« Avant j’étais un délinquant, aujourd’hui je suis un professionnel de la prévention de la délinquance. Avant j’ai séjourné en prison, aujourd’hui j’interviens régulièrement en milieu carcéral auprès des détenus ». Ainsi commence l’histoire de Yazid Kherfi. L’ancien caïd est devenu expert en prévention et chargé de cours à l’université de Nanterre en Master de Sciences de l’Education.

La vie de Yazid Kherfi n’a pas été un long fleuve tranquille. Loin de là. En échec scolaire dès son plus jeune âge, le petit garçon de Mantes-la-Jolie a redoublé le CE2 et le CM2 avant d’être envoyé à Louis-Pasteur en classe dite « de transition » à cause de son trop faible niveau. « C’est vraiment à partir de là que je me suis dit que j’étais ‘un nul’ par rapport à mes frères et sœurs, qui eux avaient de bons résultats. Je me suis mis à exister dans la peau du vilain canard », écrit-il. Troisième d’une fratrie de sept, Yazid Kherfi a du mal à trouver sa place. Il est, à l’époque, « convaincu que [ses] parents ne [l]’aiment pas ». S’en suit une descente aux enfers : celui qui « rêve de devenir caïd » sombre dans la délinquance : premier larcin dans un magasin, vol de voiture… Il est incarcéré à plusieurs reprises au cours de sa jeunesse.

Éloigner les jeunes des méandres du milieu carcéral

Le déclic survient en avril 1987. Alors qu’il est incarcéré au centre de détention de Liancourt, dans l’Oise, il s’apprête à être jugé au tribunal de Beauvais afin de déterminer s’il doit être renvoyé ou non du territoire français. Puisque sa peine touchait à sa fin, le ministère de l’Intérieur souhaitait l’expulser à l’époque vers l’Algérie, son pays d’origine. Bien qu’il soit né en France, Yazid Kherfi possédait la nationalité algérienne du fait du choix de son père afin que lui et sa fratrie n’oublient pas d’où ils viennent. Au cours de son procès, le délinquant qui avait passé quatre ans en cavale en Algérie fut surpris que des personnes se soient déplacés jusqu’à Beauvais pour venir le défendre, y compris le maire socialiste de la ville, Paul Picard. »Son discours a duré une demi-heure. Il se tenait là face à moi. À la barre, il a estimé qu’il était injuste d’expulser un jeune né en France. Il a dit à la Cour que j’avais des capacités, que j’étais intelligent que je n’étais pas irrécupérable« , raconte l’ancien braqueur. Yazid Kherfi fut extrêmement touché par les mots de l’édile mais également par la démarche d’amis, de voisins, de militants associatifs venus en nombre pour le défendre : « Pour la première fois de ma vie, des gens parlaient de moi de manière positive« , avoue-t-il.

À la suite de ce jugement, Yazid Kherfi décide de devenir quelqu’un de bien d’une part, pour ne pas décevoir les personnes qui sont venues à son procès à Beauvais et d’autre part pour éloigner des jeunes issus de quartiers sensibles des méandres du milieu carcéral. L’ancien braqueur devient tour à tour animateur à la maison des jeunes et de la culture du quartier de la Noé à Chanteloup-les-Vignes puis directeur de la structure. Après avoir été témoin de la difficulté d’instaurer un dialogue entre des autorités municipales et les habitants de quartiers, il décide de récupérer un camion afin de l’installer directement sur l’espace public et de rester auprès des adolescents du quartier. Il repeint son véhicule avec des mots forts qui illustrent son combat (« fraternité« , « solidarité« ) mais aussi des citations inspirantes du docteur Martin Luther King. Yazid Kherfi commence donc son périple à travers tout le pays avec un premier arrêt en avril 2012 à Clichy-sous-Bois. Ville où les deux adolescents Zyed Benna et Bouna Traoré ont trouvé la mort le 27 octobre 2005, électrocutés après avoir tenté de fuir un contrôle de police.

Instaurer le dialogue entre policiers et population

Depuis les révoltes urbaines de 2005, Yazid Kherfi et son camion de la médiation nomade se sont notamment arrêtés dans de nombreux quartiers à Marseille, Villeurbanne, Dammarie-Les-Lys… Objectif : donner la parole à des jeunes qui se sentent délaissés, mis au banc sur les plans scolaire et familial. Bien que son action soit louable, Yazid Kherfi est conscient qu’elle ne pourra donner des résultats concrets que sur le long terme : « Je sais bien qu’on ne fera pas de miracles, mais on va essayer« .

Toujours dans cette même démarche de créer des ponts, l’expert en prévention de la délinquance a rencontré des officiers de police avec une seule idée en tête : leur faire entendre qu’il est nécessaire que leur regard sur les jeunes de quartiers change. « Il faut inclure dans la formation des policiers aujourd’hui une manière de dialoguer avec les jeunes de cité« , insiste-t-il.

Ensemble, nous ferons que la nuit soit plus douce

Plein d’espoir pour l’avenir, le Mantais d’origine reprend la formule de Martin Luther King : « Je fais le rêve qu’un jour on éduquera les jeunes à la non-violence« . Son rêve, utopique diront certains, c’est de vivre dans une société égalitaire, moins précaire e où la paix entre forces de l’ordre et jeunes est de mise. Pour y parvenir, le sexagénaire préconise d’accompagner les parents, de sensibiliser les écoliers à la non-violence, de désenclaver les quartiers par les transports en commun et de lutter contre le sentiment d’abandon.

Une chose est sûre, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il continuera le travail sur le terrain pour que « la jeunesse « ne se retrouve plus seule dans le noir. Elle a tant de besoin de nous. Ensemble, nous ferons que la nuit soit plus douce« .

Félix MBENGA

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