La salle est comble et outrée quand les juges repassent les faits qui ont mené, le 31 mars dernier, à l’agression transphobe de Julia place de la République. La vidéo projetée montre une foule qui invective, menace et jette de la bière sur la femme de 31 ans. Elle témoigne, comme l’accusé, des insultes transphobes et homophobes du groupe. On voit le courage de Julia, qui, provoquée par S., lui ébouriffe les cheveux, le retrouve au milieu d’une foule moqueuse et hostile pour lui dire qu’elle n’a pas peur de lui, suite à quoi il la frappe sans merci, seulement arrêté par un ami qui l’éloigne. Une scène de transphobie tristement ordinaire, alors que les chiffres en la matière augmentent chaque année (210 signalements à SOS Homophobie en 2018 contre 121 en 2016).

Dans le box, le sort de S. est presque scellé : il s’identifie sur la vidéo et reconnaît avoir porté les coups que décrit Julia. Le jeune homme de 23 ans, sans-papiers d’origine algéro-marocaine, paraît effacé derrière son interprète, il répond parfois en décalé, de façon lapidaire. Il exprime du regret à plusieurs reprises et présente ses excuses pour ses coups. Mais pas question de reconnaître qu’il aurait insulté Julia ; elle l’accuse de l’avoir traitée de « sale pédé ». S. s’enlise dans des explications confuses. Il affirme que la foule scandait des insultes, puis qu’il ne faisait que répéter ce que la foule chantait, puis, face à sa contradiction, dit qu’il chantait une chanson, pas une insulte. De plus, pendant sa garde à vue, les policiers ont rapporté son redoublement d’insultes à l’égard de Julia, refusant fermement de la considérer comme une femme.

La défense s’avance cependant, Maître Touré déplore l’absence des autres personnes ayant insulté et agressé Julia, souhaitant que l’on n’incarne pas en la personne de S. toute la transphobie – indéniable – du groupe, mais aussi, de la société française dans son ensemble. Ce procès est-il le « procès de la transphobie », comme le soutient Me Deshoulières, l’avocat de Julia ? La défense essayera – sans succès – de s’en défaire. En effet, pour caractériser une agression transphobe, il suffit de prouver qu’elle s’est déroulée dans un contexte transphobe avant, pendant, ou après : ce qui était autant indéniable qu’il était difficile de croire l’absence de toute motivation transphobe de l’accusé. Cette caractérisation est cruciale pour le procès : elle aggrave la peine et justifie les demandes de dédommagement d’associations qui soutiennent Julia.

Une victoire symbolique mais une peine qui ne satisfait personne

Le « procès de la transphobie » n’en restait pas moins teinté par la transphobie de notre société : le juge deadnamait (nommer une personne trans par le nom qui n’est pas celui d’usage) Julia tout le long du procès et la mégenrait, l’appelant ici et là « Monsieur », ajoutant encore un peu à l’insupportable. Une violence conjuguée à la qualification initiale erronée de l’acte, caractérisé comme discriminant à raison de « l’orientation sexuelle » au lieu de « l’identité de genre. » L’erreur corrigée au commencement du procès n’empêchait pas la confusion homophobie-transphobie, même quand le juge, essayant de critiquer cette confusion, hasardait un intéressant « transgenrephobie. »

Finalement, le couperet tombe. S. est condamné à 6 mois ferme, et 4 avec sursis, en plus de devoir verser 3500 euros à Julia et 1500 euros à chacune des trois associations : Mousse, Stop Homophobie et SOS Homophobie. Le président du tribunal finit en s’adressant directement à Julia : « Je vous remercie, Madame, et rends hommage à votre courage. » À la sortie, la jeune femme et son avocat soulignent une victoire, cependant mitigée. Ils n’avaient pas souhaité que S. soit emprisonné, une « punition » à laquelle ils auraient préféré une « sensibilisation ».

La peine est d’autant plus inquiétante que S. est sans papiers, rendant son futur encore plus sombre : à la sortie de prison, il risque de recevoir une obligation de quitter le territoire et être placé en centre de rétention administratif pour situation irrégulière. Une double peine prise pour acquise. Le procès de Julia étant une avancée indéniable dans le combat contre la transphobie, il montrait aussi que la lutte en la matière et pour une justice égale pour tous, sans distinction de nationalité, restent d’actualité.

Arno PEDRAM

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