Mercredi soir, s’est tenue, au musée de l’immigration la projection de Perdus entre les deux rives, les Chibanis oubliés, un film écrit et réalisé par Rachid Oujdi et produit par Thierry Aflalou. Deux membres du  groupe Zebda, parrain du film, étaient présents. La soirée s’est clôturée par un débat.

La première fois que Rachid Oujdi est venu visité ce qui était encore le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, il était certainement loin de se douter que ce lieu accueillerait une projection de l’un de ses documentaires. Ce fut chose faite dans le cadre d’une séance du Maghreb des films. De quoi s’agit-il ? Chantal de Linares est trésorière adjointe de cette structure nous explique « le Maghreb des films est une association loi 1901 qui est née il y a cinq ans et dont la vocation est justement de faire connaître tout le cinéma du Maghreb, faire circuler des films qui ne sont pas suffisamment reconnus en France pour pouvoir discuter et débattre de l’histoire commune entre la rive de la Méditerranée maghrébine et la rive française. Nous intervenons à plusieurs niveaux. Nous organisons des rencontres au cours desquelles on projette des films sur certaines thématiques. Il y a ensuite un débat avec le réalisateur ».

Si l’auditorium du Musée de l’Immigration est vide, les personnes présentes n’avaient pas le temps d’en admirer la décoration. La salle annexe où la projection a eu lieu était pleine, au point que les derniers arrivés ont dû s’asseoir sur les escaliers. Le public principalement  composé d’adultes. Au premier rang sont assis des chibanis de l’hôtel Voltaire.

Pendant 52 minutes, nous vivons le quotidien de travailleurs algériens venus en France pour subvenir aux besoins de leur famille, restées au pays. Les histoires sont nombreuses et les thèmes abordés parfois durs, au premier rang duquel se trouve la solitude. Le manque de reconnaissance et de repères de part et d’autre de la Méditerranée s’illustre par le choix de cet extrait d’une chanson : « Quand je suis là-bas, j’ai envie de revenir. Quand je suis ici, j’ai envie de repartir ».

Plusieurs salves d’applaudissements suivent la fin de la projection. Le public semble conquis en dépit d’un soucis de décalage labiale. Thierry Aflalou s’en amuse « comme ça, vous serez obligés d’acheter le DVD ».

Le débat a donné lieu à plusieurs questions et remarques. À une femme qui dénonce la maltraitance dont sont victimes les chibanis dans les hôpitaux, Richard Oujdi répond que le seul problème c’est la non-compréhension culturelle. Thierry Aflalou encourage les spectateurs a visiter la page Facebook du film, très active.

Quelques questions aux réalisateurs du film

Rachid, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce documentaire ?

C’est super long à expliquer. Pour essayer de faire court c’est pour rendre hommage à ces travailleurs de l’ombre, ces émigrés des Trente Glorieuses. Je voulais que les gens comprennent après tant d’années pourquoi le retour est impossible, pourquoi ils sont toujours dans cet entre-deux. Je voulais le faire comprendre aux plus grand monde, à toutes les générations, aussi bien de ce côté de la Méditerranée que de l’autre.

Avez-vous fait des découvertes ? Avez-vous été surpris ?

Oui, ce qui m’a surpris c’est de me rendre compte à quel point la solitude berce leur quotidien. Je m’en doutai bien mais en tournant avec eux… c’est une solitude baignée de nostalgie de leur vie passée. C’était encore plus fort sur le tournage par rapport à l’idée que j’en avais. Ce qui m’a marqué sur le tournage c’est que malgré tout ce qu’ils ont pu subir, ils savent rester dignes et ne sont pas dans la revendication.

S’agit-il d’une histoire qui vous a plus marquée que les autres ?

Non, parce que leurs histoires sont singulièrement plurielles. Je suis attaché à toutes ces histoires. Je pourrai raconter des heures des choses qui ne sont pas dans le film concernant le parcours de chacun.

Pourriez-vous nous parler de cette femme qui s’occupe des chibanis  ? On ne parle pas trop d’elle.

Chahira ? Non, ce que je voulais c’est montrer que malgré cette solitude il y a des femmes autour, qui pourraient être leur filles et qui sont bienveillantes. Chahira, qui est donc la responsable d’un foyer adoma est à la fois la mère, l’assistante sociale et la directrice. Les chibanis du foyer connaissent ses enfants et son mari. Il y a tout un univers qu’elle a réussi à créer avec les chibanis qui est vachement fort. Ces personnes-là sont rares et du coup c’est une façon de mettre en lumière les gens des associations et des structures qui s’investissent et donnent de leur temps pour ces personnes. C’est une femme extraordinaire. Dans les foyer adoma il n’y en a pas beaucoup des personnes comme elle.

Au cours du débat, une femme a dit de Shahira qu’elle l’avait prise pour une assistante sociale. Comment s’occupe-t-on des chibanis en France ?

Avant on avait des foyers de travailleurs qui sont devenus des résidences sociales. Dans les foyers, les chibanis sont résidents, pas locataires. Ils ont un statut particulier et les responsables de site sont juste là pour encaisser le loyer. Ces espaces de vies où ils sont très isolés et seuls font qu’il y a une sorte de maltraitance psychologique. Ils ne vivent pas bien du tout.

Quels sont les freins à une diffusion de votre documentaire en Algérie ?

C’est dur de se prendre une histoire oubliée ou évincée dans la figure. En Algérie le peuple vit dans un obscurantisme cultuel. On a voulu évincer certaines choses et ne pas en tenir d’autres en compte. Que ce soit au Maghreb mais également dans toute l’Afrique subsaharienne il faudrait que tous les enfants et petits-enfants de ces exilés qui n’ont pas vécus à leur côté puissent comprendre ce qu’ont vécu leur parents, grand-parents, arrière-grands-parents qui sont partis seuls pour construire un autre pays mais aussi construire un quotidien moins pire pour la famille restée au pays.

Olufemi Ajayi. 

 

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