L’odeur de la fumée aux derniers niveaux de cet immeuble rappelle le drame qui a eu lieu cet été. « Je ne pouvais pas faire demi-tour, j’ai dû rester à attendre sur mon balcon, prise au piège, que les secours arrivent… Aujourd’hui, je dois vivre dans l’appartement où j’ai failli mourir». Maria*, locataire du 18ème étage de la tour HLM au 38, rue Hemet à Aubervilliers a du mal à se défaire des images de l’incendie.

Le 26 juillet dernier, à 17h00, le feu se déclare au 17ème étage du bâtiment causant la mort de quatre personnes. A l’origine : un enfant de 10 ans, laissé seul dans un appartement du 17ème étage, jouait avec un briquet et un torchon. Sur place, les secours sont précédés par les jeunes du quartier, qui commencent l’évacuation des habitants, certains étant à mobilité réduite. Halima, 45 ans et locataire du 11ème, est admirative de ce que les jeunes ont accompli : « Ils ont été très réactifs. C’est eux qui ont entendu en premier l’enfant qui a causé l’accident et qui criait au secours par la fenêtre. Ils l’ont sauvé, et ils ont tout de suite eu le réflexe d’éteindre le gaz et l’électricité avant l’arrivée des secours. »

Relogement et traumatismes

C’est le troisième incendie qu’a subi la tour, le plus violent aussi. Les quatre victimes viennent toutes d’une même famille. Au 17ème étage, M. Traoré a perdu sa femme enceinte de six mois et ses enfants âgés de 1, 4 et 6 ans. Aujourd’hui, M. Traore est parti au Mali, son pays d’origine. S’il revient en France, la mairie d’Aubervilliers indique être à sa disposition pour lui attribuer un nouveau logement, nous explique Anthony Daguet, président de l’OPH d’Aubervilliers.

En urgence, les locataires sinistrés ont été abrités quelques jours dans un gymnase. Un mois plus tard, les 14 locataires dont l’appartement a été jugé inhabitable ont été relogés par l’Office public de l’habitat (OPH) d’Aubervilliers. Deux d’entre eux ont souhaité quitter le département pour le Val d’Oise ou les Hauts-de-Seine. Les autres appartements de l’immeuble ont quant à eux été jugés habitables par l’OPH. Pour leurs locataires, un relogement n’est pas impossible, mais rare : l’étude se fait au cas par cas, et “ça prend du temps,” indique Anthony Daguet, .

Au 18ème étage, Maria*, elle, est toujours dans son appartement qu’elle a retrouvé cinq jours après l’incendie, le temps de faire les premiers travaux. Son logement a été jugé habitable par la mairie. Mais depuis le drame, la quinquagénaire doit faire face au quotidien à des crises de panique qu’elle gère à l’aide de tranquillisants. Pour la soutenir, sa sœur est venue vivre avec elle. Maria a bien été reçue par le président de l’OPH pour évoquer son souhait d’être relogée mais pour l’heure, pas de solution.

Des travaux de réparation en attente

Les traces du drame, encore visibles sur les cinq derniers étages ravagés par les flammes, en rappellent le souvenir. Pour aider les locataires à le surmonter, le centre municipal de santé donne aux habitants la possibilité d’être accompagnés psychologiquement. Le centre communal d’action sociale d’Aubervilliers apporte aussi de l’aide aux familles en difficulté sur les différents aspects sociaux de leur vie quotidienne.

Pour réparer les dégâts matériels dans l’immeuble, les premiers travaux ont été faits dans l’urgence : remplacement des portes et travaux d’étayage pour prévenir les mouvements de planchers. Des travaux additionnels sont prévus pour un coût estimé à plus d’un million d’euros. Aujourd’hui, le chantier n’est pas encore terminé, la plupart des travaux étant « en attente d’assurance, déclare M. Daguet. Nous espérons qu’ils commenceront début d’année 2019″. Mais tous les locataires n’ont pas attendu : Ali, ouvrier retraité, affirme avoir pris l’initiative de faire lui-même des travaux dans son appartement en raison des infiltrations et avoir déjà refait son plafond et ses murs.

Près de trois mois plus tard, les autres locataires sont toujours à l’hôtel

Près de trois semaines plus tard, le 19 août, c’est un deuxième incendie qui s’est déclaré au 43 rue Heurtault, dans l’épicerie de M. Singh. Ce dimanche-là, c’est un court-circuit électrique qui est en cause. Une dizaine de personnes vivaient ensemble dans un petit immeuble de deux étages destiné normalement à un bail commercial. Bilan des victimes : vingt-deux personnes blessées, sept grièvement, dont 5 enfants, et une femme de 56 ans décédée : c’est la belle-mère de M. Singh. Son épouse et d’autres habitants ont été hospitalisés pendant plusieurs semaines.

En 2004, l’immeuble avait fait l’objet d’un arrêté d’insalubrité. L’arrêté a été levé en 2014, une fois des travaux effectués, indique Soizig Ndellec, adjointe à la maire au logement, à l’hygiène et à l’habitat. «Le propriétaire du local ne possédait pas d’autorisation d’urbanisme, et comme l’accès au logement se faisait en traversant le magasin, ce n’était pas réglementaire», ajoute Loïc Boisson, adjoint au cabinet de la maire d’Aubervilliers.

Les marchands de sommeil, un problème récurrent

Dans un premier temps, l’assistante sociale a permis de loger les locataires de l’immeuble à l’Ibis Budget d’Aubervilliers. A présent, M. Singh et sa famille vivent dans un logement provisoire à La Courneuve, en attendant un logement définitif. Ses enfants sont toujours scolarisés à Aubervilliers. « Nous vivons avec ma femme, mes enfants, sa cousine et son mari,» raconte le commerçant. Les autres locataires sont toujours à l’hôtel », affirme-t-il.

Le problème est récurrent : celui des marchands de sommeil, qui ne respectent pas les normes de sécurité. Dans la ville, où 75 % des logements appartiennent à des bailleurs privés et 42% sont considérés comme potentiellement insalubres, la punition n’est pas toujours au rendez-vous, indique la mairie : « Depuis 2014, seulement quatre procédures pénales ont pu aller au bout » affirme Soizig Ndellec. «Très peu de procédures atteignent des condamnations de prison : seulement une, avec du sursis et confiscation de bien. »

Pour lutter contre le mal-logement, la mairie compte sur la mise en application de la loi Alur dès janvier 2019. Cette loi met en place un « permis de louer » document légal que délivrera la mairie ; le bailleur qui n’aurait pas sollicité ce document s’exposerait à une amende de 5 000 euros, qui irait jusqu’à 15 000€ si la location est faite malgré un avis défavorable. Autre initiative : le Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), qui demanderait en moyenne 200 000 euros par logement et jusqu’à 2 millions d’euros par copropriété. Reste à voir si les financements seront au rendez-vous.

Audrey PRONESTI

* Le prénom a été modifié

Articles liés