« Un lieu de charme à la fois anonyme et familier ». Ce sont les mots employés par Nathalie Kosciusko-Morizet pour qualifier le métro parisien. Pour qui le côtoie tous les jours, métro peut souvent rimer avec moment d’angoisse.

Mon moment-charme s’appelle Maurice

Nathalie Kosciusko-Morizet n’a pas fini de nous vendre du rêve ! Après avoir estimé le prix d’un ticket de métro à 4 euros en 2012, nous prouvant à cette occasion à quel point son quotidien est proche du nôtre, elle a récemment déclaré : « le métro est pour moi un lieu de charme… » Totalement vrai ! Moi, mon « moment de charme » se nommait Maurice… Ce n’était peut-être pas son vrai nom, mais on s’en fiche un peu. Monté à Carrefour Pleyel, une bouteille de pinard à la main, ce charmant homme d’une soixantaine d’années s’est mis à élaborer, à haute-voix, une théorie pragmatique sur le mariage pour tous. « C’est pas possible que les pédés puissent se marier! C’est comme si un chien enculait un chat! » Un mètre soixante d’alcool et de poils hirsutes, une haleine à faire fondre des canalisations et une odeur à mi-chemin entre les poubelles du Mac Do bondynois et les chaussettes de Franck Ribéry après un match, prolongations comprises.

Constatant que je l’écoutais attentivement, Maurice a fait volte-face, et remarquant une bague sur mon annuaire droit, il s’est placé à 50 cm de moi et a gueulé : « toi, t’es un franc-maçon hein petit con! » Fier de son analyse pertinente et engaillardi par le fait que son haleine m’avait anesthésié, il répéta inlassablement la même phrase pendant deux ou trois stations. Voici l’un de mes nombreux moments de grâce dans les tunnels du métro parisien. Par passion, j’emprunte la ligne 13 quotidiennement aux heures de pointe, pressé contre une vieille dame qui se cure les chicos avec une allumette et un obèse qui dégouline de transpiration comme s’il venait d’achever un marathon après avoir passé trois stations.

Les transports en commun m’auront au moins appris une chose : « Je sais que je possède un nez », comme l’aurait conclu Thomas Fersen.

Tom Lanneau

 Moment de poisse

Dans le métro, le samedi soir, tu peux peut-être vivre des moments de grâce mais moi, c’était plutôt un moment de crasse. C’était sur la ligne 1, il était minuit passé et je rentrais tranquillement chez moi. Les gens sont heureux, ils sont en weekend, ils sourient, la soirée commence à peine pour certains, elle est déjà bien entamée pour d’autres.Elle était très très entamée pour ce type en face de moi, tellement fait que même assis, son ami devait le soutenir pour ne pas qu’il tombe. Je le regardais et dans ma tête je me disais, « vomira ? vomira pas ? »

Je me posais encore la question lorsqu’il se leva, lui et son ami devaient descendre à la prochaine station, le métro le ballottait d’avant en arrière comme s’il était sur un bateau. Son teint devenait de plus en plus blafard, il porta la main à sa bouche, se pencha et j’ai enfin pu avoir ma réponse : vomira ! Oui, il a vomi. Tout droit sur mes chaussures. J’ai donc eu l’honneur d’être aux premières loges, encore un peu et j’aurais pu lui tenir la tête pour l’aider même si j’ai plutôt penser l’égorger. Depuis, il se dispute la tête des pires moments de ma vie dans le métro, l’épisode « le vomi de la ligne 1 » arrive juste derrière « la main aux fesses sur la 13 »

Latifa Oulkhouir

#infosduhood

La gêne de l’hyper proximité forcée du  matin, l’ironie de la fausse course malsaine à la bonne place à la venue des wagons, la surprise de voir une mauvaise chorégraphie de breakdance interprétée par un punk à chien, la sympathie d’un sourire de mamie qui nous remercie de lui avoir laissée sa place,  tous ces moment ne rendent plus rien d’étonnant dans le métro parisien.

Quatre années que je fréquente ces folles lignes qui forgent aussi l’identité du Parisien et l’image même du parisianisme, cette jungle métropolitaine fait partie des plus grosses hantises des provinciaux, car ce métro est plus sale, plus rapide, plus cruel, plus fou que les autres. Il possède un côté « Koh-Lanta champêtre » qui mélange les touristes perdus  avec les nouveaux et anciens parisiens.

Valider les propos de NKM est un tourniquet que je ne franchirai pas. Il suffit juste de demander à quelques femmes qui ont eu le malheur de tomber sur les fameux serials-frotteurs pour se rendre compte que la formule « moment de charme » ne peut être qu’oxymorique. NKM récidive après sa sortie incroyable sur le prix des tickets de métro, cette boulette révèle un décalage entre  le mode de vies de certains de nos élus qui sont souvent escortés jusqu’à leurs domicile et le nôtre, citoyens à pinces.

Tweeter l’arrivé des contrôleurs avec le hashtag #infosduhood est possible, de nouvelles interactions accompagnent nos déplacement grâce à ces smartphones qui ne nous lâchent plus. D’ailleurs je tiens à féliciter la dame à côté de moi ce matin dans la 8 qui était en train de faire un score incroyable à Ruzzle.

Saïd Harbaoui

La barre de fer

C’était en 2009. J’allais chercher mon ex qui bossait dans le centre de Paris et j’ai pris le métro. Normal. Il était blindé. Normal. Un homme à moi s’est collé. Pas normal. J’avais pas compris qu’aux heures de pointe il fallait protéger son fessier. Son sac, oui. Les agents de la RATP passent leur temps à le répéter en français, italien ou anglais. Mais son fessier ?

Je me suis donc retrouvée écrasée parmi ces hommes et ces femmes qui sortent du boulot, quasi-empalée sur la barre métallique qui regorge de microbes non-détectés. Et puis il y a eu ce mec. Qui s’est précipité derrière moi quand les portes se sont fermées. Normal. Et qui au moment où le métro démarrait a commencé à ne faire qu’un avec mon fessier. Pas normal. Au début j’ai pas compris. C’est quand j’ai senti un truc se raidir que j’ai défailli.

Pas moyen de faire volte-face. J’ai tenté un pivotage droite/gauche. Tellement surprise par son action perverse que je n’ai émis aucun son. Un regard. Il avait un jogging trop large qui cachait une absence de caleçon rédhibitoire. Et des gouttes de sueur le long du front quand il a vu que je l’avais grillé. Autant que j’ai pu, je me suis décalée. La seconde d’après, il s’était envolé. Quinze secondes de grâce dans une ligne de métro.

Claire Diao

 

Les pervers dans le métro

L’heure de pointe dans le métro parisien. Sur le quai, c’est l’ébullition. Le métro arrive à la station et il va falloir se faire une place à l’intérieur. C’est la guerre, il va falloir jouer des coudes. Les portes s’ouvrent et dégueulent son lot de passagers. Je réussis tant bien que mal à pénétrer dans la rame bondée, puis à m’agripper à la barre poisseuse parmi toutes les mains déjà présentes. Une petite victoire en somme.  A peine les portes refermées, je sens une main qui me touche au niveau de l’entrejambe.

Tous tassés comme du bétail, j’ai au départ la candeur de penser que cette main sur mon corps est une erreur. Mais la baladeuse qui au départ m’effleurait se fait plus insistante. Je lève les yeux, histoire de voir qui se campe devant moi. Le pervers m’enveloppe de son regard narquois. Je comprends alors que je n’ai pas rêvé. D’autant plus que le pervers recommence, en me souriant franchement cette fois.  Je ne fais ni une ni deux,  je me mets à vociférer contre le tripoteur, qui me répond du tac au tac, qu’il ne m’a pas touchée et que je « prends mes désirs pour des réalités ».

La foule regarde la scène, mais ne pipe pas. Je ressens la colère par tous les pores de ma peau. Et la solitude me pèse, coincée dans la rame avec le cochon et les autruches. Le mec monte le ton, et moi aussi. Lors de l’arrêt suivant, j’attrape le dégueulasse et le pousse sur le quai. Et je le cogne. De toutes mes forces. Sur le quai, c’est l’attroupement. L’homme réussit à s’enfuir. Un nouveau métro arrive. La foule se disperse. Le spectacle est terminé.

Aurore Gérin

Y a-t-il un médecin dans le métro ?

Mon réveil sonne. On est lundi, je vais au travail. Je prends donc les transports. Le RER, le métro et j’y suis. En règle générale, les seules péripéties d’un trajet lambda se résument à quelques bousculades et de nombreux retards de la RATP. Habituellement donc, j’arrive au travail dans une atmosphère routinière et finalement rassurante. Sauf que ce jour là, rien ne s’est passé comme il fallait. En plus du classique ralentissement du RER E, de la bousculade dans le métro, il a fallu que la seule personne à qui il allait arriver quelque chose ce matin-là soit assise en face de moi.

Il faut d’abord, pour comprendre ce qui va suivre, savoir que je suis une grande peureuse. Une femme, la trentaine,  est donc assise face à moi. Elle est assoupie contre la fenêtre, comme le font beaucoup entre deux stations. A sa gauche est assise une femme, elle lit un livre, elle est à la fin de son roman. L’homme à côté de moi lit aussi un livre,  religieux cette fois. Je jette un coup d’oeil à ma montre, je suis dans les temps.

En relevant la tête, la femme alors assoupie, a soudainement les yeux blancs et me fixe. Ses mains sont recroquevillées et se tordent alors qu’elle s’avance, la bouche ouverte, vers moi. Sa voisine, effrayée, se lève brusquement. L’homme assis à côté de moi a disparu. Il ne reste que moi et la femme qui semble faire une crise d’épilepsie. Grande peureuse, je me lève. Comme dans les films, on pose la question qui pourrait rendre héros l’inconnu de la rame : « Y a-t-il un médecin ?  » Le métro est à l’arrêt. Il n’y a pas de médecin.

Ce jour là, j’ai appris qu’il fallait environ une demi-heure aux secours pour se charger d’une personne en souffrance dans le métro. Ce n’est pas beaucoup, mais assez pour nous mettre tous en retard. Même si tout le monde est arrivé au boulot, j’ai cru avoir laissé mon coeur dans le métro, tellement c’était effrayant. La femme, tombée au sol, a été prise en charge sur le quai du métro et elle semblait aller mieux.

Kahina Mekdem

Tonton, la morale ?

Dans la ligne 13 c’est cool car on a le droit tous les mardis à un débat théologique avec le tonton. Vous vous demandez qui est « tonton » je suppose. Il s’agit d’un homme d’origine africaine, profondément catholique, qui monte à Basilique Saint-Denis et prêche la bonne parole. Ce qui est bien avec lui c’est qu’il fait des liens avec l’actualité et en plus il a une voix qui porte et un joli accent chantant. Durant les débats concernant le mariage gay nous avions eu le droit à de jolies métaphores, la perle étant la suivante : « Jésus Christ a dit ‘Les chiens ne vont pas avec chiens !’ Mais avec qui se reproduisent donc les chiens ? Peut être les canards ? » Le tonton a sûrement la réponse.
Et puis il y a des chances pour que les propos de JC aient été déformés. Un autre jour, alors que le Tonton s’époumonait sur l’importance des sept sacrements il surprend un couple qui s’embrasse à pleine bouche, je dirais même plus, à pleine langue. Et là, c’est le drame. Tonton sort de ses gonds ! Il va devant le couple et tape dans ses mains, ses yeux sortant de leurs orbites, son accent plus menaçant que jamais : « La fornication est un grave pêché ! Ce sont les Illuminati les Rihanna et les Booba qui vous ont mis ca dans la tête, il faut vous marier car sinon vous salissez votre âme » dit il en pontant du doigt les coupables.
Bref le tonton est là pour la sauvegarde de la bienséance sur la ligne 13 et pour ça on lui dit merci. Le tonton permet aussi l’échange de sourire entre usagers de la ligne, bien que tôt le matin quand nos corps s’écrasent les uns contre les autres on se passerait bien de cet oncle un peu envahissant.
Myriam Nécib

 

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