Cela fait maintenant six mois que les gilets jaunes battent le pavé partout en France. Au fil des semaines, c’est la tension entre le gouvernement et les forces de l’ordre, d’un côté, et les gilets jaunes de l’autre qui a polarisé l’attention. Violences policières, interdictions de manifester… Face à ce constat, le collectif « Robes Noires et Gilets jaunes », composé d’avocats bénévoles, apporte une aide juridique aux gilets jaunes inquiétés par la justice. D’où l’idée d’organiser une conférence-débat vendredi 26 avril, à la Bourse du travail de Bobigny. L’objectif ? Débattre sur les révoltes populaires, le droit à l’insurrection, la désobéissance civique, ou encore sur une possible convergence des luttes sociales et environnementales.

Édouard, la trentaine, s’apprête à prendre place au premier rang de l’amphithéâtre. Ce militant associatif francilien a l’habitude de mouiller la chasuble fluo chaque samedi. Mais manifester devient de plus en plus difficile pour lui. « Pour l’acte 23 (le 20 avril dernier, Ndlr), je me trouvais sur le boulevard Richard Lenoir et je voulais me rendre au point de rendez-vous sur la place de la République, raconte-t-il. Mais les policiers nous ont bloqué l’accès. Du coup, on s’est retrouvé à Châtelet-les-Halles ».

A côté de lui, Thierry, ethnologue résidant près de Taverny (Val-d’Oise), parle plutôt insurrection. « Aidez-nous à envahir l’Élysée, comme ça vous allez reprendre le moral. C’est Macron lui-même qui a dit que si on voulait venir le chercher, qu’il serait à l’Élysée. Là, il faudra y aller avec l’aide de la police », avance celui se surnomme « Blanc’ Marron ». Un surnom en forme de clin d’œil au célèbre groupe de rap « Nèg’ Marrons », qui lui a été donné lors d’une mission humanitaire en Guyane…

Prise de parole sauvage et débats houleux

La réunion commence avec un léger retard. Une centaine de sympathisants occupent les premiers rangs de l’amphithéâtre. Certains ont leur gilet jaune sur le dos. La salle n’est pas totalement remplie même si quelques retardataires arrivent progressivement. Pour ne pas rater une miette de la soirée, certains pointent leur portable en direction des principaux intervenants : le syndicaliste policier Alexandre Langlois, le représentant de SUD Sylvain Dequivre et les gilets jaunes Faouzi Lellouche, Safia Matahari et Priscillia Ludosky. Dans le rôle de modérateurs, les avocats du collectif « Robes Noires et Gilets jaunes », Philippe de Veulle et David Libeskind. En trois jours, la vidéo des débats, diffusée en direct, cumulera 50 000 vues sur Facebook.

Après la présentation, place au cœur du sujet. Car l’heure tourne et la réunion est censée se terminer à vingt-trois heures. Philippe de Veulle engage les débats passant en revue les moments forts des manifestations. Mais aussi un petit cours d’histoire sur la Révolution française rappelant les principes de l’insurrection formulée « dans l’article 35 de la constitution de 1793. Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré des devoirs. Est-ce qu’on a le droit de se rebeller ? Se rebeller n’est pas forcément violent. Il s’agit de manifester pacifiquement, dénoncer le pouvoir en place. »

Les intervenants à la conférence-débat de Bobigny

C’est au tour d’Alexandre Langlois de s’exprimer sur le mouvement jaune. Connu pour avoir dénoncé publiquement la gestion du maintien de l’ordre par le gouvernement, le secrétaire général de VIGI se refuse pourtant à condamner l’institution : « La police n’est pas au service du pouvoir. Elle est une délégation du peuple pour sa sécurité ». S’il n’hésite pas à critiquer sa hiérarchie, il rejette toutefois le terme de violence policière. « Ça n’existe pas, assène-t-il. Nous avons soit des violences légitimes, l’utilisation de la force prévue par la loi (arrestations, flagrant délit, évasions…) soit des violences illégitimes, des bavures, par exemple. Le problème en France, c’est que la police enquête sur elle-même avec une magnifique institution qui s’appelle l’Inspection générale de la police nationale. »

Des chuchotements fusent parmi le public. Nadia, mère de famille portant un gilet jaune, ne tient plus en place, elle aussi a des choses à dire. Elle finit par se lâcher. « Comment on fait pour rassembler les gilets jaunes ? Pourquoi s’en prendre seulement au président qui n’est qu’un pantin ? Comment on fait pour atteindre le pouvoir d’en haut ?, enchaîne-t-elle avec véhémence. « Bah on y va et on les défonce », répond du tac au tac Safia Matahri. La réponse déclenche rires et applaudissements mais ça n’a pas l’air de calmer Nadia, qui continue sur sa lancée. « Il faut trouver le moyen de faire comprendre au peuple qu’on n’est pas des racistes, explique-t-elle. Le gilet a fait tomber les barrières, libéré la parole du peuple. Nous avons ouvert les yeux grâce à ça. Donc comment faire pour passer à l’échelon supérieur. Ça fait cinq mois qu’on se fait gazer. On en a marre ».

Les questions répétées de Nadia ne trouveront pas de réponses. David Libeskind reprend tant bien que mal le fil conducteur de la soirée. Ni les appels au calme de l’avocat ni les prises de parole successives des intervenants n’arrivent à calmer une partie du public. Les échanges s’enchaînent, certains se contentent de se livrer aux témoignages au lieu de poser directement leurs questions. D’autres profitent du micro pour pousser un coup de gueule. C’est le cas de Valentin, fonctionnaire à la mairie de Paris : « Je manifeste depuis le début du mouvement. Les revendications portaient à l’origine sur le pouvoir d’achat, la justice fiscale et les dépenses publiques. En ce moment, on ne parle que du RIC. Il faudrait revenir aux propositions initiales, proposer une sorte de grenelle du pouvoir d’achat, par exemple. Et là, on va ramener du monde dans nos cortèges ».

Tout le monde peut être gilet jaune, pas besoin de convergence

David Libeskind siffle la fin de la première partie du débat. L’heure d’apaiser les esprits pour certains. Pour d’autres, la discussion se prolonge dans les couloirs de l’établissement. Maurice, éducateur spécialisé dans la protection de l’enfance, reste sur sa faim : « Je n’ai rien appris de nouveau. Les violences policières, on les connaît depuis longtemps dans un Etat très autoritaire. Même les avocats sont dépassés. Ils n’apportent pas de réponses concrètes. Je m’attendais à quelque chose de plus constructif. Comment faire pour que le mouvement puisse mieux se structurer, par exemple ».

Après une vingtaine de minutes de pause, les invités reprennent place. Sylvain Dequivre engage la deuxième partie de la conférence. Le représentant du Syndicat SUD protection sociale de Seine-Saint-Denis plaide pour une alliance des Gilets jaunes avec les syndicats. « C’est un sujet qui va provoquer des frictions », prévient d’entrée David Libeskind. Les gilets jaunes doivent-ils s’allier avec les partis politiques, syndicats ou associations ? C’est la question récurrente qui fâche. Il suffit de tendre l’oreille dans les rangées pour s’en convaincre. « Comment je peux converger avec des personnes qui font partie de la caste politique et qui traitent les habitants comme de la merde ? », fulmine-t-on ici. Et le voisin d’embrayer : « Tout le monde peut être gilet jaune. Pas besoin de convergence avec les partis et syndicats ».

Pourquoi une telle méfiance envers ces institutions ? Un gilet jaune, lui-même syndicaliste mais qui souhaite préserver son anonymat, livre son analyse. « Les structures syndicales ont tout fait pour qu’il n’y ait pas de convergence, affirme-t-il. Je l’ai vu de l’intérieur. Les syndicats ont été les premiers avec les partis politiques à attaquer les gilets jaunes en les traitant de fascistes. Nous sommes la première force politique. Il faut faire attention aux partis et syndicats qui veulent faire de l’entrisme ».

Le débat est sur le point de se terminer quand Momo, un retraité venu des Yvelines, insiste pour prendre la parole. La main tremblante, cet ancien syndicaliste laisse éclater sa colère face à l’auditoire : « Il y a des gilets jaunes qui sont formatés. Quand je leur parle de la prison ou des quartiers populaires, ils me voient comme un ex-taulard ou une racaille de quartier. Mais ce n’est pas de leur faute puisqu’ils ont été formatés par la société. Moi, j’ai découvert le syndicalisme en prison, on a fait des grèves de la faim, on s’est battus. Il faut continuer le combat ».

Pour tester cette convergence entre gilets jaunes et syndicats, rien de mieux que l’épreuve du terrain. Ce mercredi 1er mai, tous sont appelés à défiler au sein du même cortège.

Fleury VUADIAMBO

Crédit photo : FV / Bondy Blog

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