Alors que l’afflux de femmes musulmanes occidentales vers l’État islamique est en augmentation progressive, peu d’éléments sont révélés sur la vie quotidienne de ces jeunes. La plupart du temps, dans les médias, la femme musulmane n’est que l’égérie d’une tenue islamique. Celle qui dérange. Dépouillées de toutes particularités, elles incarnent tout aussi bien des sujets figés, aux rôles cloisonnés, uniformes, au sein de leur propre communauté. Aujourd’hui, internet ouvre le champ à une multitude de discours et de trajectoires permettant d’émanciper une réalité muette.
Sur la toile, de nombreuses blogueuses musulmanes livrent un récit loin des idées reçues. La voix de leur expérience vient contrecarrer les a priori qui existent tant au sein de leurs propres cocons communautaires qu’au sein de la société dans son ensemble. Dans son article pour le journal « The Telegraph », Ali Waheed, journaliste indépendant, faisait la promotion de ces auteures atypiques originaires de Grande-Bretagne.
Quand on a peur des représailles de la communauté ou de souiller l’honneur de la famille, franchir le cap du témoignage s’avère être une tâche ardue. Pourtant, elles l’ont fait. Non seulement ces blogueuses brisent des tabous autrefois balayés sous le tapis, mais elles font également le choix de lever le voile sur leur anonymat. C’est à découvert que les jeunes femmes mettent le doigt sur des sujets « touchy » comme le sexe, le divorce ou leur orientation sexuelle. La technologie a permis à toute une poignée de blogueuses musulmanes de créer des plateformes et d’explorer des questions plus profondes qui découlent de leur patrimoine culturel et religieux.
Au-delà d’un sentiment d’appartenance collective, c’est le versant individuel qui prime dans leurs témoignages. Retracer leur parcours est aussi un moyen de raconter la vie d’autres femmes musulmanes qui peinent à affirmer leurs multiples facettes intimes. À travers son blog du nom de « Five Pillars and Six Colours », Myriam Din concilie son identité religieuse, culturelle et sexuelle. L’auteure se définit comme étant gay, féministe et musulmane. Elle témoigne au journal « The Telegraph » : « Les réseaux sociaux sont, dans l’ensemble, un espace sûr pour moi. La négativité y pénètre que rarement. Cependant, tout comme dans la vraie vie, il y a des moments où ça arrive. J’ai affronté le racisme et l’islamophobie de la communauté non-musulmane et l’homophobie au sein de la communauté musulmane. Toutefois, mes expériences ont été largement positives. Les femmes musulmanes sont désormais ouvertes sur elles-mêmes, car nous en avons assez. Assez d’être réduites au silence tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la communauté musulmane ». Selon Myriam, de plus en plus de femmes musulmanes prennent la parole. « Entre la vague constante de l’islamophobie à travers l’Europe et les politiciens qui pensent à notre place sans nous consulter – comme l’interdiction du voile islamique en public – il n’est vraiment pas difficile de voir pourquoi les femmes musulmanes prennent la parole », affirme la jeune musulmane.
Myriam Din n’est qu’une blogueuse parmi tant d’autres. Pour elle, un blog comme le sien est par nature militant simplement parce qu’il existe : « Dans un monde qui voit les femmes musulmanes comme opprimées et marginalisées, la visibilité est un acte radical et politique, qui dit sans vergogne que nous aimons ce que nous sommes et ce que nous représentons ».
Je suis donc j’existe
Avant de mettre un visage sur les mots balancés sur le web, Mehreen Baig, une enseignante du nord de Londres n’était qu’une blogueuse sous X. Son blog « Queen Mehreen : Brown Girl Talks » comptabilise désormais plus de 10 000 lecteurs. « Mon blog a commencé comme un journal de mes sentiments et de mes frustrations », explique-t-elle. Celle qui confie avoir subi le harcèlement sexuel au travail, jugée pour ne pas avoir porté le hijab ou encore mise de côté pour un mariage arrangé à l’âge de 25 ans, ne cache plus ses opinions aujourd’hui. « Ma mère avait peur, car j’étais tellement honnête et franche. Mais mon blog représente mes sentiments. Je ne ressens aucune animosité envers personne, je n’incite pas à la haine ou au mépris. Si je crois vraiment que je ne fais rien de mal, je me dois de ne rien cacher ». Mehreen revendique fièrement son attachement à la Grande-Bretagne : « L’attention des médias sur la jeune fille musulmane opprimée ou sur la jeune fille musulmane qui a mal tourné (…) ne doit pas occulter la majorité d’entre nous, celles qui sont à l’aise d’être Britannique et musulmane. »
Pour Laila Ali, 30 ans, l’expérience sur la toile a des vertus thérapeutiques. Divorcée, elle a découvert un mutisme de femmes musulmanes victimes d’infidélité : « J’ai ressenti beaucoup de douleur lorsque j’ai découvert l’infidélité de mon mari. Je cherchais des sites web pour essayer de me connecter avec des personnes qui étaient dans le même bateau que moi. J’ai trouvé beaucoup de témoignages sur l’adultère et le divorce, mais aucun n’était en lien direct avec l’expérience d’une femme musulmane ». Dans la foulée, Laila crée son blog « Desi, Divorced and Damn Fabulous » dans lequel elle raconte son expérience de femme musulmane abusée en espérant aider quelqu’un d’autre. « Nous sommes fatiguées de nous faire dire comment se comporter. Ce fut l’un des moments les plus déchirants de ma vie, mais nous [divorcées] sont considérées comme « femmes répudiées ». Tout ce qui m’est arrivé a façonné la personne que je suis maintenant. Bien que le blog soit tout à fait ouvert à la critique de la communauté musulmane, inversement, il prouve que les femmes musulmanes sont fortes. On ne nous brisera pas ».
 Obscurantiste, fondamentaliste, figure moyenâgeuse, toute méprise est bonne dans la désignation de la femme musulmane par les identitaires opportunistes. Au singulier, la femme musulmane est l’emblème d’islamophobes occidentaux. Néanmoins, des voix féminines se lèvent et protestent aujourd’hui. Pour elles, il n’est pas question de conquérir leurs droits en tant que femme par l’abnégation du cadre religieux. L’émancipation est nécessaire, certes. Mais elle passera par l’élévation des consciences et la consolidation des identités multiples. Il n’y a que par cette voie qu’elles pourront être libres. Radicalement libres.
Imambajev Nikita

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