Konar a quitté le Soudan « pour survivre ». Ce jeune homme de 25 ans habitait une ville proche de la frontière avec le Soudan du Sud, le plus jeune pays du monde ravagé par une guerre civile. Là-bas, il n’a pas eu la chance de suivre les études de géographie qu’il envisageait « pour comprendre le fonctionnement du monde », car son père n’avait pas les moyens de payer les études. D’autant plus qu’un terrible bombardement a anéanti une partie de son cheptel. La vente de dix survivantes – 100 $ –  lui permettra tout de même d’acheter un billet pour l’Égypte. Et c’est comme « une vache », entassé dans un véhicule surchargé d’hommes et de bagages, qu’il a traversé la frontière en se cachant de la police. Il restera alors un an à Charm-el-Cheick, dans une maison sans toilettes. Puis il passe en Italie, avant de rejoindre onze jours plus tard la destination tant espérée : la France.
Arrivé à Paris en mai dernier, il n’a toujours pas pu joindre ses proches. Seul un coup de téléphone à un ami de Khartoum dont il connaît le numéro par cœur, lui a permis de prendre des nouvelles de sa famille. Et surtout d’annoncer qu’il était arrivé à Paris. La France, un pays qu’il ne veut pas quitter, car il ne veut pas retrouver la guerre. Mais un pays qu’il n’imaginait pas comme ça, maintenant qu’il vit dans une tente sous un pont de la capitale. « J’ai fui mon pays parce que j’avais trop peur. Et j’espérai qu’en Europe on prendrait soin de moi. Je ne comprends pas ce qu’attend le gouvernement pour nous aider. J’ai risqué ma vie et je n’ai rien ici. Je veux juste étudier et un logement, pour repartir de zéro et construire ma vie ».
Hussein a quitté Agadez en 2009. A la mort de son père, sa mère décide de partir avec ses trois fils en Libye. Direction Sabha parce que « la vie était trop difficile au Niger ». Il a commencé à travailler jeune dans cette ville, surtout pour remplacer ses grands frères. L’un servait des tasses de café, l’autre vidangeait des voitures.
sans-titre1A la mort de Kadhafi, ils sont tous rentrés au Niger, car « la Libye était devenue trop dangereuse pendant la guerre, il y avait beaucoup de batailles entre les ethnies et tout le monde est armé ». En mars 2012, ils repartent pour la Libye et s’installent à Tripoli. Jusqu’en juin 2015, où son frère aîné veut quitter la Libye. Hussein souhaite partir aussi. Le frère s’y oppose, puis cède, sans qu’aucun d’eux ne parle du choix d’Hussein à leur mère. Hussein embarque alors dans un bateau de quelques mètres piloté par son frère, parmi 116 autres passagers, dont Adam, un ami depuis le Niger. Après un jour en Méditerranée, ils sont interceptés par la police italienne qui les transfère dans leur bateau pour rejoindre la Sicile. Depuis, Hussein n’a jamais revu son frère immédiatement arrêté par la police.
Quatre jours plus tard, ils sont acheminés à Milan, puis dispatchés et emmenés dans un petit village dont il ne se rappelle même pas le nom. Adam est toujours à ses côtés et c’est ensemble qu’ils luttent, puis cèdent à la police pour la prise de leurs empreintes. Ils sont conscients que cet acte peut à tout moment les faire revenir en Italie, le premier pays où ils sont entrés dans l’Union européenne. De retour à Milan, ils suivent les conseils de Soudanais et se rendent à Vintimille où ils prennent un train pour Nice, « sans billet mais cachés dans les toilettes » qu’ils ne ferment pas, afin d’éviter que le rouge de la serrure ne les trahisse.
La police étant présente à la gare, ils s’en vont dormir dans un petit jardin public. Au réveil, ils rencontrent « un Arabe » qui leur donne 40 euros chacun : « On a pris un ticket de bus pour Marseille. Pendant trois jours, on a dormi dans la gare puis on a pris un train jusqu’à Lyon. J’ai perdu Adam qui est resté dans le train, je ne savais pas que le train allait à Paris ». Le lendemain, il arrive enfin et retrouve Adam vers la station Jaurès, où ils sont hébergés par un ami du grand frère d’Adam. Il vit en Angleterre et à distance, il les a orientés vers le campement d’Austerlitz. Ici, Hussein ne mange pas à sa faim et pense à faire des petites réserves pour les jours sans distribution de nourriture. Et avec le froid qui arrive, il pourrait partir « en Allemagne, où c’est mieux qu’ici ».
 « Depuis longtemps, c’est le pays où je veux être »
Amadou a 17 ans. Ce jeune guinéen parti de Conakry raconte lentement son périple de huit mois. Amadou n’a jamais été à l’école en Guinée. Il aimerait suivre ici « une formation pour travailler en cuisine ». Il n’a pas de proche en France mais ça ne l’a empêché de rejoindre le Mali, puis l’Algérie, pour passer au Maroc et voguer vers l’Espagne. « Je suis resté un mois en Algérie et j’ai pu travailler comme maçon. Au Maroc, j’ai attendu trois mois avant de prendre le zodiac. Nous étions 44 personnes sur un bateau de 9 mètres ». Arrivé en Espagne, il reste deux mois à Tarifa où une ONG s’occupe de lui.
sans-titre2Il rencontre dans cette ville Thierno Ibrahim, un compatriote d’un an son cadet, qui a démarré le même voyage, via les mêmes étapes, en mars dernier. Il n’a pas terminé le collège et souhaite poursuivre ses études, pour apprendre à conduire « les machines qui prennent les containers ». Ils sont arrivés le 4 septembre à Paris et n’ont pas encore démarré les démarches pour obtenir une régularisation mais les deux compagnons de route espèrent rester en France. « Depuis longtemps, c’est le pays où je veux être » répète Amadou.
Les deux jeunes devenus inséparables depuis Tarifa sont également proches d’un autre guinéen. Ciradjo, 21 ans, n’a pas le même parcours. Élevé par sa grand-mère en Guinée, il a rejoint ses parents en 2007 en Espagne où il a pu être scolarisé. Il a ensuite suivi une formation professionnelle en mécanique mais faute d’emploi, il a quitté ce pays pour trouver du travail en France. Au campement d’Austerlitz depuis un mois déjà, il trouve que la vie est difficile ici, « si ça ne marche pas, j’irai en Allemagne ou je rentrerai en Espagne ».
L’école, une formation, un emploi ou simplement un nouveau départ, ces jeunes hommes n’imaginaient pas vivre dans ce campement. Thierno, un autre guinéen de 22 ans rappelle les belles images qu’ils voient à la télé, qui donnent l’espoir « d’arriver à Paris pour la belle vie. Les gens ne te croient pas quand tu dis que tu vis dans une tente. Tu ne peux pas convaincre quelqu’un en Afrique, il va dire que tu ne veux pas son bonheur. C’est la déception. Mais je suis là, je vais combattre, faire tout pour percer ».
Rouguyata Sall

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