C’est dans un café branché de « Montreuil la Boboïsante » que nous avons rendez-vous avec Ciré. La première fois que nous avons rencontré cette femme d’une quarantaine d’année, issue d’une famille modeste de 12 enfants originaire d’un petit village éloigné de Dakar, c’était lors d’une conférence sur l’excision à la maison des Femmes de Montreuil. Ciré est professeur d’histoire-géo dans un collège de ZEP depuis qu’elle a été naturalisée en 1997. Avec beaucoup de recul et imprégnée de son ton de prof de classe bien à elle, elle nous raconte son expérience liée à son excision, lorsqu’elle avait seulement quelques mois. « Une femme non-excisée est impure. Elle est considérée comme une « bilatoro », c’est-à-dire une jeune femme qui ne peut être mariée. Mais officieusement on excise afin que la femme reste « calme » et n’aille pas courir les garçons. »

Même si elle ne s’en souvient pas, cette pratique faisait tellement partie de son quotidien qu’elle peut nous expliquer le contexte tel qu’elle le ressentait. L’excision se fait de manière « artisanale » avec une « exciseuse attitrée », et dans un grand brouhaha pour ne pas entendre le bruit des filles : « un cri trop perçant de la part de la fille est une honte pour la famille, explique-t-elle. Même pour mes copines qui se sont faites exciser à l’hôpital durant leur adolescence, cela a été fait de manière très artisanale avec des instruments aussi divers que des couteaux, des lames de rasoir, des morceaux de verre. En revanche elles ont eu le droit à d’énormes festivités en leur honneur. Dans l’ordre, l’excision est le deuxième grand évènement de la vie après le baptême et avant le mariage. »

Pour mieux comprendre l’importance de l’excision dans certains villages, Ciré nous explique le rôle des exciseuses : « Les exciseuses sont des notables et représentent une caste très puissante au sein des villages au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique. Elles ont plusieurs rôles : elles accouchent, excise, accompagne les veuves dans leur deuil. Le métier d’exciseuse se transmet de génération en génération. » L’excision est accompagnée de tant de rituels qu’on en oublie pourquoi cela existe, on ne voit que le côté festif et traditionnel. On en finit presque par oublier les raisons de son existence. Les mamans excisent avant tout car elles ont peur de froisser « le pouvoir de l’honneur » dans une société traditionnelle africaine et que les filles ne puissent pas se marier, alors même que l’excision n’a aucune origine religieuse.

Mais l’excision entraîne des conséquences autrement moins festives : hémorragie, problème lors de l’accouchement, mort de certaines jeunes filles… Autant de raisons qui ont conduit un certain nombre de pays africains comme le Sénégal à l’interdit. Pour la mère de Ciré, « l’excision est tellement naturelle qu’elle ne s’imagine même pas qu’on puisse en souffrir ni même en mourir. Mais dès que je lui ai parlé personnellement des complications de cette mutilation, elle est devenue horrifiée. »

Ce dont témoigne Ciré : « Pendant mon enfance et adolescence, je ne ressentais aucune douleur car j’ai été excisée peu après ma naissance. Les douleurs viennent par la suite, souvent après le mariage : règles douloureuses, problèmes de plaisirs, douleurs lors des rapports sexuels, infections… Mais à aucun moment je n’ai fait le lien avec l’excision. » Ni elle, ni même sa gynécologue : « Lorsque je lui parlais de mes problèmes d’infection, elle me donnait des produits d’hygiène. Elle ne savait pas quoi faire. »

Elle ne fera le rapprochement qu’en en parlant avec ses amies, elles aussi excisées : « En se retrouvant avec mes copines, nous commencions par évoquer nos problèmes intimes. Je me suis rendue compte que nous étions toutes pareilles : lors de nos rapports sexuels avec nos conjoints respectifs, au manque de plaisir, viennent s’ajouter de vives douleurs. C’est un peu comme si c’était la première fois tout le temps. Au début, la passion amoureuse permet à notre vie sexuelle d’exister mais avec le temps celle-ci s’arrête et notre vie de famille se centre autour des enfants. »

Par la suite, elle rencontrera une journaliste qui l’orientera vers un chirurgien urologue, le Dr Pierre Foldes, qui a mis au point une opération réparatrice de l’excision. « J’ai alors pu comprendre que l’excision était à l’origine non seulement de mon absence de plaisir mais également de mes douleurs, de mes infections dues à une mauvaise cicatrisation… » Il y a deux semaines elle s’est faite opérée, mais il est encore trop tôt pour qu’elle puisse se rendre compte des améliorations de son état de santé. Elle insiste cependant pour que l’on fasse passer le message suivant auprès des jeunes filles excisées : « Beaucoup de leur problèmes gynécologiques sont liés à l’excision. Aujourd’hui une opération existe pour réparer les dégâts. Cette opération est remboursée à 100 % par la Sécu et est réalisée au sein de la clinique Louis XIV à St-Germain en Laye. »

Pour autant, le préjugé qui prévaut sur les femmes excisées, à savoir qu’elles « auraient toutes des cornes sur la tête » et qu’elles seraient « forcément renfrognées à vie », continue de perdurer. Ce qu’elle réfute. Citant Katoucha [NDLR : Katoucha Niane, mannequin guinéenne, égérie d’Yves Saint Laurent, excisée à l’âge de 9 ans et récemment retrouvée noyée dans la seine] , elle affirme « s’être toujours sentie féminine à 100 % » et qu’au contraire cette douloureuse expérience a fait d’elle « une femme déterminée et décomplexée ». Pour preuve, cette prof de banlieue, qui s’habille chic et bobo, est présidente d’une association qui œuvre pour l’éducation en Afrique !

Badroudine Saïd Abdallah

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