C’est au détour de sa tirade sur l’union nationale lors des vœux de la Saint-Sylvestre que le Président de la République lâche le boulet de canon : le gouvernement souhaiterait soumettre un projet de loi visant à étendre la déchéance de nationalité aux binationaux coupables de terrorisme.

« Déchéance de la nationalité ». A travers cette phrase, de nombreuses années de schizophrénie identitaire se cristallisent. Je suis (presque) officiellement une  « Française en CDD ».

Jusque là, le mal-être de certains binationaux découlait d’un imaginaire collectif qui rétrograde bien souvent le non-européen d’origine à un simple Français administratif. Mais aujourd’hui, avec cette volonté de réformer la Constitution, nos élus, nos garants des valeurs de justices et de fraternités, ceux qui, mieux que personne devraient lutter contre la scission et travailler à l’union de la communauté nationale, nourrissent la stigmatisation.

Et cela n’a pas manqué. En plus du malaise interne auquel les binationaux se confrontent à la suite de cette annonce, les questions gênantes de la part des tiers s’enchaînent. Celle qui fut la plus présente, mais également la plus lourde fut : « si tu devais choisir entre la France et ta deuxième nationalité choisirais quoi ? »

Cette question est la preuve du raccourci vulgaire qui est fait : je dois choisir, car avoir la double nationalité c’est être « indécis ». Cette question remue en moi de vieux souvenirs. Quand ai-je su que je n’étais pas une Française « normale » ?

Jusqu’au lycée je me suis toujours sentie Française, c’est normal, je le suis. Aussi bien de sol que de sang. Mon père étant le fruit de l’histoire coloniale française. Mon grand-père était algérois et ma grand-mère normande. Enfant, disant que physiquement rien ne me démarquait vraiment de « nos petites têtes blondes » (cette expression affectueuse qui, je trouve, a le don de rappeler aux petites têtes non blondes qu’ils sont différents, comme des enfants adoptifs qu’on élèverait par devoir et sans affection).

« Non, mais toi tu as un nez d’arabe »

Chez moi on me rappelait souvent que je n’avais hérité « que du côté français », aucune facilité pour l’apprentissage de la langue arabe, un petit côté fragile qui pour certains, rappelait le côté français de mes origines. Des dispositions pour les arts et la culture qui, là encore, n’auraient aucune filiation vraisemblable avec mon côté algérien (allez savoir pourquoi). Dès lors je me suis construit une identité fantasmée sur ce que serait un Français. J’étais donc conditionnée dans l’idée que de toute façon j’étais Française, et cela m’allait très bien. Peut-être que derrière ces boutades je ressentais une certaine fierté de la part de ma famille, surtout maternelle, d’avoir une fille si caucasienne, mais la vedette me fut vite volée par mes petites cousines blondes aux yeux verts qui elles, étaient d’origine algérienne de toutes parts.

Arrivée au lycée, mes traits se sont peut-être affirmés et mon côté méditerranéen prenait physiquement de la place. Petit à petit, des remarques de la part de mes camarades venaient me piquer. « Non, mais toi tu as un nez d’arabe » (j’ai le nez légèrement aquilin). D’un point de vue esthétique et étant complexée par mon nez à cette époque, la remarque m’a fait mal, mais je ne compris pas quel rapport avec « l’arabe ». Puis les commentaires de mes « amis » se sont faits de plus en plus fréquents et inopportuns. J’avais beau rappeler que, « non, je suis Française, je suis née en France, et de toute façon ma grand-mère est normande », (ce qui ne devrait pas plus légitimer ma nationalité, mais à l’époque cela devait être le cas pour moi), les remarques continuaient.

Une « sorte » de Française

Au début je me battais pour prouver que j’étais Française, évoquant sans cesse mes week-ends à Briouze dans l’Orne, chez mamie Thérèse, pour rappeler à quel point j’étais l’une des leurs. Mais après moultes remarques, voilà comment un jour je compris, lors du rendez-vous parents-professeurs : l’une de ces personnes qui me rappelaient sans cesse que j’étais différente, qui imitait ma famille avec un « accent arabe » ridicule dès que j’y faisais référence s’est présentée avec ces parents lors de cette réunion. Ses parents étaient d’origines portugaises et parlaient très peu le français, elle devait d’ailleurs faire la traduction entre le professeur et ses tuteurs. Pour autant, cette personne me blâmait, me rappelait sans vergogne depuis des mois, mon infâme différence. Et d’ailleurs pour ce même cercle d’amis, elle était Française (et c’était réellement le cas), elle n’avait rien à prouver, on ne lui fit jamais de remarques, ou de boutades bien placées sur le fil du politiquement correct. Je restais et je resterai l’étrangère.

Cet épisode me fit comprendre que le problème n’était pas que mes grands-parents soient issus de l’immigration, le problème était que mes ancêtres soient des « indigènes ». Je gardais ce stigmate et je le garderai sans doute toujours. Que je change de religion, que je me blondisse les cheveux, je serai toujours, et tous ceux qui comme moi sont des enfants du colonialisme, dans l’inconscient collectif français, une citoyenne pas comme les autres. Une « sorte » de Française, d’un pedigree peut-être moins luxueux.

Cette période de ma vie fut la claque du stigmate qui remis toute la vision de mon identité en cause. Pourquoi me sentais-je vexée d’être une « arabe » ? L’actualité réveille en moi tous ces questionnements que j’ai vécus dans mon adolescence. J’ai fini par trouver un équilibre, à me faire une raison et surtout à intégrer que mes racines venaient autant d’ici que d’ailleurs et que le choix n’a pas lieu d’être, car mon être se compose autant de l’un que de l’autre.

Les événements sont venus rouvrir ces pas si vieilles cicatrices. Ils font d’autant plus mal qu’on a presque l’impression qu’ils donnent raison aux ignorants qui ne cessent de hiérarchiser les Français.

La question de savoir quelle nationalité je choisirais, s’il y avait un choix à faire, est limite insultante. Tout d’abord, la question ne se pose pas, car on parle de déchéance de nationalité pour les binationaux coupable de terrorisme ! Or, je ne suis pas une terroriste et je n’ai pas l’intention de le devenir, je compte même le combattre à mon échelle. M’aurait-on posé cette question si j’étais franco-mexicaine ? Est-ce le spectre de l’islam qu’induit mon « Algeriannité » qui fait de moi une potentielle terroriste aux yeux de mes compatriotes ? Dois-je singer l’archétype du bon « franchouillard » pour avoir l’espoir de me faire accepter ?

Non je ne veux pas jouer à ce jeu. Ce jeu dans lequel on me demande de choisir entre l’hyper nationalisme, ou je brandirais un drapeau Algérien lors du match de foot des poussins de ma ville, et celui ou je devrais manger un cassoulet double cochonnaille pour bien prouver que « non je ne suis pas une méchante musulmarabe-terroriste ».

C’est sur ces bonnes pensées que je rentre chez moi, fière de mes racines, de la France ce beau pays que j’aime du plus profond de mon cœur, le pays où je me sens chez moi plus qu’ailleurs et que je défendrai contre toutes les mauvaises langues à l’international. Et fière aussi de ma carte d’identité algérienne et de la terre de mes ancêtres qui est si douce et rassurante et qui, malgré que j’ai été élevée à l’étranger, ne m’a jamais fait sentir étrangère.

Je m’installe en face de ma famille. Admire ce beau mélange. « Une famille française, c’est ça », me dis-je. Puis mon frère me sort de mes réflexions : « et toi alors Myriam, si tu devais choisir entre la France et l’Algérie, tu choisirais quoi ? »

Aliénation.

Myriam Necib

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