M. et S. comparaissent depuis vendredi 15 juin et jusqu’à mardi devant la Cour d’Assises pour mineurs de Bobigny pour « vol avec violences ayant entraîné la mort« . Ils sont accusés d’avoir tué le 7 août 2016 Chaolin Zhang, un couturier d’Aubervilliers de 49 ans. Ils devront également répondre des « vols avec violences ayant entrainé une incapacité totale de travailler de moins de huit jours » sur l’ami de Chaolin Zhang, Keshou Ren.

« Les personnes d’origine asiatique ont plus d’argent. On a entendu souvent dire que les Chinois en ont beaucoup »

Le procès des deux prévenus, 19 et 17 ans, mineurs au moment des faits, se tient en publicité restreinte : seules les familles et les parties civiles -la LICRA et le MRAP- pourront assister à l’audience. En novembre 2017, le plus jeune prévenu de l’affaire, 15 ans au moment des faits, avait été condamné, en novembre 2017, à 5 ans de prison dont trois avec sursis par le tribunal pour enfants de Bobigny. La circonstance aggravante de racisme avait été retenue par la justice. Elle sera également débattue dans le procès de M. et S.

Les trois agresseurs de Chaolin Zhang étaient passés aux aveux en juillet 2017. Comme le note Libération, S. avait évoqué, lors de sa garde à vue, le ciblage de leurs victimes : « Les personnes d’origine asiatique ont plus d’argent. On a entendu souvent dire que les Chinois en ont beaucoup ». 

Oui, il y a de la discrimination sur la communauté asiatique mais le motif n’est pas raciste ici

Ce vendredi, devant la Cour d’assises pour mineurs de Bobigny, c’est la personnalité de M. qui était observée. Pour les avocats de la défense, Me Steeve Rubens et Me Philippe-Henry Honegger, cette affaire est avant tout ordinaire : « C’est une affaire terriblement banale avec des conclusions dramatiques et une proportion médiatique qui n’est pas légitime ici. Oui, il y a de la discrimination sur la communauté asiatique mais le motif n’est pas raciste ici, martèle Me Honegger. C’est un motif strictement crapuleux. Par exemple, il y a aussi beaucoup de vols à l’arrachée sur des automobilistes féminines dans le 93. Il y a un ciblage aussi. Mais on ne dit pas que ce sont des vols sexistes. Dans notre affaire, il y a un ciblage sur ces deux personnes parce qu’elles sont commerçantes donc connues pour avoir de l’argent en espèce. Le ciblage se fait là dessus ».

Les deux avocats de la famille n’ont pas souhaité s’exprimer expliquant l’avoir déjà beaucoup fait en amont et souhaitant « vouloir respecter le temps du procès ». Et d’ajouter : « Il y a déjà eu une grosse mobilisation médiatique autour de l’affaire ».

« Il a fallu attendre la mort de Monsieur Zhang pour que ce racisme anti-asiatique soit considéré comme grave »

La mort de Monsieur Zhang avait effectivement permis de mettre en lumière le racisme subi par la communauté asiatique en France. Rui Wang, membre de « Sécurité pour Tous » créé en 2016 suite à la mort de M. Zhang pour dénoncer les violences et le racisme ciblant la communauté asiatique, cofondateur de l’association des Jeunes Chinois de France, est venu soutenir la famille de la victime aujourd’hui. Ce qu’il espère, par delà cette affaire, c’est une double prise de conscience : « La première, c’est celle de ce racisme et ces clichés que nous vivons depuis longtemps. C’est un racisme qu’on disait ‘gentil’, des ‘’blagues’.. Il a fallu attendre la mort de M. Zhang pour que ce racisme anti-asiatique soit considéré comme grave, explique Rui. La deuxième prise de conscience, c’est que des gens qui se sont tus, comme mes parents ou grand-parents, puissent voir que c’est possible de s’exprimer et de dénoncer ce mal ».

Également présente pour soutenir la famille au Tribunal, Tamara Lui, présidente de l’association des Chinois de France et représentante du collectif « Sécurité Pour Tous », ne doute pas du caractère raciste de l’agression : « La question est la suivante : s’il n’avait pas été chinois, l’auraient-ils attaqué ? » Elle poursuit son questionnement : « Est-ce une fatalité ? N’est-ce qu’une question d’être au mauvais endroit, au mauvais moment ? Ou sont-ils motivés par le cliché, plutôt gentil, positif, du Chinois qui a de l’argent sur lui et qui les pousse à agir ? » Elle rappelle que le plus âgé des prévenus, M., a déjà été impliqué dans d’autres faits de violences envers des personnes d’origine asiatique (23 note Libération en rappelant qu’il a « expliqué aux enquêteurs avoir été relaxé dans une quinzaine d’entre elles » et « condamné qu’une seule fois, dans un dossier où le mode opératoire est identique à celui de l’affaire Zhang ») .

On ne pensait pas que les grands médias pouvaient s’intéresser à ce sujet, à nous

Si Rui Wang reconnaît « se sentir toujours en danger dans les départements du 93 et du 94« , il constate cependant « des conditions d’amélioration », notamment à Aubervilliers où Chaolin Zheng a été tué : « Cela a permis aux jeunes de mettre des mots sur les maux. Aujourd’hui, il y a plus de policiers en patrouille, des caméras de vidéo-surveillance vont être installées et l’accueil au commissariat se fait plus souvent sans humiliation ou remise en doute de notre parole ». Et de conclure : « Surtout, les médias nous ont donné la parole. On ne pensait pas que les grands médias pouvaient s’intéresser à ce sujet, à nous Asiatiques ».

Depuis la loi Lellouche de 2003, le racisme est une circonstance aggravante, énoncée à l’article 132-76 du Code Pénal : « Lorsqu’un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui (…) portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime, à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée (…) établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons (…)« . Il revient désormais à l’accusation de prouver que le crime est raciste.

L’ami de Chaolin Zhang, Keshou Ren, dit avoir entendu les mots « chinois » et « argent » avant l’agression. La défense a contré cet argument affirmant que ces précisions ont été rapportées après le début de la médiatisation de l’affaire. Avec cette circonstance aggravante, M. et S. risquent une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à la perpétuité. 

Amanda JACQUEL

Mise à jour jeudi 21 juin à 12 h : Les auteurs de l’agression mortelle de Chaolin Zhang ont été condamnés à 10 et 4 ans de prison ferme ce mardi 19 juin par la cour d’assises des mineurs de Bobigny. Le caractère raciste du meurtre du couturier d’Aubervilliers a été retenu.

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