C’est à la bourse du travail de Saint-Denis que le PIR (Parti des Indigènes de la République) a fêté son 10e anniversaire. Parmi les invités, la fameuse Angela Davis,  icône de la lutte des droits civiques des noirs américains dans les années 1970. Les femmes étaient d’ailleurs mises à l’honneur,  des femmes militantes et combatives pour diverses causes étaient présentes (lutte contre l’islamophobie, le contrôle au faciès, la situation des Roms ou encore les crimes policiers). Parmi elles : Vanessa Thompson (Brigade Anti Négrophobie/Cop-watch frankfurt-Allemagne), Amal Bentounsi (Urgence la police assassine !), Sihame Assbague (Stop le contrôle au faciès),  Mireille Fanon Mendès-France (Fondation Frantz Fanon), Nacira Guénif-Souilamas (sociologue).
Il est 18 h, la salle qui peut accueillir 300 places n’est pas suffisante.  Tout le monde veut voir cette femme militante qui a appartenu au mouvement des Black Panthers.  À son arrivée dans la salle, Angela Davis est accueillie par une standing ovation du public. On peut même entendre des cries de joie.  Les caméramans et les photographes l’entourent pour la prendre en photo. Elle joue le jeu malgré les nombreux flash actionnés par ces derniers, puis s’assoie au premier rang face au pupitre. De nombreuses personnes viennent la saluer dont Alima Boumediene-Thiery, sénatrice Europe-Écologie Les Verts (EELV).
Houria Bouteldja, porte-parole du PIR prend la parole : « Nous fêtons les 10 ans d’une organisation politique décoloniale, radicalement décoloniale et autonome dirigé par et pour les militants issus de l’histoire coloniale. Dix ans, c’est peu et beaucoup et c’est donc un événement important que nous souhaitons fêter dignement.  Le 8 mai, c’est beaucoup d’autres choses aussi, pour la France officielle et pour une grande partie des Français le 8 mai 1945 est un jour de fête pour les descendants colonisés et pour les anticolonialistes, c’est un jour de deuil ! » dit-elle en insistant sur sa dernière phrase.
« Aujourd’hui, nous sommes tristes. Mais au-delà du deuil, il y a le caractère politique de cette date du 8 mai, car le jour où le nazisme est vaincu, le jour où la République et l’État de droit sont rétablis, la France commet un massacre de masse dans l’une de ses colonies. La date du 8 mai contient toutes des contradictions de la République Française d’hier et d’aujourd’hui. La démocratie pour les Français, le système colonial pour les colonisés. Les droits de l’homme pour les uns et la torture pour les autres. L’universalisme pour les uns, l’indigénat pour les autres. Et aujourd’hui, la citoyenneté pour les uns, la discrimination, les crimes policiers, le contrôle au faciès, et le déni de l’histoire pour les autres. Cette histoire de ce présent construit un “eux et un nous” que l’on veuille ou non. Et si, nous voulons sortir de cette ornière, de ce face à face mortifère, échapper aux conflits, aux guerres civiles qui s’annoncent, ils seraient grand temps d’affronter ces contractions profondes qui structures cette République aigrie et nostalgique du temps béni de la France coloniale. Cet État nation qui n’a jamais renoncé à son empire » ajoute-t-elle.
Après cette intervention, Houria Bouteldja  invite sur l’estrade Saïd Akhelfi, joueur de gasba (instrument traditionnel algérien) qui a joué de la flûte. Un air intense au son berbère qui donne des frissons au public. Des images défilent au même moment sur le mur de la salle ; des photos de martyrs notamment décédés lors du 8 mai 1945 (Sétif, Guelma et Kerrata).
Angela Davis a écouté attentivement cet air comme le reste de la salle.  La porte-parole du PIR reprend son allocution en revenant sur les personnalités avec qui son parti est en désaccord : Caroline Fourest (essayiste et journaliste), Élisabeth Lévy (journaliste) et notamment Alain Finkielkraut (écrivain, philosophe, essayiste et académicien français). D’ailleurs, un extrait d’une émission montrant une intervention de ce dernier face à Houria Bouteldja est diffusé dans la salle.
Angela Davis est ensuite invitée à prendre la parole et le moins que le puisse dire, c’est que même âgée de 71 ans, elle n’a pas perdu de son aura et son charisme. Elle s’exprime en anglais, un traducteur est présent à ses côtés afin d’assurer la traduction. « Je vous rends visite alors que de grands événements ont lieu aux États-Unis. C’est un moment de renouvellement de la conscience antiraciste. Il y a aussi une prise de conscience du rôle que joue le racisme anti-musulman pour façonner la violence raciste. Et je dois dire que c’est également un moment où même les forces politiques conservatrices veulent reconnaître à quel point le Patriot Act a été dommageable. Au moment, où nous sommes en train d’essayer, désespérément, de défaire les dégâts qui ont été causés par le Patriot Act, il est très triste de voir la France adopter la loi sur le renseignement » (…). La militante poursuit son discours en abordant la thématique du racisme en France : « ceux qui ont combattu la violence raciste et l’antisémitisme n’ont pas compris à quel point le racisme anti-arabe et l’islamophobie ont transformé le terrain. Et si nous ne comprenons pas cela, alors nous ne pourrons pas comprendre l’intersectionnalité du combat pour la justice. Vous ne pouvez pas appeler à la fin du racisme et de l’antisémitisme, sans appeler à la fin de l’occupation de la Palestine et à la liberté pour les prisonniers politiques y compris Georges Ibrahim Abdallah ».
Enfin, elle termine son intervention par un sujet d’actualité, la police aux outre-Atlantique : « Aux États-Unis, les services de police locaux ont été militarisés même ceux des universités. Ils portent des tenues militaires, ont des véhicules blindés, un armement militaire, des stratégies militaires, un langage militaire… d’ailleurs, les services de police locaux ont même été entraînés par l’armée israélienne. Avant, nous pensions qu’il y avait une différence entre la police et l’armée, plus maintenant. Les services de police ont toujours le fameux slogan “protéger et servir”. Et quand bien même ils ne protégeaient ni ne servaient, au moins ils prétendaient le faire. Alors que l’Armée est entraînée à tirer pour tuer ».
Au cours de la conférence, trois groupes thématiques ont été organisés. Le PIR a décidé de leur donner la parole. « Banlieue et les crimes policiers » était le premier thème évoqué. Hanifa Taguelmint (collectif Mémoires en marche-Marseille), Amel Bentounsi (Urgence Police Assassine), Sihame Assbague (Stop le Contrôle au faciès) et Zohra el Yamni (Justice et Vérité pour Wissam el Yamni) ont pris le micro pour parler des causes qu’elles défendent.  Zohra el Yamni a particulièrement émue le public en racontant la mort de son fils, les larmes aux yeux, émue elle aussi. Pour l’encourager, le public l’applaudit. « Un jour, le 31 janvier, ma belle-fille m’appelle pour me dire que je dois venir avec elle à l’hôpital. Quand je suis arrivée, j’ai vu mon fils à la morgue pour l’identifier. Je n’arrivais à pas croire ce que j’avais vu. Je n’aurais jamais pensé que ça  pouvait se produire en France. Dans ce pays, on dit qu’il y a les droits de l’homme, mais quand j’ai vu le visage de mon fils à la morgue, il était couvert d’hématome. Ce souvenir ne s’enlèvera jamais de ma mémoire.  Il avait des bleus partout, des côtes cassées. Je n’arrivais pas à y croire que des policiers ont pu faire ça. Ces mêmes policiers ont dit des choses horribles sur mon fils.  Ces policiers l’ont massacré et ils l’ont mis dans le coma. Ils l’ont tué. On veut la justice. Et on aura la justice ».
Plusieurs autres témoignages ont suivi sur ce thème comme celui de Sihame Assbague : « Le PIR est d’autant plus important pour moi que les indigènes sont très certainement au cœur de mes débuts de militante et activiste… on peut discuter sur les positions du PIR, être d’accord ou ne pas être d’accord. Ce qu’on ne peut pas leur enlever c’est l’amour qu’ils ont pour les indigènes. Ça me fait penser à une citation de Malcolm X : “Certains disent que je prêche la Haine, mais je ne prêche pas la haine, mais je prêche l’amour. Je ne parlerais pas si je ne vous aimais pas. Je ne prendrais pas de risque pour vous si je ne vous aimais pas ».
Deux autres thématiques ont été abordées : le racisme d’État et l’impérialisme, mémoire et histoire. La zappeuse Casey a interprété un de ses morceaux lors des échanges du dernier groupe. Une musique qui a beaucoup plu au public.
La soirée touche à sa fin, Angela Davis la conclut : « J’ai été heureuse d’avoir participé à cette soirée exceptionnelle et toutes les interventions ont été également extraordinaires. Ces interventions m’ont donné beaucoup d’inspiration et j’ai apprécié la tentative que le PIR a faite pour relier les différentes luttes en les globalisant tout gardant les spécificités de chacune ».
Fin des discours, toutes les intervenantes montent sur l’estrade près d’Angela Davis et Houria Bouteldja pour prendre des photos.
Hana Ferroudj
Crédit photo : Hassan Kodak

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