City/Cité en partenariat avec le Bondy Blog organise pendant deux jours au centre culturel Centquatre dans le XIXème arrondissement de Paris un échange unique entre la France et les Etats-Unis sur le thème de la démocratie urbaine. Compte-rendu de la première journée consacrée à l’aménagement urbain.

C’est une idée originale : celle de réunir sociologues, urbanistes, architectes, responsables associatifs, journalistes et élus, des deux côtés de l’Atlantique pour discuter ensemble des démocratie urbaine dans les quartiers populaires.

Le premier débat de cette journée porte sur la question de savoir quels sont les défis et l’avenir pour la démocratie urbaine ? Pour en discuter, City/Cité a convié  autour d’une table ronde, José-Manuel Gonçalvès, directeur du Centquatre, Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris en charge de l’urbanisme et des projets du Grand Paris, Richard Sennett, historie, et sociologue américain à la London school of Economics et Jeff Chang, journaliste américain specialisé dans l’histoire du Hip-Hop.

D’un côté, les révoltes dans les banlieues françaises qui ont duré pendant trois semaines après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005 ; de l’autre, les manifestations à Ferguson, dans le Missouri, en 2014, à la suite de la mort d’un jeune Noir américain de 18 ans, Michael Brown, tué par un policier blanc. Deux affaires qui interrogent sur les relations que vivent les personnes résidant dans les quartiers populaires avec les institutions du pays. Il y a encore manifestement toujours des tensions violentes, des ségrégations à l’encontre des habitants des quartiers, des personnes issues des minorités avec en toile de fond des problématiques identiques : le chômage, la précarité, le manque de reconnaissance sociale, politique et humain qui entraînent des sentiments de colère. Parfois, cette ségrégation est entretenue par les pouvoirs en place en mettant en place des dispositifs de sécurité pour assurer l’ordre. C’est ce que regrette Jeff Chang lorsqu’il explique que « dans la ville de Saint-Louis, aux Etats-Unis, on voit encore des phénomènes de ségrégation, une ville assiégée aujourd’hui par des patrouilles de police et de la surveillance en continue. La population est gelée comme un compte en banque », raconte-t-il.

« Il y a encore une énergie populaire prête à se battre pour se faire entendre et changer les choses »

Le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Patrick Kanner, ne nie absolument pas l’existence de ségrégation urbaine. A ce titre, il dit « partager les propos de Manuel Valls sur l’existence d’apartheid territorial, social et ethnique en France ». Reste que ce même Manuel Valls a eu des propos stigmatisants, comme ministre de l’Intérieur contre les Roms (« Les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ») ou bien comme Premier ministre contre les femmes musulmanes portant le voile (« Marianne, le symbole de la République ! Elle a le sein nu parce qu’elle nourrit le peuple ! Elle n’est pas voilée, parce qu’elle est libre ! C’est ça la République! »). Jean-Louis Missika essaie de convaincre que l’action politique tente en permanence de lutter contre les différents phénomènes de ségrégation qu’elle soit urbaine, sociale ou raciale. Comme maire adjoint à la ville de Paris chargé de l’urbanisme, il affirme mettre tous ses efforts pour éviter de ghéttoïser dans des « quartiers les étrangers ou les ouvrier. Les gens ont toujours le choix de choisir le territoire dans lequel ils souhaitent vivre. C’est une erreur de dire que les pauvres vont dans les banlieues ». Pour preuve selon lui, l’arrivée de migrants que connaît la France ces dernières années montre que ces derniers choisissent dans la majorité des cas de se réfugier dans des villes plutôt que dans les banlieues.

Jeff Chang note de son côté qu’il y a une résistance de la part des habitants des banlieues qui luttent contre le fascisme et les ségrégations. « Les mouvements pour plus de justice me donnent de l’espoir », confie-t-il ajoutant qu’à la suite de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en novembre dernier, « les gens sont descendus dans la rue pour manifester et exprimer leur désapprobation ». Il y a encore une énergie populaire prête à se battre pour se faire entendre et changer les choses, assure-t-il, en précisant que les choses bougeront dans le monde dès lors que « les Afros-Américains seront libres ».

Laisser les habitants participer au développement de leurs quartiers

Autour de la table deuxième table ronde, il est question d’aménagement des quartiers, de leur espace et de leur esthétique. Pour en parler, City/Cité a convié Béatrice Mariolle, professeur à l’école Nationale d’Architecture de Paris Belleville, Marie-Hélène Bacqué, sociologue à l’université Paris Ouest Nanterre, Monica Chadha, fondatrice du Civic Projects, Melinda Anderson, directrice artistique au Detroit Design Festival et Anya Sirota, enseignante à l’université d’architecture de Michigan.

L’idée de cet échange est de montrer comment à travers des projets d’initiative populaire l’architecture peut aider à modifier la représentation des quartiers populaires. Pour les intervenantes, l’esthétique à toute sa place dans les banlieues mais le plus important est de respecter l’identité de chaque quartier pour ne pas en dénaturer l’âme. Chaque quartier raconte une histoire avec son passé et ses blessures. Ainsi, selon Anya Sirota « il faut trouver une esthétique qui représente ce qui se passe dans ces quartiers ». Cette esthétique peut se façonner à travers des infrastructures qui vont permettre aux gens d’occuper ces lieux dans lesquels ils pourront notamment exprimer un art. A Detroit, avec des habitants d »un quartier, elle travaille sur le projet de construction d’une soucoupe volante fonctionnant comme un espace pour faire de la musique.

La participation des habitants des quartiers pour améliorer l’esthétique de leur quartier est essentielle. Melinda Anderson précise que c’est quelque chose qui lui tient particulièrement à coeur : « il est important de demander aux gens ce qui peut être amélioré dans leur quartier », affirme-t-elle. Les habitants doivent donc devenir des acteurs et non des sujets passifs absents du développement de leur quartier. Cependant, comme le souligne Marie-Hélène Bacqué, il y a un certain nombre de villes aux Etats-Unis et notamment Détroit où l’idée d’une rénovation des quartiers peut s’avérer compliquée. Par exemple, Détroit est une ville en déclin que beaucoup d’entreprises ont décidé de quitter pour s’installer dans des territoires plus prospères. « La ville a fait faillite, souligne Anya Siroa. Beaucoup de gens se sont retrouvés sans ressources », rappelant qu’avec un taux de chômage qui oscille autour des 18 %, une partie de la population a quitté le territoire. Aujourd’hui, Détroit compte environ 706 000 habitants contre 1,8 million d’habitants en 1950.

Mélissa BARBERIS

Deuxième journée consacrée à la culture urbaine et l’héritage culturel dans les quartiers et à la voix indépendante des médias porte-voix des quartiers, ce samedi 10 novembre au CentreQuatre à Paris. Programme ici.

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