Représentants diplomatiques, entreprises et correspondants de presse ont apporté leurs regards sur les quartiers populaires à l’occasion d’un colloque organisé : Penser les « banlieues autrement ». 

Le mardi 5 mars se tenait une conférence ayant pour thème « penser les « banlieues » autrement », au centre Wallonie-Bruxelles, dans le 4ème arrondissement de Paris, à quelques pas du centre Pompidou. Il est 9h30 lorsque Bernard Emsellem, président de l’association organisant l’évènement (Communication Publique), prend la parole pour ouvrir le bal. Il estime que les « banlieues » françaises souffrent d’une vision négative à cause de « ceux qui en parlent alors même qu’ils n’y vivent pas ! ». D’après Bernard Wallon, membre de Communication Publique, afin de redorer l’image des territoires péri-urbains, il faudrait « réfléchir à de nouvelles formes de communication pour donner une image plus attractive de ces territoires ». A la manière d’un universitaire, il lance une problématique, sur laquelle les différentes tables rondes devront plancher : comment changer la vision que les gens ont des banlieues françaises ?

« Tant que la France n’aura pas dépassé le phénomène de l’islamophobie (…) nous ne pourrons pas faire évoluer les mentalités par rapport aux quartiers populaires »

La première table ronde est présidée par Brigitte Raynaud, ayant récemment quitté son poste de secrétaire générale du Conseil nationale des villes. « Et si finalement les autres voyaient mieux que nous ? », voilà la position que semble avoir adoptée cette dernière, afin de penser les banlieues autrement. Marc Berthiaume, responsable des relations politiques et parlementaires pour l’ambassade du Canada, a participé à plusieurs programmes d’échange entre canadiens et français en matière de problématiques urbaines. D’après son expérience, afin d’améliorer la communication publique dans les banlieues françaises, il faudrait tout d’abord, « partir des réalités du terrain pour faire remonter les problèmes ».

Il préconise notamment un développement de l’ « empowerment », c’est-à-dire le pouvoir d’agir des habitants, notion reprise par François Lamy, actuel ministre délégué chargé de la ville, dans la nouvelle réforme de la politique de la ville. Il regrette aussi le fait que la France « n’inclue pas une dimension sociale dans la justice. Il faut travailler autour du délinquant avec des agences sociales, plutôt que sur son acte afin d’éviter la récidive ». Il se montre optimiste quant à nos banlieues, « des zones extrêmement dynamiques ». Il envisage notamment la nouvelle réforme sur la politique de la ville comme un avantage pour les quartiers populaires car il y aura une « mise en concertation des acteurs sociaux de la zone ». C’est-à-dire les entreprises, les citoyens et les municipalités.

Cependant, Thomas Kirszbaum, sociologue urbain, pense que la France ne pourra pas améliorer l’image de ses banlieues dans l’immédiat. « Elle [la France] n’en finit pas de digérer son héritage colonial. Tant qu’on n’aura pas dépassé le phénomène de l’islamophobie et tant qu’une élite blanche parle des problèmes de banlieue, nous ne pourrons pas faire évoluer les mentalités par rapport aux quartiers populaires ».

« La Plaine Saint-Denis, c’est la Défense de maintenant »

« Aujourd’hui, les entreprises doivent à la fois prendre en compte les questions sociales et sociétales » affirme François Fatoux, délégué général de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, « surtout dans les quartiers populaires où il y a une accumulation des handicaps sociaux ! » poursuit Mathieu Riché, directeur RSE Groupe Casino. Les populations locales doivent être impliquées dans la vie d’une entreprise.

Abel Aissou est le directeur général de Randstad France, dont le siège est situé à la Pleine Saint-Denis. « 70% des gens qui travaillent chez nous viennent de la banlieue 92-93-95. Moi je pense qu’il faut laisser le temps aux entreprises d’employer la population locale ». Mais, selon lui, il y a un hiatus entre le niveau de formation de la majeure partie des jeunes des quartiers populaires et les qualifications requises pour accéder au marché de l’emploi. Randstad France a d’ailleurs lancé une formation « dans des locaux situés dans la rue de Rivoli alors que 80% des jeunes qui viennent sont du 93 ou du 92 ».

D’après lui, afin qu’une entreprise s’installe en banlieue, il faut le développement d’une « politique partenariale » : offrir des emplois et recevoir des bonnes conditions de travail de la part de la municipalité. Mathieu Riché insiste lui aussi sur le fait que « ce n’est pas l’entreprise seule qui peut résoudre le problème des banlieues, c’est tout un écosystème ! ». Il pense que pour qu’une entreprise s’installe dans une ville dans les meilleures conditions, qu’il faut que le territoire soit dynamique, résolve les problèmes de sécurité et développe une politique de l’emploi qui suive la croissance de l’entreprise.

« Ce n’est pas la responsabilité unique du gouvernement que de chercher des talents en banlieue ! C’est aussi à la population et aux entreprises » poursuit Thomas Fellbom, le président de Young Urban Movement Project France (YUMP), association suédoise destinée à détecter et à former des jeunes de banlieues pour lancer et gérer leurs entreprises.

« En banlieue, c’est la crise en permanence depuis 30 ans ! »

Le franco-portugais Jean Manuel Simoes est né en 1964 dans la région parisienne. Il entame la dernière table ronde en projetant des photos qu’il a prise de « la vie quotidienne en ZUS ». « Quand on parle de la banlieue dans les médias, on a l’impression que c’est la guerre. Moi à chaque fois que je vais dans les quartiers, je repars et… je suis vivant ! » Lâche-t-il avec ironie. Cependant, il tient à préciser, pour conclure son temps de parole, que la majeure partie des banlieues est composée de zones pavillonnaires.

Son de cloche divergent pour une grande partie des correspondants étrangers. Vibeke Knoop Rachline, journaliste norvégienne correspondante à Paris pour le journal Aftenposten, considère qu’en 2005, « certaines situations pouvaient rappeler des scènes de guerre ». Elle raconte que lors des évènements « j’ai même été convoqué d’urgence au Quai d’Orsay [Ministère des Affaires Etrangères] par Philippe Douste-Blazy. Il avait réunis tous les correspondants étrangers pour nous dire comment nous devions parler de la banlieue ! ».

Stéphan de Vries, correspondant néerlandais évoque lui aussi avoir eu « l’impression d’assister à des scènes de guerres avec des policiers partout, des voitures qui brûlent… ». Cependant, il exprime le fait qu’il était difficile de faire comprendre à ses concitoyens les raisons de ces mouvements sociaux. « Ils voyaient les voitures qui brûlaient, mais ne connaissaient pas les conditions de vie dans lesquelles se trouvaient les habitants ! Certains pensaient même que c’était un conflit religieux et disaient ‘ah, ce sont encore les petits musulmans qui foutent le bordel’ ! ». De Vries explique à l’auditoire qu’il était difficile de faire comprendre ce qu’était le phénomène des « banlieues » en France. « Chez nous aux Etats-Unis, la banlieue c’est pour les riches ! » souligne Scott Sayare, correspondant à Paris pour le New York Times.

Scott et Stephan sont d’accord pour dire qu’il faut s’intéresser à la banlieue, et pas que « quand ça pète » : « mais c’est difficile d’y aller quand il n’y a pas de problème… C’est trop éloigné de notre lectorat » regrette le correspondant du New York Times. Il poursuit : « le traitement des banlieues est lui-même relégué à la périphérie de l’information en France… Pourtant, ce genre de territoire devrait être une honte nationale quand on voit les conditions sanitaires, sécuritaires et professionnelles avec lesquelles vivent les habitants ! En banlieue, c’est la crise en permanence depuis plus de 30 ans ! » s’exclame-t-il.

Fiachra Gibbons, correspondant en France pour The Guardian estime que a France devrait « agir rapidement car elle est en train de perdre la 3ème génération des jeunes issus de l’immigration. Le pays doit avouer son échec en matière d’intégration (…) Il faudrait presque des accords de paix en banlieue pour tout recommencer à zéro ! ».

Selon Simoes, la presse a un grand rôle à jouer en matière de communication sur les banlieues. Mais « aujourd’hui, les décideurs, qui ont un poids incroyable sur l’opinion publique, ne mettent jamais les pieds et banlieues et arrivent avec pleins d’idées préconçues ! » assène-t-il. Scott Sayare estime lui aussi qu’il est difficile de réaliser un travail de fond sur la banlieue car « en France, on ne peut pas parler aux policiers ! Il y a un véritable verrouillage de l’information du côté administratif ». Le correspondant hollandais approuvera ses propos en considérant que « les policiers abusent de leurs droits imaginaires dans les rues ».

« Aujourd’hui, ils parlent encore « d’émeutes » alors qu’il y avait un sens social à ces mouvements ! »

Les organisateurs de la conférence ont tenu à conclure par « l’expertise de terrain ». Celle de Mohamed Mechmache, résidant de Clichy-sous-Bois, président de l’association AC Le Feu. « La France a oublié ses enfants dans les quartiers. Mais aujourd’hui, pour changer les choses en banlieue, les relations ne doivent plus aller que du haut vers le bas, des décideurs vers les administrés ! » lance-t-il avec vigueur.

Il poursuit en rappelant que les évènements de 2005 ont accru les stéréotypes en banlieue. « Quand il y a un mouvement social en France, comme celui des bonnets rouges, on parle de ‘personnes en colères’. Quand ce sont les banlieues qui bougent, on appelle ça des ‘émeutes’ ! En 2005, on a décrété l’Etat de siège (…) Il y a un traitement des banlieues par la répression ». Si certains considèrent que le plan de rénovation urbaine est un geste envers les quartiers populaires, M. Mechmache estime que les banlieues n’ont pas à remercier l’administration : « C’est normal ! On ne pouvait pas laisser les gens vivre dans des zones insalubres, des zones de non-droit ! Et puis pourquoi quand les fonds vont aux zones franches, on trouve ça ‘normal’, et pas lorsque l’argent est injecté dans les quartiers ? ».

Dans les couloirs du Centre Wallonie-Bruxelles, Mohamed Mechmache, trapu, cheveux courts, sourire aux lèvres, doté d’une certaine aisance orale, revient sur le séminaire. « En ce qui concerne l’économie, je trouve ça dommage que ce soit les pays étrangers [l’association suédoise YUMP] qui viennent s’intéresser à ce qui se passe dans les quartiers parce que nos propres responsables politiques ne sont pas capables de le faire ».  Cependant, il craint que ce type d’initiative ne déshabille les quartiers des habitants qui « s’en sortent et qui pourraient tirer les autres vers le haut en gardant un ancrage local ».

En ce qui concerne les correspondants étrangers, il concède ne pas être « totalement d’accord » avec eux. « Ils ont contribué à la stigmatisation des banlieues françaises. Ils ont transformé ce qu’il s’est passé dans les quartiers sans comprendre le réel malaise social. La preuve : Aujourd’hui ils parlent encore ‘d’émeutes’ alors qu’il y avait un sens social à ces mouvements ». Il déplore le fait que l’on ne s’intéresse aux quartiers que lorsque ces derniers craquent, et non quand des choses positives s’y déroulent.

Le séminaire s’est fini sur une note d’espoir : l’image des banlieues peut être rénovée grâce à une communication positive et à un effort de la part des différentes institutions. D’ailleurs, Mohamed Mechmache a lancé une proposition : récupérer 10% de la réserve parlementaire pour la redistribuer aux initiatives dans les quartiers. Comme lui, nombreuses sont les personnes qui continuent à se battre pour la banlieue, leur lieu de naissance, là où ils ont grandi, et où ils vivent encore. « Les solutions existent pour les problèmes de la banlieue » déclare François Gibbons… comme quoi rien n’est irréversible.

Tom Lanneau

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