« C’est où, Les Césars ? », demande naïvement Majid. Disons à une quinzaine de minutes en métro. « Mais c’est vraiment au théâtre du Châtelet ? », poursuit-il. De Saint-Ouen, il faudrait prendre la ligne 4 à porte de Clignancourt et on pourrait quasiment se retrouver dans la télé du salon. Faire coucou. Arracher un autographe à Emmanuelle Béart (au hasard). Et revenir. « Depuis quand c’est en clair sur Canal ce truc ? », fusille une voix non identifiée. « Depuis toujours ».
D’abord, il fallait acheter des boissons – Oasis tropical, Seven Up mojito, Orangina, Lipton Ice tea -, des bonbons – divers et variés – et des gâteaux – Granola, barquettes LU et tartelettes à la fraise, mini BN goût fraise – comme pour une boom. Envoyer un message commun sur Facebook à Majid, Djibril, Sofia, Samir, Daisy. Donner rendez vous à chacun à 21h, adresse, nom de l’interphone, 5ème étage, une seule porte sur le palier. Attendre qu’ils arrivent juste à l’heure, quand le générique de la 41ème cérémonie des Césars finit par éclater dans le salon.
D’habitude, c’est plutôt un match de foot ou un film d’horreur, mais ce soir, c’est une cérémonie où les robes des dames seront aussi importantes que les vannes foireuses de Jonathan Cohen. Où l’on doit être vifs à chaque regard, chaque silence, chaque métaphore, chaque pépite d’une Florence Foresti, maîtresse de soirée, déchaînée. « Elle est vraiment très drôle elle », esquisse l’un. « Très drôle », demande du tac-o-tac l’autre. « Bon, pas très drôle, mais elle est drôle », finiront-ils par admettre d’un commun accord.
S’ils sont là, accrochés à la télé, les yeux qui font bling-bling devant les strass du gratin, c’est parce qu’ils ont vu Mon Roi, Fatima, Mustang, Marguerite cette année. Ils ont presque tous la carte UGC illimité et se voient tous devenir auteurs ou acteurs de cinéma. Ils ont autour de vingt ans et sont ceux qu’on appelle de façon barbare « les jeunes issus de la diversité ». C’est l’amour du cinéma qui les a, chacun, fait découvrir les performances d’actrices, les beaux scénarios, le cinéma français ou sans frontière.
Lancement des hostilités. Hommage à Claude Lelouch, président des Césars cette année, sandwich de scènes de ses meilleurs films, séquences à l’eau de rose, musique grassouillette et ribambelle d’acteurs. « Il a jamais fait tourner un noir ou un arabe, celui là ? ». Finalement, première starlette dans l’arène, Carole Bouquet, taille de guépard et robe longiligne remet le premier César. Explosion dans le salon. Zita Hanrot, yeux mouillés, tête à l’envers, est la « première femme noire à remporter un César ». « Elle est magnifique, mais son discours manque de vrai » tranche, glacial, un coeur sec.
« Je vous avoue quelque chose. Quand j’étais à l’hôpital, j’ai préparé un discours pour les Césars si je le reçois un jour », se confie une timide voix. Rires gras. Reprise de volée : « Ça fait trois ans que mon discours est dans les placard, ma soeur ! ». Analyse de Majid : « De toute manière, il ne faut pas trop remercier sinon tes merci n’ont plus de sens. Il faut faire un discours direct où tu préviens ceux qui ne le savent que tous les rêves sont possibles à réaliser ». Et puis, combats de coqs : « Si je suis invité un jour, j’y vais en tenue traditionnelle du Maroc ». Prise de bec : « N’importe quoi, tu sors le plus beau des costumes : Dior, Armani… ».
Dans le public, une femme voilée, l’actrice Soria Zeroual (Fatima), interpelle tous les regards : « Mash’Allah comme elle est belle ! Ça fait tellement plaisir de voir une femme comme ça à cette place », envoie Samir. Il poursuit : « Mais j’espère que Loubna Abidar l’aura ». Majid interpelle de force : « Fatima, elle ne mérite pas le prix de toute façon, elle joue son propre rôle, il n’y a aucun jeu d’actrice dans ce qu’elle fait dans le film ». Les autres acquiescent doucement. Avant qu’un « ça ferait quand même plaisir de la voir sur scène pour prendre son César ».
Les prix s’enchaînent. L’espoir masculin, Rod Paradot (La Tête Haute), émeut tout le monde. « Il est sincère ». Les blagues de Jérôme Commandeur ne font rire personne. L’apparition de Vanessa Paradis non plus. La « périphérie du visage d’Elsa Zylberstein » émoustille Majid. Le live de Christine And The Queens permet de demander « pourquoi And The Queens si elle est toute seule ? ». Un grand « il a cette tête là Jacques Audiard ? Je l’aurais vu dans la rue, jamais je l’aurais reconnu ». Et un petit « c’est qui Michael Douglas ? ».
Au moment des dernières récompenses, Daisy supplie pour que « Mon Moi remporte quelque chose ». Mais Maiwenn n’aura pas a repartir les mains vides puisqu’elle est n’est pas venue. Samir explose pour Catherine Frot, récompensée pour sa prestation dans Marguerite : « Elle le mérite tellement ». Djibril : « Ils l’ont déjà donné à Omar Sy, ils vont pas le donner encore à une arabe cette année », en parlant de Loubna Abidar et Soria Zeroual qui sont restées assises. Samir, quelques minutes plus tard quand Desplechin décroche le « Meilleur réalisateur » : « C’est un vrai film de merde, que du bla-bla, les acteurs ne vivent même pas dans le film ». Tout le monde sèche pour saluer Vincent Lindon.
La cérémonie s’achève presque, les primés aux larmes d’or et les déçus sapés comme jamais finiront le bal au Fouquet’s. Sur la table du salon, il ne reste qu’un peu de bonbons sans sucre et des Mikado. Dernières minutes, dernier prix. Fatima est finalement désigné comme « meilleur film ». Sofia s’est endormi, Daisy la bouscule : « C’est Fatima ! ». Sofia dans les vapes : « Fatima ? Meilleur film ? C’est une blague ». Majid s’emporte : « Faut arrêter, Fatima ne mérite pas du tout. On veut le primer parce que c’est un film qui rassure sur les arabes ! Les arabes gentils ! Là, on félicite pas la qualité du film, mais on salue un message. Le cinéma français se décrédibilise. Moi, je veux saluer la qualité, pas la gentillesse d’un message ».
Aux dernières nouvelles, Lydia, une autre de la bande, apprentie comédienne, a envoyé un message dans la conversation commune sur Facebook : « Je viens pas ce soir parce que sérieusement qu’est ce qu’on s’en bat les couilles des Césars tant que c’est pas un de nous qui est nommé ». Plus tard, ils se retrouveront sûrement par écran et production interposés dans des films qu’ils auront écrit ou tourné. Peut-être même que d’autres les regarderont récupérer leur prix à la télé et voudront être à leur place.
Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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