Les militants ne baissent pas les bras contre le projet d’aéroport à proximité de Nantes. La campagne qui prend des airs de Larzac dans les années 1970, attire de nombreux jeunes, dont ces deux étudiantes parisiennes rencontrées juste avant les vacances.

La petite ville de Notre Dame des Landes, en Loire Atlantique, n’est habitée que par 2 000 âmes. Cependant, le nom de cette commune est loin d’être anonyme pour les Français et pour cause, cette petite bourgade représente le bastion de l’un des plus grands mouvements de contestation mené contre le gouvernement actuel. En cause, le projet de « l’aéroport du Grand Ouest », envisagé depuis le milieu des années 1960 et officialisé en 2008 dans le département où Jean Marc Ayrault était alors député et maire de Nantes. D’où la fameuse tirade d’Arnaud Montebourg « tu fais chier la terre entière avec ton aéroport », à l’intention du premier ministre. Afin de lutter contre la construction de cette structure, de nombreuses personnes font face aux forces de l’ordre depuis plus d’un an, ayant même installé leurs tentes sur les terres tant convoitées.

Sophie, 19 ans, compte aller prendre part à la lutte qui se déroule à 25 kilomètres de Nantes. Bien qu’habitant à 400 kilomètres de Notre Dame des Landes, cette étudiante se sent concernée par cette mobilisation, selon elle notre rapport vis-à-vis de la nature est fondamental. « C’est la valeur qui guide mon intérêt politique. Tous les sujets qui touchent à l’écologie m’intéressent. Ce n’est pas normal que je connaisse des potes habitant en banlieue qui n’aient jamais mis les pieds dans un champ ! » Sophie me dira par ailleurs qu’elle va jusqu’au bout de la logique écolo pour se rendre sur les lieux de la contestation afin d’être « cohérente avec moi-même » : soit elle ira en covoiturage « avec une voiture pleine », ou bien en train.

Mais d’après elle, le thème de l’écologie n’est pas le seul abordé à Notre Dame des Landes : « Le sujet est beaucoup plus vaste ! Nous nous demandons si nous ne faisons pas fausse route en faisant semblant de nous complaire dans la société capitaliste… Il faudrait peut-être remettre en cause ce système de consommation pour revenir aux valeurs fondamentales telles que la nature ».

Elle ajoute que la contestation n’est pas le seul aspect qui l’attire dans les manifestations. Il y a aussi le côté humain : le fait de rencontrer des gens, de voir comment ils s’organisent, d’apprendre certaines choses, se retrouver entre amis… « De plus, d’après ce que mes amis me racontent, l’ambiance est super hétérogène: les gens partagent, quelque soit leurs origines sociales, leur âge… ils sont tous là pour le même combat ! Et puis l’ambiance semble plutôt bonne : c’est pas parce qu’on milite qu’on doit faire la gueule ! Faut donner aux gens l’envie de nous rejoindre ».

Je demande alors à Sophie pourquoi ne pas manifester sur Paris ? Il n’y aurait pas 400 kilomètres à faire et défiler dans la capitale pourrait peut-être avoir une plus grande portée médiatique. Elle me répond que non, les manifestations de soutien à Notre Dame des Landes dont elle a fait partie, ont été occulté par les médias. « En plus, le fait d’être dans les champs a permis aux manifestants de s’installer en mode camping, donc de pouvoir tenir plus longtemps et de créer une ambiance originale qui attire l’œil de la France entière ».

Nous évoquons alors le dénouement de la situation. Sophie a l’impression que le gouvernement reste indécis « comme pour la plupart des prises de position actuelles ». Cependant, elle entretient l’espoir qu’ils prennent une décision rapide afin qu’ils puissent s’attaquer à des sujets plus importants. « Je ne sais pas qui va gagner, mais s’ils lassent traîner l’affaire, ça va être néfaste pour les deux partis ».

« En plus, Valls a envenimé les choses en souhaitant mettre les militants de Notre Dame des Landes sur liste rouge. Pareil pour certaines associations antinucléaires ou anti-gaz de schiste. On serait alors surveillé au même titre que des mouvements violents d’extrême droite ! Alors en me rendant là bas, je peux être mise dans le même sac qu’un facho qui va taper sur un homo ou sur un noir alors que je ne fais pas parti d’un mouvement dangereux ! ».

Mathilde, étudiante dans le même amphi de Sophie, s’est déjà rendu à Notre Dame des Landes avec des amis. Les motivations qui l’ont poussée à s’y rendre sont à peu près les même que celles de Sophie. Elle explique qu’elle se sent concernée par la mobilisation, car elle « représente une convergence des luttes : nous ne sommes pas là bas juste pour l’aéroport, nous exprimons aussi notre mécontentement vis-à-vis du système actuel ! Et puis ce n’est pas parce que je suis parisienne que je n’ai pas le droit de lutter pour la nature. Là en l’occurrence, on compte détruire plusieurs hectares de terres fertiles pour quelques dossiers en moins à Pôle Emploi… Que représentent quelques emplois précaires contre tout un écosystème ?! »

Mathilde affirme que le moral des militants est « au max » et que l’ambiance est « géniale », car tout le monde se mélange. « Pour moi là-bas, c’est le paradis : contrairement à ici, les champs s’étendent à perte de vue, les gens s’entraident tous pour une même cause, ils cherchent à se rencontrer pour apprendre, il y a des festivals… Alors qu’on ne peut pas forcément dire que le premier mot qui nous vienne à l’esprit lorsque nous parlons de la capitale soit celui de ‘solidarité’ ! »

Elle évoque ensuite le fait que les gens viennent des quatre coins de l’hexagone et même au-delà, et que certains regrettent d’avoir à quitter les lieux, laissant les jeunes de la région et les agriculteurs lutter seuls : « Il y en a qui sont là depuis un an sans discontinuer ! ».

Mathilde revient ensuite de l’éventuelle issue de cette lutte : « Il est difficile de prévoir la fin de ce conflit, je ne m’appelle pas Akinator ! Cependant, je sais que si l’aéroport se fait, il y aura de nombreux sabotages… on ne le laissera pas se construire ! D’ailleurs, un de nos slogans était : ‘Vinci dégage, résistance et sabotage !’. Mais je ne m’attends pas à ce qu’Ayrault renonce: il a déjà signé le contrat. Il faut donc que les gens se regroupent autour des agriculteurs ».

À la fin de la conversation, Mathilde m’avoue que « ce serait dommage si l’on assistait au dénouement de cette situation ». Me voyant surpris par sa réponse, elle explique : « Bah ce serait bête, il n’y aurait plus de raison d’aller là bas ! Ça mettrait fin à une belle aventure humaine ! C’est un bon exemple que la population française reste solidaire : c’est le seul endroit que je connaisse où les jeunes aident bénévolement les agriculteurs et où les agriculteurs fournissent à ces derniers des vivres pour les remercier de combattre à leurs côtés. L’idéal serait que l’on reste même si l’on remporte la bataille ! »

Tom Lanneau

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