Les Minguettes, été 1981. Les rodéos urbains se propagent à tout l’est lyonnais. Cette sale mode ravive la tension permanente entre jeunes et police. Deux cent cinquante voitures seront brûlées en France à la fin de l’été. Mais aux Minguettes le vrai tournant se produit le 21 mars 1983.

Pour protester contre une double perquisition vécue comme abusive les jeunes organisent une grève de la faim, créent dans la foulée l’association SOS Avenir Minguettes, présidée par Toumi Djaïdja. Cette structure servira quelques mois plus plus tard de noyau dur pour le lancement de la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Pour appréhender cette histoire, assez méconnue, et la « démythifier », le sociologue Abdellali Hajjat a réalisé dans son ouvrage sobrement baptisé La Marche pour l’égalité et contre le racisme (Éditions Amsterdam) une socio-histoire. En se basant sur des archives municipales et départementales parfois inédites et sur des témoignages des acteurs de l’époque, il brosse un portrait fidèle des Minguettes. Chacun peut ainsi se figurer ce que c’est d’y vivre. Surtout quand on a à peine 20 ans, des rêves à foison et un horizon aussi gris que le béton des tours.

Ce quartier, explique Abdellali Hajjat a écopé du statut de ZUP, une « zone à urbaniser en priorité » selon le jargon de la politique de la ville. Destiné à résorber la pénurie de logements il s’agit de créer ex nihilo des quartiers nouveaux, prenant la forme de grands ensembles. Les premières tours caressent le ciel en 1967. Les travaux sont achevés en 1974. « En 7 ans plus de 30 000 personnes arrivent dans une ville qui en comptait moitié moins. Il y a une urbanisation à tout va et c’est la plus rapide de l’histoire des grands ensembles en France. Cette ZUP est installée à contrecœur par le maire communiste de l’époque. Mais l’État devait lutter contre le mal logement et abriter les travailleurs immigrés, les rapatriés et tout les gens pauvres chassés par la restructuration du quartier de la Part Dieu pour la construction de la gare et du centre commercial », explique le sociologue.

La question de la répartition des populations sur le plateau des Minguettes selon leur nationalité ou leur classe sociale se pose rapidement. Abdellali Hajjat raconte qu’il y a « une ségrégation sociale et raciale pas du tout homogène. Les tours cohabitent avec les pavillons. Dans certaines zones il y’a une concentration d’immigrés européens et maghrébins et dans d’autres il y’en a 0%. »

En 1981 les premières rébellions, « les rodéos de l’été chaud » sont interprétées par le cabinet du préfet du Rhône comme « un phénomène racial ». Bien entendu ce diagnostic n’est pas posé publiquement. Abdellali Hajjat rappelle qu’il y a une « focalisation sur les Maghrébins et les Antillais qui travaillent dans les Hospices civils de Lyon. Il y a une racialisation du regard alors que ceux qui ont été arrêtés après les rébellions témoignent d’une diversité dans leurs origines. Ils sont italiens, français, fils de harkis, espagnols. Mais on se focalise sur les Algériens. »

Cette focalisation aboutit à la mise en place d’un quota, un « seuil de tolérance » d’occupants d’origine maghrébine dans certaines tours par les bailleurs sociaux des Minguettes. « Le taux fixé est de 10% de Maghrébins maximum, car on a expliqué que les rébellions de l’été 81 venaient de la concentration de Maghrébins. Du coup, dans certaines tours le taux de vacance dépasse les 50% alors qu’il y a des candidats. Tout ceci donne un sentiment de décrépitude comme on peut le voir à Clichy-Sous-Bois ou à Montfermeil » précise Abdelalli Hajjat. D’ailleurs la mobilité à l’intérieur du quartier existe, mais contrairement aux idées reçues « les habitants ne partaient pas pour fuir contrairement à ce qu’on pense. L’autre mythe consiste à considérer que les blancs fuyaient les Arabes. Or il y a eu beaucoup de départs d’un sous-quartier à un autre pour différentes raisons comme l’accès à un niveau de vie supérieur, un divorce ou une mutation. Une enquête sociologique réalisée à l’époque démontre que la qualité de vie n’est pas remise en cause. »

Les 14 bailleurs sociaux ne sont pas les seuls à voir la concentration trop forte de Maghrébins dans certaines tours comme un danger. Cette croyance était partagée par Marcel Houël, alors maire communiste. Pour ce dernier l’enjeu est surtout d’occuper les jeunes, car il n’existe aucune structure pouvant les prendre en charge et l’élu est persuadé que les révoltes se sont nourries de l’ennui.

Tous les regards sont tournés vers les jeunes qui forment plus de 50 % de la population du quartier. Abdellali Hajjat explique que « comme dans d’autres quartiers, l’école reproduit les inégalités sociales, il y a une déscolarisation massive, une circulation importante d’un établissement à un autre au gré des renvois ». Le quartier abrite quelques petits délinquants et connaît des tensions, mais les relations entre les habitants sont globalement bonnes jusqu’au début des années 80. Jusqu’au 21 mars, jour d’équinoxe, qui marquera le printemps de la marche…

Faïza Zerouala

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