On les entend peu sur les plateaux de télévision. Pourtant, les jeunes générations ont beaucoup à dire sur la contestation sociale qui secoue le pays depuis plus d’un mois. Preuve en est chez les lycéens, avec la centaine d’établissements scolaires encore bloqués la semaine dernière dans toute la France, pour cause de manifestations collégiennes et lycéennes contre la loi ORE – et surtout contre Parcoursup – mais aussi contre la hausse des frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers.

« C’est un beau mouvement, un grand mouvement, mais surtout une révolution citoyenne, » explique Ilyes, 19 ans, natif de Clichy-la-Garenne dans le 92 et étudiant en première année de licence à Paris 8. « Je soutiens à 100% leurs revendications et j’espère que ce mouvement ne s’essoufflera pas, malgré la fatigue et le tragique attentat de Strasbourg de mardi dernier, » poursuit-il. Son engouement pour ce soulèvement du peuple français est partagé par Maëva et Julia, 18 ans, originaires respectivement de Chelles et Lieusaint dans le 77 : « Pour ma part, je suis attachée à ce mouvement, » déclare Julia, étudiante en DUT Carrière sociale. « J’ai pu constater lors de l’acte V un certain essoufflement, mais je souhaite que les gens continuent de se mobiliser. » Même constat pour Maëva, qui vient de commencer une année de service civique : « Je suis tout à fait d’accord avec Julia, mais je souhaiterais simplement rajouter que le mouvement n’est pas en perdition, et que l’on compte rester jusqu’à ce que de réelles mesures soient prises par le gouvernement. »

Lorsque le mouvement est pacifique, ils n’apportent aucune réponse et dénigrent le peuple, puis quand adviennent les violences, ils appellent au calme et cherchent des solutions de manière hâtive

Un sentiment de n’être écouté que quand il y a eu violence

Le président Macron s’est adressé aux Français la semaine dernière et a annoncé quelques mesures, qui n’ont pas convaincu tout le monde. Le discours est intervenu après quatre semaines, ou « actes », d’une mobilisation qui s’est accompagnée de violences. « C’est assez triste à dire mais il faut se l’avouer : actuellement en France, s’il n’y a pas de débordements ou de dégradations, le gouvernement ne nous écoute pas, » estime Riverse, 18 ans, élève de terminale et résident à Montévrain dans le 77. « Néanmoins, je pense que les casseurs s’en prennent aux mauvaises personnes : des citoyens qui soutiennent peut-être le mouvement mais ne sortent pas dans la rue exprimer leur mécontentement. »

Un discours récurrent dans la bouche de ces jeunes, comme nous l’explique Ilyes : « On a pu constater la façon de faire du gouvernement de l’acte I à IV. Lorsque le mouvement est pacifique, ils n’apportent aucune réponse et dénigrent le peuple, puis quand adviennent les violences, ils appellent au calme et cherchent des solutions de manière hâtive. » Un point de vue partagé par Maëva. Selon elle, « il a fallu que la seule ville de Paris ait des dégâts qui s’évaluent à plusieurs dizaines de millions d’euros pour que l’Etat apporte un semblant de réponse aux manifestants. C’est bien la preuve que casser est la seule manière d’avoir des réponses. » A l’inverse, certains comme Julia considèrent « que la violence n’engendre que la violence et ne résout rien. On assiste à une guerre entre citoyens alors que c’est contre le chef d’Etat et son gouvernement que l’on devrait se tourner. »

Parmi les mesures annoncées par le président, une augmentation de 100 euros des salaires des travailleurs au Smic à partir de 2019 (une mesure qui consiste en réalité principalement en une augmentation de la prime d’activité), l’annulation pour l’année prochaine de la hausse de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2000 euros par mois ou encore une demande faite aux entreprises « qui le peuvent » de verser une prime de fin d’année à leurs salariés. « Pour en avoir discuté avec de nombreux jeunes de mon quartier, on est tous d’accord pour dire que ce n’est pas assez. Ces annonces touchent les personnes au Smic mais qu’a-t-il prévu pour les classes les plus pauvres ? Celles qui gagnent moins que le Smic par exemple. Et les classes moyennes ? » s’agace Ilyes. 

« Emmanuel Macron se fiche complètement de nous avec ces annonces, » s’insurge Maëva. « Demander aux entreprises ‘qui le peuvent’ de verser une prime, sérieusement ? Mais où sont les mesures concrètes ? Tout le monde est à bout de nerf et il ose nous parler de 100 de plus pour les travailleurs au Smic. C’est quoi 100 euros, franchement ? Rien du tout, des broutilles. C’est tout simplement inadmissible ! » s’emporte-t-elle. 

Afin de ne pas être traités de casseurs et de délinquants une fois de plus, les jeunes, mais aussi les autres personnes vivant en banlieue n’osent même plus protester contre des mesures qu’ils jugent eux-mêmes discriminatoires

Crainte de la stigmatisation, non-représentativité

La question de la présence des quartiers populaires dans la protestation des gilets jaunes est un sujet sensible mais sur lequel ces jeunes sont unanimes : une mobilisation oui, mais la stigmatisation non. « Le problème, c’est l’image des quartiers dans les médias, » explique Julia. « Afin de ne pas être traités de casseurs et de délinquants une fois de plus, les jeunes, mais aussi les autres personnes vivant en banlieue n’osent même plus protester contre des mesures qu’ils jugent eux-mêmes discriminatoires, » affirme-t-elle.

Un constat amer, donc, pour une part de la jeunesse de ce pays. Constat largement partagé par Ilyes, qui déplore un écart entre les manifestants et les quartiers populaires, malgré la participation de certains acteurs de ces quartiers, comme le comité Adama : « Personne n’était là lorsqu’on a eu besoin d’eux, et aujourd’hui, on nous demande de rejoindre une cause où la majorité des jeunes ne se sent pas représentée. C’est triste à dire pour moi qui soutiens les gilets jaunes, mais c’est la réalité. » Ces thèses de la non-représentativité des gilets jaunes pour les quartiers et celle d’une mauvaise image des « banlieues » dans les médias est ainsi le principal facteur expliquant l’absence de ces populations lors des manifestations. Une situation bénéfique, selon certain, qui y voient une manière de se démarquer des violences et de redorer son image : « Tant mieux que les quartiers ne prennent pas part aux débordements, » estime Riverse, qui exprime sa méfiance : « Le gouvernement n’attend que cela pour nous mettre la faute sur les bras, ne leur donnons pas ce plaisir. »

« Tout le monde souhaite que le mouvement continue et moi la première, donc il faut continuer à se mobiliser ! » lance Maëva, sous l’approbation de Julia : « Maëva a raison, » estime cette dernière, « les gilets jaunes ne doivent pas baisser les bras et doivent continuer à se battre, on est tous derrière eux. » L’approbation est la même de la part d’Ilyes et de Riverse. Le premier soutient que même s‘il n’était pas présent lors des manifestations, il considère que la lutte n’est pas finie et encourage les gilets jaunes restants à continuer à manifester dans toute la France contre « la politique égoïste du président Macron. » ; le second aspire à une convergence des luttes entre les différents manifestants, ambulanciers, cheminots, etc., en plus des gilets jaunes,  afin de faire plier le gouvernement et de faire changer pour de bon la ligne politico-économique du président Macron.

Amine HABERT

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