Moi, je me suis rebellée. Dans la liberté, il n’y a pas de demi-mesure ».

Considérant 2001 l’Odyssée de l’espace et Apocalypse Now comme des films « parfaits », le déclic de Nadia pour le cinéma vient à l’âge de 20 ans avec « la claque » de sa vie : le film Les Affranchis de l’américain Martin Scorsese. « J’ai tout lâché pour faire des études de cinéma et étudier ce gars ».

Durant sa maîtrise, Nadia lui consacre un mémoire. Autour de Mean Streets, Les nerfs à vif et Raging Bull, Nadia étudie la culpabilité et l’expiation : « Je suis très sensible à ce sujet : à quel moment se sent-on coupable et comment fait-on pour se libérer de cette culpabilité ». Par la suite, Nadia enseigne un peu puis se lance dans des reportages  qu’elle réalise « pour les autres ».

Intégrant l’association Attitude fondée par Thomas Raymond qui organise le Battle Of The Year à Montpellier, Nadia vit aujourd’hui de son métier en tant qu’intermittente « dans le hip-hop ! Si ça c’est pas une réussite… ». Ayant aussi une culture rock et reggae, Nadia filme ce mouvement hip-hop « parce que c’est dehors, une culture libre ». Seule de sa famille dans ce milieu, elle n’a plus quitté Montpellier, cette ville « attachante qui soutient cette culture : douze ans de championnats de France, trois ans de Battle of the Year alors qu’il était depuis vingt ans en Allemagne ».

La banlieue, c’est un terme que Nadia n’aime pas : « Tous ces mots posés par l’élite pour nous définir, je les rejette ». Citant Louis-Ferdinand Céline, Nadia pense qu’il s’agit d’un «  paillasson devant la ville où chacun s’essuie les pieds ». Revendiquant le fait que « le hip-hop n’est pas une culture de banlieue, c’est une culture tout court », Nadia filme ce mouvement « avec amour, respect et à bonne distance ».

Claire Diao

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