Bondy Blog : La France avec les États-Unis et la Grande-Bretagne ont mené des frappes contre la Syrie. Quelle est votre position ?

Raphaël Pitti : Je suis contre ces frappes. Rajouter des bombardements, rajouter de la guerre à la guerre n’apporte rien selon moi. J’aurais préféré qu’il y ait un ultimatum lancé au régime syrien d’abord, qu’il y ait une coalition internationale pour faire respecter le droit international ; qu’on dise à Bachar Al Assad : « acceptez la protection des populations sinon on vous bombarde ». Le régime syrien ne respecte pas le droit international. D’ailleurs, il n’y a pas que l’utilisation d’armes chimiques, il y a aussi l’utilisation d’armes prohibées, le napalm, le phosphore… Il y a également le bombardement d’hôpitaux systématique qui est lui aussi interdit. Il faut dire au régime syrien : « venez à la table des discussions, venez négocier des corridors humanitaires ». S’il s‘agit de bombarder pour bombarder, tant que cela n’apporte pas du mieux pour les populations syriennes, cela ne sert à rien. Au contraire, cela crée plus de tensions encore.

Le Bondy Blog : Le pire dans ce qui se passe en Syrie, ne serait-il pas qu’en France, nous nous soyons habitués aux images de l’horreur ?

Raphaël Pitti : Nous sommes aujourd’hui dans un monde globalisé, ce qui se passe à l’autre bout du monde nous le savons immédiatement mais il y a une banalisation de l’horreur constante, oui, de toute nature. Nos contemporains sont rassasiés d’horreurs et on ne sait plus faire la part des choses entre les faits divers, le viol, le massacre d’une population, tout se met au même niveau. Le problème c’est que ça ne va pas jusqu’à l’indignation, la colère exprimée dans la rue. On like sur les réseaux, on dit qu’on aime ou pas et avec ça, on a l’impression qu’on fait quelque chose.

Sur le projet de loi asile et immigration, il faut faire pression sur nos députés

Le Bondy Blog : Que leur conseillez-vous de faire alors ?

Raphaël Pitti : Par exemple, je dis aux gens « interpellez votre député ». Cela prend deux minutes ! Dites-lui qu’il faut agir notamment concernant le projet de loi asile et immigration. Aujourd’hui, plus que jamais, il faut faire pression sur nos députés. Il faut que les députés aillent dans le sens de l’accueil. Dites à votre député qu’il faut qu’il bouge, qu’il agisse. Agir pour l’humanitaire, ce n’est pas uniquement quelque chose qui se fait à des milliers de kilomètres. Cela commence sur son palier auprès de son voisin, dans la rue. Que faisons-nous pour les personnes sans domicile ? Ceux qui vivent en bas de chez nous ? Que faisons-nous pour le voisin seul ? L’humanitaire, c’est tout ce qui nous porte vers l’autre. Qu’est-ce que je fais dans des associations de solidarité, comment je m’engage pour que le monde change ? Si nous voulons que le monde change, il faut qu’il commence par changer en nous-mêmes.

Raphaël Pitti, au Festival Le Livre à Metz, samedi 14 avril

Le Bondy Blog : Vous avez soutenu Emmanuel Macron durant la campagne et vous avez finalement été déçu de sa politique migratoire. Diriez-vous qu’Emmanuel Macron a trahi ses électeurs à ce sujet ? 

Raphaël Pitti : Sur la question de la politique migratoire, oui, totalement. J’ai été trois fois à Lampedusa, j’ai vu arriver les migrants, j’ai vu les conditions d’accueil inhumaines, il y a donc un devoir d’humanité de les recevoir dignement en France. Emmanuel Macron avait tenu un discours humaniste en disant qu’Angela Merkel avait sauvé la dignité de l’Europe, en disant qu’avec lui comme président, la France recevrait dignement les migrants. Ce n’est pas ce qui est arrivé. Des Français ont été condamnés par la justice parce qu’ils sont venus en aide à des migrants. À Metz, nous accueillons 5 000 migrants par an. Certains, nous les découvrons abandonnés sur un parking, sans eau ni toilettes. C’est indigne. Ils ont voulu me décorer de la Légion d’honneur sauf que cela n’était pas mon honneur, ni celui des migrants, donc je l’ai redonnée.

Le Bondy Blog : La prochaine étape c’est rendre votre nationalité ?

Raphaël Pitti : Non, je suis profondément Français et il n’est pas question de la rendre, elle est à moi. J’aime la notion d’État-nation français car elle se fonde sur le désir de vivre ensemble et non pas sur une identité spécifique qui n’existe pas. La France est faite d’Alsaciens, de Lorrains, de Basques, de migrants polonais, italiens ou encore africains. Et ce qui fonde notre nation c’est de vivre ensemble. C’est la notion la plus importante pour moi, je veux défendre le vivre ensemble. Quand Nicolas Sarkozy a commencé à mettre en place ce ministère de l’Identité nationale, j’étais absolument contre car il n’y a pas une identité française, il y a des identités françaises multiples et ce qui nous unit c’est de vivre ensemble. Je suis né en Afrique du Nord, en Algérie. Je suis issu d’une famille d’origine italienne et je n’ai connu la France qu’à l’âge de 19 ans. Tout cela donne sens à l’action que j’entreprends aujourd’hui.

Si nous voulons que ça change, engageons-nous !

Le Bondy Blog : Vous aviez dit avoir honte pour votre pays concernant la politique migratoire

Raphaël Pitti : Oui, j’ai honte pour mon pays par rapport aux valeurs qui sont les nôtres.

Le Bondy Blog :  Souhaitez-vous quitter la France ?

Raphaël Pitti : Pour aller où et pour faire quoi ? C’est maintenant qu’il faut s’engager, c’est facile de fuir. La réponse c’est l’engagement politique. Nous sommes dans une démocratie, il faut défendre nos idées. Si nous voulons que ça change, engageons-nous ! Chez nous, auprès de notre voisin, en bas de la rue, pour que les choses changent et soient à la hauteur de ce que nous voulons. C’est notre pays à nous, à nous de le faire vivre pour que nous puissions vivre tous ensemble

Le Bondy Blog : Pensez-vous qu’il y ait assez d’initiatives d’aide aux migrants en France et à Metz notamment ?

Raphaël Pitti : Ici à Metz, oui, il y a beaucoup d’associations, des collectifs, qui se relaient, des gens avec beaucoup de courage, débordés aussi parce qu’ils se laissent prendre par l’empathie et la solidarité. Les difficultés des autres deviennent leurs difficultés. D’ailleurs, un jour j’ai organisé une réunion avec un psychiatre car ils étaient eux-mêmes pris dans le burn out et vivaient difficilement ce que vivaient les migrants. Je vois une grande générosité, ils donnent de leur temps et même de leur argent.

J’accepte de répondre à tous les médias sans exception, c’est un devoir moral de le faire

Le Bondy Blog : Vous êtes élu à Metz, vous êtes engagé, que faites-vous à votre échelle pour venir en aide aux migrants syriens ici en France ?

Raphaël Pitti : En général, les Syriens sont bien accueillis car ils arrivent d’une zone de guerre, ils sont prioritaires. Des associations les prennent en charge. Même s’il y a des ratés, dans l’ensemble ils sont plutôt bien accueillis. Là où il y a des problèmes c’est pour les migrants considérés comme économiques, qui viennent des pays de l’Est et pour lesquels les situations de demandeurs d’asile sont indignes et inhumaines. Ils ont les raisons qu’ils ont pour venir demander l’asile, nous n’avons pas à les juger tant que l’OPFRA n’aura pas décidé des suites de leur demande. L’État se doit de les accueillir dans la dignité. Comme médecin à Metz, avec la mairie, c’est de pouvoir donner de l’eau, des toilettes, essayer de donner des subventions aux associations qui viennent en aide. Je me bats souvent contre la préfecture. C’est notre part d’humanité qui est en jeu. Je sensibilise aussi autant que possible par les médias notamment.

Le Bondy Blog : Acceptez-vous de répondre à tous les médias qui vous sollicitent ?

Raphaël Pitti : Je me dois de le faire car c’est une obligation notamment envers mes amis syriens. J’accepte de répondre à tous les médias sans exception, c’est un devoir moral de le faire. Mes amis en Syrie d’ailleurs préfèrent souvent que je témoigne, que je raconte à leur place car ils pensent que ma voix porte plus, a plus de poids.

Raphaël Pitti, au Festival Le Livre à Metz, samedi 14 avril

Le Bondy Blog : Vous êtes médecin de guerre. Pourquoi avoir choisi cette spécialité ? 

Raphaël Pitti : Ce qu’il faut savoir c’est que je suis médecin militaire. J’ai vécu la guerre d’Algérie, donc j’ai connu très tôt ce milieu. Il est important de rappeler que le service de santé des armées est un corps assimilé, ce n’est pas un corps militaire. J’avais ce désir de partir, de voyager, cela a alimenté mon enfance. Il y a également le fait que l’histoire de la médecine montre que les maladies par exemple tropicales ont été découvertes par les médecins militaires. Regardez également pour la guerre de 1914-1918, ce sont les médecins militaires qui ont découvert la chirurgie réparatrice. Le fait est que grâce aux médecins militaires, nous avons fait énormément de progrès.

Depuis 2012, nous avons formé 12 000 personnels soignants syriens

Le Bondy Blog : Depuis 2012, vous formez du personnel soignant en Syrie ? Êtes-vous aidé par l’État français pour cette action humanitaire de premier plan ?

Raphaël Pitti : Je travaille avec une association syrienne internationale qui dispose d’une branche en France, l’UOSSM (Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux). Je suis administrateur et je m’occupe de la formation, c’est désormais une ONG internationale surtout faite par des Syriens expatriés. En 2013, notre premier centre de formation a été créé en Syrie. Pour cela, la France nous aide grâce à la cellule de crise du ministère des Affaires étrangères qui apporte un peu plus d’un million d’euros par an pour le soutien des hôpitaux à l’intérieur de la Syrie et pour le centre de formation entre 100 et 200 000 euros.

Le Bondy Blog : Comment se passent concrètement vos voyages là-bas ?

Raphaël Pitti : Les 21 fois ou je suis allé en Syrie, j’y suis allé en clandestin. J’ai formé des anesthésistes et urgentistes franco-syriens ici, nous sommes partis en Syrie et nous y avons formé le personnel. D’abord un premier centre, puis un deuxième à la frontière syro-libanaise et un troisième à la frontière syro-irakienne. Aujourd’hui, nos trois centres fonctionnent, sont pérennes et autonomes. Depuis 2012, nous avons formé 12 000 personnels soignants syriens au total. Aujourd’hui, de chez moi en France, je suis en relation avec mes confrères et amis en Syrie via Whatsapp et Skype.

Propos recueillis par Fatma TORKHANI

Crédit photo : Leïla Khouiel

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