« Vraiment je veux que votre ministre sache que, dans le monde, il y a des pauvres qui veulent réussir dignement et honnêtement. » Khoudia, 23 ans, est en colère et n’a pas hésité à témoigner depuis le Sénégal où elle est étudiante en troisième année dans le département de langues étrangères (LEA) à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Elle espérait poursuivre ses études en France. Mais avec l’annonce de la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers non-européens, elle s’interroge désormais sur son avenir. Elle veut que sa voix soit entendue par le Premier ministre français. « Cette augmentation des frais d’inscription qui nous cible, nous les étudiants étrangers qui voulons poursuivre nos études en France, me met en colère. Je trouve cela hallucinant. »

Cette augmentation exclut les étrangers les plus précaires que le gouvernement français ne veut visiblement plus voir étudier dans ses universités

Elle n’est pas la seule : le choc est tout aussi difficile à encaisser pour nombre d’étudiants sénégalais qui souhaitaient franchir les frontières et venir en France poursuivre leurs études, comme l’ont fait bien des promotions avant eux. À partir de la rentrée prochaine, leurs frais d’inscription seront multipliés par 10 ou 16 selon le diplôme, passant à 2770 euros en licence et à 3770 en master et en doctorat. Des sommes faramineuses dans le pays où le salaire moyen se situe entre 200 et 300 euros par mois, d’après l’Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal.

D’après le Premier ministre, l’objectif de cette augmentation est de garantir la qualité d’accueil et de pouvoir octroyer davantage de bourses à ses étudiants extra-européens. Si l’objectif fixé par Édouard Philippe peut paraître raisonnable et juste, tel n’est pas l’avis des étudiants concernés, qui estiment que la France mène une politique injuste et insupportable, surtout vis-à-vis de ceux venus des anciennes colonies. Cette augmentation des frais d’inscription pour la rentrée 2019 mènera à exclure les étudiants étrangers les plus précaires, que le gouvernement ne veut visiblement plus voir étudier dans les universités françaises. Pour certains, c’est comme un acte raciste.

Cette décision prise va freiner mon rêve que je porte en moi depuis le lycée

« Depuis que la France nous a colonisés jusqu’à maintenant, nous ne parlons que le français au collège, dans les lycées, et même à l’université » rappelle Khoudia, pour qui il ne s’agissait pas d’un choix anodin mais de la réalisation d’un espoir de longue date. « Je pense que cette décision prise va freiner mon rêve, que je porte en moi depuis le lycée, » regrette-t-elle.

Je pense qu’aujourd’hui la francophonie n’a plus de raison d’être, si cette loi passe. Tous ces beaux discours n’auront plus de sens

Marcel, 18 ans, déplore aussi le fait de pénaliser les étudiants extra-européens de milieux modestes. «  Je pense que l’éducation doit être un accès libre pour chacun et chacune d’entre nous quelque soit notre milieu social, le pays ou le continent d’où nous venons, » déclare-t-il. Lui aussi interroge la francophonie :«  Je pense qu’aujourd’hui la francophonie n’a plus de raison d’être avec cette mesure. Tous ces beaux discours n’auront plus de sens. »

Elève de terminale S au lycée Limalouye de Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar, il s’apprêtait lui aussi à venir poursuivre ses études en France. Il parle lui aussi de rêve déçu. «  Tu sais très bien que c’est le rêve de tout jeune qui veut acquérir du savoir, comme toi (rires) de se retrouver dans les grandes universités de France et avoir accès à ses bibliothèques. Mais c’est vraiment dommage pour nous. »  Depuis que l’annonce est tombée, il se dit démotivé et n’a pas continué son inscription sur le site de Campus France, organisme qui promeut à l’international l’enseignement supérieur français. «  Je ne vais pas te mentir. Ça fait à peine un mois que j’ai eu mon passeport, » raconte-t-il. «  J’ai créé mon compte et j’ai tous les documents nécessaires. Mais je n’ai pas la somme exorbitante que le gouvernement nous demande. J’ai tout abandonné. Je suis vraiment déçu. Très déçu même, » confie-t-il d’une voix tremblante.

Je n’ai pas les 1 814 350 francs CFA juste pour l’inscription, sans parler des frais de logement, billet d’avion et autres dépenses. Je vais rester ici au Sénégal

Pour Demba Kandji*, 21 ans, l’annonce a tout d’abord causé la stupéfaction. Ce jeune étudiant en deuxième année de Sciences politiques à l’université de Dakar pensait que c’était une blague : « J’ai cru à une ‘fake news’, » confie-t-il. Il a vite déchanté : « Je suis allé sur le site de Campus France, et j’ai trouvé l’annonce en page d’accueil sur le site », se souvient-il.

Il se dit prêt à faire face aux difficultés administratives pour réaliser son projet d’études, mais l’obstacle financier risque de donner le coup de grâce. « C’est un coup de tonnerre pour moi et je pense aussi pour beaucoup d’autres étudiants. L’année dernière, je me suis inscrit, j’étais accepté à l’université de Paris 13 Villetaneuse. Je suis allé à l’ambassade de France et on m’a refusé le visa. Et il faut savoir que j’avais payé les frais de dossier d’un montant de 75 000 francs CFA [115 euros, ndr]. Cette année, je me suis dit que j’allais tenté ma chance une nouvelle fois. Mais vraiment, je n’ai pas les 1 814 350 francs CFA (2770 euros) juste pour l’inscription, sans les frais de logement, billet d’avion et autres dépenses. Alors je crois que je vais rester ici au Sénégal », conclut-il amèrement.

Si cette annonce est jugée nécessaire par le gouvernement, aujourd’hui, en France, nombre d’étudiants et de membres du corps éducatif pensent que l’accueil des étudiants étrangers est nécessaire pour garantir l’accès de tous les étudiants à une formation de qualité, et fait également beaucoup pour le rayonnement de l’enseignement supérieur français dans le monde.

Kab NIANG

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