Le Printemps de l’économie est un cycle annuel de conférences animé par économistes et sociologues qui s’est déroulé du 20 au 23 mars 2017 à Paris. Le Bondy Blog a choisir de couvrir les discussions liées à la jeunesse, aux discriminations sur le marché du travail et à la mixité scolaire. Compte-rendu. 

La génération actuelle est-elle une « génération sacrifiée » comme nous l’entendons régulièrement? Comment lutter contre les discriminations ? La mixité sociale est-elle inefficace contre les inégalités ? Voici quelques-unes des questions débattues lors du Printemps de l’économie face à un public majoritairement composé de lycéens.

« Générations dorées » versus « générations paumées »

Pour Hippolyte d’Albis, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’École d’économie de Paris, il n’existe pas de « génération sacrifiée » : depuis 1945, souligne-t-il, la croissance économique est présente en France, « en-dehors de quatre à cinq années de récession », permettant aux plus jeunes d’avoir un cadre de vie meilleur que leurs aînés lorsqu’ils étaient âgés entre 18 et 25 ans. Il insiste d’ailleurs sur le fait que depuis 1945, l’espérance de vie a continuellement augmenté, que le niveau d’éducation s’accroit, à travers la propension de jeunes bacheliers, par exemple. Le sociologue Louis Chauvel s’inscrit en faux devant cette analyse en raison de la méthodologie appliquée par l’économiste qui n’est pas totalement crédible au niveau économétrique.

D’Albis distingue trois profils de jeunes : ceux qui sont intégrés, fortement diplômés grâce à l’investissement fait par leurs parents, avec des voyages en Erasmus par exemple et qui n’ont pas peur de la mondialisation ; ceux qui sont oubliés par le reste de la société, cumulant les problèmes d’insertion professionnelle et une grande précarité ; et enfin la majorité des jeunes, qui ont peur du déclassement et qui affichent une « défiance vis-à-vis de l’avenir ».

Pour l’économiste et directeur de recherches au CNRS, André Masson, la comparaison entre les jeunes et leurs aînés tient encore la route. Il distingue quatre groupes générationnels : les personnes nées avant 1939, qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Algérie, possédant un patrimoine élevé ; les baby-boomers (1943-1957), bénéficiant des « quatre P » ( paix, prospérité, plein-emploi, progrès ), les post baby-boomers, des insiders sur le marché du travail mais qui cumulent plusieurs problèmes (emprunts financiers, taxation, enfants à charge) ; enfin, les jeunes actuels qui subissent une forte précarité. À ses yeux, les deux premiers groupes forment des « générations dorées », les deux suivants des « générations paumées », victimes des chocs pétroliers des années 1970.

Inégalités générationnelles : « On devient riche lorsqu’on devient vieux »

La question des inégalités intergénérationnelles est mise en avant par les intervenants. Pour Alain Villemeur, économiste, co-auteur de « France, le désarroi d’une jeunesse », l’évolution du patrimoine depuis les années 1980 est telle qu’aujourd’hui, le patrimoine français correspond à 7 000 milliards d’euros (environ 3,5 fois le PIB français), et que l’âge moyen pour hériter d’un patrimoine est de 59 ans alors qu’il était entre 40 et 50 ans il y a 30 ans. « On devient riche lorsqu’on devient vieux », réplique Masson. Villemeur propose alors de fournir davantage d’incitations aux seniors à vendre leur bien immobilier à leur progéniture tout en restant locataire sur le principe du viager. André Masson le rejoint tout en estimant qu’il faut être plus lourd et plus progressif en matière d’imposition sur le patrimoine, notamment pour permettre le financement de la protection sociale et réinjecter ainsi ces montants dans l’économie réelle.

La réduction des inégalités passe également par l’éducation. Sur ce point, Villemeur propose une généralisation de dispositifs comme « l’École de la deuxième chance », afin d’éliminer le problème des dizaines de milliers de jeunes sans diplôme et faciliter leur accès à l’emploi. Dans le même temps, il propose l’instauration d’un système d’épargne-retraite, similaire à ce qui se fait en Allemagne ou en Suède. Il prône également la mise en place du contrat unique, à l’instar de ce que fait l’Italie, pour réduire, dit-il, la précarité des jeunes Français. En réponse, d’Albis estime que ce contrat unique n’a pas de raison d’exister car l’effort est surtout à faire sur l’éducation et que cela ne répond pas aux problèmes des discriminations.

Des jeunes issus de la diversité fidèles et loyaux

Transition toute faite, les discriminations, notamment sur le marché du travail, font partie des débats du Printemps de l’économie 2017. Et, chose à souligner, une majorité des intervenants sont des intervenantes. D’ailleurs, les femmes sont les plus discriminées, quelle que soit l’origine, selon Christel Gilles, une des économistes ayant établi le rapport de France stratégie sur le coût des discriminations, estimé à 150 milliards d’euros, en septembre 2016. D’ailleurs, l’effet de l’origine est cumulatif car les femmes et les hommes aux origines extra-européennes sont davantage discriminés selon cette étude relativement inédite en France.

Mais comment mesurer une discrimination ? Quels sont les types de discrimination ? L’économiste Marie-Anne Valfort indique qu’il existe environ 23 critères de discrimination et qu’il y a deux types de discrimination : la discrimination par goût, ou plutôt par dégoût de l’employeur, et la discrimination statistique. Ce à quoi son homologue Alain Trannoy rajoute la discrimination selon les goûts de la clientèle, prenant pour exemple le secteur des services en France, où les minorités sont encore plus minoritaires parmi les actifs de ce secteur. De même qu’il estime que le coût des discriminations estimé par France stratégie est bas car il faudrait induire le coût d’avoir formé une élite non-blanche qui ne trouve pas de travail en France et migre à l’étranger pour réussir, ou celui du « plafond de verre » pour des enfants d’origine extra-européenne ayant vu leur grand frère ou grande sœur faire des études et ne pas être embauchés, facilitant ainsi le découragement. Et pourtant, les personnes « issues de la diversité » peuvent rapporter aux entreprises selon la psychologue Sonia Hamoudi. Elle développe plusieurs arguments dans cette direction car si les employés d’une entreprise ressemblent à la proportion ethnique de la population nationale, cette entreprise peut mieux prendre en compte les besoins de la population, acquérir de nouveaux marchés, et par conséquent, augmenter son chiffre d’affaires et ses marges. Ou encore, selon la psychologue : « Les jeunes issus de la diversité embauchés par une entreprise développent une fidélité et une loyauté, réduisant le turn-over ».

Parmi les pistes envisagées pour lutter contre les discriminations, figure l’approche punitive. Mais est-elle pertinente ? Ce n’est pas vraiment le cas aux yeux de Valfort. L’universitaire accorde plus d’intérêt à généraliser les campagnes de testing, comme celle qu’a fait le ministère du Travail en 2016, en incluant les TPE-PME dans le champ d’analyse et en faisant attention à ce que les entreprises, indépendamment de leur taille, ne fassent pas de contournement pour paraitre à l’avant-garde des luttes contre les discriminations. En prolongement, Trannoy propose un « label diversité », de manière à ce que les entreprises fassent attention, sinon leur image de marque sera écornée publiquement, ce qui ne ferait pas plaisir aux actionnaires tout particulièrement. Ce label existe pourtant déjà depuis plusieurs années et force est de constater qu’il n’a pas permis de réduire à grande échelle les discriminations. Enfin, pour Valfort, la lutte contre les discriminations passe entre autres par une réforme des congés paternité, semblable à celle mise en place dans les pays scandinaves pour la maitre de conférences en économie à Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; et s’agissant de Trannoy, le travail éducatif doit s’organiser, notamment autour de la mixité sociale dans les établissements scolaires.

La ségrégation scolaire amplifie la ségrégation spatiale

Le constat est issu du dernier rapport PISA : le système scolaire français est l’un des plus inégalitaires d’Europe, et ce, en fonction de l’origine sociale des élèves. Ce que relève par ailleurs l’économiste Arnaud Riegert, estimant que l’indice de ségrégation dans le collège public en France est de 16 points ; ceci signifie que dans un collège où des cadres vivent à proximité, 34% des élèves sont enfants de cadres en moyenne. Et dans un collège avec des cadres vivant à plus longue distance, la part moyenne tombe à 18%. Au sein d’un établissement scolaire, les disparités sont fortes notamment en raison des classes de niveau où Arnaud Riegert indique que la moitié des collèges appliquant cette pratique le font volontairement, en fonction aussi du choix des parents (option européenne en quatrième par exemple, langues rares). Pour le sociologue Marco Oberti et pour l’économiste Julien Grenet, « la ségrégation scolaire est reliée à la ségrégation urbaine ». À travers plusieurs graphiques, Marco Oberti, directeur de l’Observatoire sociologique du changement à Sciences Po Paris, montre combien les milieux populaires vivant en Seine-Saint-Denis, dans la partie nord des Hauts-de-Seine, dans le sud du Val-de-Marne, connaissent les plus faibles taux de réussite au brevet dans les collèges publics durant la période 2006-2012. Paris et les villes ayant une forte proportion de classes aisées affichent, eux, des taux de réussite élevés au brevet. Quant aux collèges privés, la concentration sociale est plus nette, y compris en Seine-Saint-Denis (Le Raincy), où ils récupèrent les enfants issus des classes supérieures selon Oberti.

Mais des politiques de mixité sociale et scolaire ont été lancées ces dernières années, avec l’exemple d’Affelnet en Île-de-France depuis 2008, que cite Julien Grenet. Et l’économiste en tire l’observation suivante : la mixité sociale est plus importante à Paris qu’à Créteil ou Versailles, mais l’inverse se produit au sujet de la mixité scolaire. Pourquoi ? Selon Grenet, cette ségrégation scolaire est due au système Affelnet, qui prend en compte les notes de troisième, mais pas seulement. Les choix des parents ainsi que l’existence de secondes spécifiques à Paris empêchent la mixité scolaire.

L’économiste relève un manque de transparence, un manque d’équité et des effets pervers comme le « bug » du lycée Turgot qui compte 80% de boursiers. Par conséquent, il propose plusieurs solutions : en matière de transparence, une meilleure compréhension du calcul des points, une publication des barres d’admission ; en matière d’équité, un rééquilibrage des districts de l’académie de Paris car le district Est concentre 40% des lycéens parisiens, une suppression des restrictions sur le nombre de vœux ; puis en matière de lutte contre les effets pervers du système, une atténuation du poids des notes, sachant que serait bientôt en place un plafonnement du bonus boursier quand un lycée atteint son objectif de mixité. Des propositions complémentaires à celles faites sur le Bondy Blog à propos de l’éducation prioritaire dans les quartiers populaires. L’Académie de Paris vient elle de décider d’un plafonnement à 50% du taux de boursiers dans chaque lycée. 

Jonathan BAUDOIN

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