Mardi 30 mars, une altercation a eu lieu à l’entrée du magasin de bricolage Batkor, à Bobigny. Aux alentours de 19h15, un homme souhaite entrer dans le magasin mais Saïd Bourarach, vigile maître-chien de 35 ans lui en refuse l’accès car le magasin est sur le point de fermer ses portes. L’homme commence à se montrer violent et se dispute fortement avec le vigile, jusqu’à en venir aux mains. Saïd utilise sa bombe lacrymogène pour se défendre. L’homme retourne à son véhicule où l’attend son amie et en revient torse-nu, un cric à la main, après avoir téléphoné à trois hommes, a priori de sa famille pour leur demander de le rejoindre.

« On va revenir tout casser », aurait-il dit au vigile, assure Mouloud, la quarantaine, un employé du magasin de bricolage ayant assisté à la scène. Les trois connaissances de l’homme violent arrivent. Le vigile, retourné entre-temps dans le magasin pour se protéger, en ressort rapidement pour défendre sa chienne sur qui les quatre hommes jettent une pierre. Les coups pleuvent et une course-poursuite s’ensuit jusque derrière le magasin.

Les quatre agresseurs, âgés de 18 à 26 ans (l’amie et un sixième homme ont été relâchés par la police), ont dit après leur interpellation : « Nous avons reçu des insultes antisémites, voilà pourquoi nous en sommes arrivés aux mains, nous ne l’avons pas poussé dans le canal, il a voulu se sauver et a sauté dedans pour ressortir de l’autre côté. » Aucun témoin de l’altercation verbale ne confirme que le vigile a proféré des insultes antisémites. Mercredi 31 mars vers 16 heures, le corps de Saïd Bourarach est retrouvé sans vie dans le Canal de l’Ourcq, situé derrière le magasin. Sa chienne était au bord du Canal. Apparemment, il n’y a pas eu de témoin oculaire de la scène.

Pourtant, ceux qui empruntent la Nationale 3 en direction de la Porte de Pantin attesteront que le trottoir de ce magasin est occupé du matin au soir par des hommes en général sans papiers, proposant leurs services à des clients potentiels. Les personnes interpellées venaient de Pantin, toute proche du magasin de bricolage, une ville où réside une importante communauté juive, la confession des agresseurs du vigile retrouvé mort.

Beaucoup, dans les forums de discussion sur Internet ou dans les propos que j’ai recueillis, réfutent la thèse des « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Ils croient à un homicide. Une chose les intrigue, les choque : la faible médiatisation de ce drame. « Pourquoi un homicide commis par des personnes de confessions juive est-il passé à la trappe alors que lorsqu’un Français de souche, non juif, tue un Arabe, on crie au crime raciste ? » s’étonne ainsi Bernard, un entrepreneur parisien âgé d’une cinquantaine d’années. Cette affaire a eu peu d’écho dans les infos à la télévision.

Lundi 5 avril était organisée par la famille une marche silencieuse en hommage à Saïd, mort lors dans l’exercice de ses fonctions. Je me suis entretenue par téléphone avec Yasmine, cousine du défunt. « Ma famille et moi voulons que justice soit faite, dit-elle avec détermination. Que la vérité sorte. Qu’on nous dise les vrais résultats de l’autopsie car nous n’acceptons pas que la noyade soit la seule cause de sa mort. »

Yasmine dit regretter que lors de la de la manifestation de lundi, « un groupe pro-palestinien se soit servi de cette mort et de cette marche pour se mettre en avant : le collectif du Cheikh Yacine. Je vous le dis clairement : que les agresseurs soient juifs, chrétiens, musulmans ou même bouddhistes, on s’en fout ! Tout ce que l’on veut, c’est un jugement normal. Ils ont tué un homme qui faisait son boulot, mais où on va là ? Ça commence comme ça et ça ne s’arrêtera pas. Tout le monde tue tout le monde alors. C’est vraiment inadmissible ! »

Ce drame a fait ressortir de sa boîte le conflit israélo-palestinien et, dans le contexte parfois tendu des relations judéo-musulmanes en France, certains comparent la mort du vigile à celle, en 2006, d’Ilan Halimi, ce jeune juif assassiné au terme d’une longue séquestration. Dans l’un des nombreux sms qui circulent à propos de cette affaire, on peut lire ceci : « Said Bouarach, vigile marocain et père de 2 enfants, à 35 ans, TUÉ SAUVAGEMENT le 30/03/2010 à Bobigny par 6 jeunes JUIFS parce qu’il a refusé de les laisser entrer dans le magasin lors de sa fermeture ! Ils l’ont frappé puis jeté dans le canal ! MOBILISONS-NOUS pour notre frère musulman comme ils se sont mobilisés pour Ilan. Parlez-en autour de vous. Il ne faut pas que ça tombe aux oubliettes. Multipliez vos invocations car ils comptent sur les médias, la politique pour prendre le dessus, or nous, nous comptons sur ALLAH ! »

Les agresseurs affirment que le vigile leur a tenu des propos antisémites. La cousine du défunt confie : « Je connais Saïd comme ma poche, on a grandi ensemble et je sais que jamais il n’aurait tenu des propos racistes envers des juifs ! La preuve, il était marocain musulman et sa femme française est non musulmane ! Ils ont même un fils qui a trois ans. Jamais de sa vie il n’a eu de la haine ou quoi que ce soit envers un juif. Je veux que ces meurtriers disent la vérité car la mort par noyade et ces soi-disant insultes, on n’y croit pas. »

« Nous nous battrons jusqu’à ce que la vérité ressorte, avertit Yasmine. Mon oncle a pris le dossier en main et on ne lâchera pas l’affaire. Vous imaginez, le corps a été jeté à l’eau mardi à 20 heures et on ne l’a repêché que le lendemain à 16 heures… C’est énorme. Et je le redis, nous, la famille, on s’en fout que ses meurtriers soient juifs ou non. Je ne veux pas que ces jeunes prennent cinq ans pour homicide involontaire et ressortent au bout de deux ans et demi, et reprennent le cours de leur vie comme si rien ne s’était passé… »

La cousine de Saïd Bourarach tient un groupe sur Facebook où chacun transmet ses condoléances à la famille. Samedi 10 avril, une nouvelle marche est organisée par l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93). Une grande partie de la famille du défunt y participera.

Inès El Laboudy

Inès El laboudy

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