Mohamadou Doucouré ne dort plus la nuit. A 75 ans, il souffre le martyr, de ces douleurs qui l’oblige à prendre quotidiennement du Dafalgan codeine. Mohamadou est désormais un ancien résident du foyer Bara dans lequel il a vécu 46 ans. Ce foyer, il l’accuse de l’avoir rendu malade tout en nous montrant son ordonnance médicale. Lorsque il décrit les lieux qu’il a quittés, il y a un mois maintenant, Mohamadou nous parle de chambres abritant jusque 5 adultes, de rats qui remontent par les tuyauteries la nuit, de puces dans les lits. D’un cauchemar. Arrivé en France en 1972, père de six enfants tous restés au Mali, Mohamadou s’est directement installé au foyer Bara et ne l’a jamais quitté jusqu’à l’initiative du maire communiste de Montreuil, Patrice Bessac, le 26 septembre dernier. L’édile a en effet pris la décision de mettre à l’abri 220 travailleurs, dont Mohamadou Doucouré, dans le bâtiment inoccupé depuis deux ans de l’Agence de Formation Professionnelle pour Adultes de Montreuil après avoir passé une nuit à Bara. Ses constatations sont sans appel. Le maire a conclu que le lieu représentait un « risque grave de sécurité » pour les résidents : risque d’effondrement, réseau électrique non conforme, conditions sanitaires indignes.

La préfecture s’oppose en justice à l’occupation de l’AFPA

Mais les plans du maire ne se sont pas passés comme espérés. Le préfet de Seine-Saint-Denis a attaqué l’édile au Tribunal administratif de Paris pour motif d’occupation d’un bâtiment de 15 000 mètres carré n’appartenant pas à la mairie mais bien à l’État. Un bâtiment qui doit accueillir, après travaux, la Cour nationale du Droit d’Asile située à Montreuil mais dont les bâtiments sont devenus trop petits. Le préfet a gagné une première bataille le 19 octobre dernier. Le juges ont annulé l’arrêté de réquisition des locaux de l’AFPA pris par le maire, il doit être évacué au plus tard ce samedi 27 octobre. Mais l’affaire n’en reste pas là : le préfet a également décidé d’attaquer en référé l’arrêté pris par le maire rendant inhabitable le foyer Bara. L’audience se tiendra ce lundi 29 octobre.

À l’AFPA, on est deux par chambres, il y a des chauffe-eaux. Le foyer Bara, je n’y retournerai jamais, cet endroit m’a rendu malade !

Nous avons tenté d’entrer dans le bâtiment de l’AFPA, rue Pasteur à Montreuil. Impossible. Le lieu est gardé par deux vigiles qui refusent l’entrée à quiconque n’a pas de badge. C’est à la sortie du bâtiment que nous rencontrons Mohamadou, qui a travaillé toute sa vie en France notamment dans la restauration. Il est catégorique. Il refuse de retourner au foyer Bara. « À l’AFPA, on est deux par chambres, il y a des chauffe-eaux. Le foyer Bara, je n’y retournerai jamais, cet endroit m’a rendu malade ! ». Aujourd’hui, les 220 travailleurs qui ont rejoint le bâtiment vide de l’AFPA s’accrochent sans savoir de quoi sera fait demain. Que va-t-il leur arriver ? Et si le Tribunal administratif donnait une nouvelle fois raison au préfet ? Seront-ils contraints de revenir au foyer Bara malgré les conditions de vie très difficiles et une insalubrité indéniable ? Sinon, où aller ?

C’est le risque d’être expulsé de l’AFPA et de ne plus retrouver de place qui a incité la grande majorité des autres résidents de Bara à rester malgré les conditions de vie très difficiles.

Environ 600 personnes à Bara

Au croisement de la rue Robespierre et de la rue Bara, impossible de louper le foyer. Construit sur le site d’une ancienne usine de pianos en 1968, il est l’un des plus anciens foyers d’Île-de-France. Selon un protocole signé en 2013 entre la mairie de Montreuil et le ministère du Logement, le foyer aurait du être démoli et reconstruit pour début 2018. Mais rien n’a été entrepris depuis.

Cour intérieure du foyer Bara à Montreuil, 25 octobre 2018

En franchissant les deux grandes portes d’entrée, larges de plusieurs mètres de haut chacune, on atterrit dans une grande cour. Ici, sont stationnés des dizaines de vendeurs qui tiennent leurs stands : babioles, bonbons, thé,paquets de mouchoirs, même viande. Un petit hameau dans la ville.

Ce jeudi, lorsque nous nous rendons à l’intérieur du foyer, ce sont près de 100 personnes qui sont présentes dans la cour. Malgré son insalubrité, le foyer Bara est un bâtiment plein de vie. Une fois l’entrée et la cour passée, on arrive dans une grande cuisine et la salle à manger où travailleurs et personnes de l’extérieur viennent déjeuner. Dans la cuisine, les murs sont noirs, le sol est jonché d’eau. Faute de plans de travail et de tables suffisantes, les grandes bassines qui servent à cuire le riz sont déposées à même le sol. Ici, une vingtaine de cuisinières s’affairent au quotidien pour préparer des plats vendus 1,80 euro l’assiette, un prix imbattable pour ces travailleurs pauvres.

Cuisine du foyer Bara à Montreuil, 25 octobre 2018

Combien de personnes occupent toujours le foyer Bara, géré par Coallia ? Officiellement, ce sont 68 chambres pour 400 personnes, en réalité 800 selon les résidents. Si 220 ont rejoint l’AFPA, ce sont donc près de 600 personnes qui seraient restées à Bara. Malgré ce départ et l’arrêté pris par le maire jugeant le lieu dangereux et impropre à l’habitation, le bâtiment est toujours suroccupé.

Je rêve aussi, comme tout le monde de partir, d’avoir une belle maison qui soit propre ! Mais que va-t-il se passer après pour nous ?

Lorsque nous croisons Bakibily, 38 ans, il est en train de déjeuner. Pour ce résident depuis 10 ans, « hors de question de quitter ces lieux sans garanties ». Il affirme : « Je rêve aussi, comme tout le monde de partir, d’avoir une belle maison qui soit propre ! Mais que va-t-il se passer après pour nous ? » Comme d’autres, Bakibily a refusé de monter dans les cars que le maire avait amenés pour l’évacuation. La peur de perdre son lit, sa place au foyer, ses habitudes aussi et par manque de garanties pour la suite.

Moussa Traoré se présente à nous comme le délégué et le porte-parole des habitants du foyer Bara. Lorsqu’on l’interroge sur l’évacuation organisée par le maire, ce dernier va droit au but : « Le maire est venu passé une nuit et trois jours plus tard, il nous a demandé de faire nos valises et de le suivre dans des cars ! ». Pour Moussa Traoré, ces méthodes ne sont pas correctes. Il regrette que le maire n’ait donné aucune garantie pour la suite.

Les places laissées vacantes à Bara très occupées

Pour sortir les résidents de Bara de l’insalubrité, le maire a ordonné un arrêté l, 25 octobre 2018

Ce n’est pas le seul problème de l’affaire.

Si 220 résidents sont bien partis s’installer dans le bâtiment de l’AFPA pour échapper à l’insalubrité et à la promiscuité, d’autres les ont vite remplacés à Bara. Sur place, nous constatons bien que de nouvelles personnes se sont installées, principalement des sans-papiers, prenant place dans les lits libérés par les anciens résidents.  

Car le foyer Bara est réputé pour être un lieu d’accueil pour exilés sans point de chute. C’est ce que nous confie Sané Diakhiré, 25 ans, arrivé du Mali il y a 3 ans. Il n’avait nulle part où aller en arrivant en France. A Bara, celui qui est toujours sans-papiers vit gratuitement. « Le départ des 220 travailleurs a simplement permis de faire un peu plus de place aux nouveaux. Mais ces nouveaux arrivants dorment par terre, dans la cuisine, les couloirs et même la cour lorsque il ne fait pas trop froid ». Et de nous confier : « Je n’ai pas le choix d’être ici. C’est sale mais où aller sans risque ? »

Mais aucune rancoeur de la part de Bakibily et ceux qui n’ont pas suivi le maire. Moussa Traoré conclut notre interview :«  Si ceux qui sont partis avec le maire sont évacués de l’AFPA, ils sont et seront toujours les bienvenues à Bara ! ».

En attendant, plusieurs personnalités ont pris fait et cause pour les résidents de Bara : Lilian Thuram, Romane Boringer, Ariane Ascaride, Reda Kateb ont signé une pétition demandant la levée de l’expulsion des locaux de l’AFPA. Ce samedi 27 octobre, c’est un mafé solidaire pour les travailleurs de Bara qui est prévu.

Mohamed ERRAMI et Soraya BOUBAYA

Mise à jour  : Mercredi 31 octobre, le tribunal administratif de Paris a reconnu à la ville de Montreuil le droit d’interdire l’accès au foyer Bara.

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