« D’accord, très bien Latifa, tu veux changer ton prénom ? »

Un sondage récent révèle que plus de 70% des français souhaitent que l’on réforme le droit du sol. Moi aussi j’aimerais bien qu’on le réforme mais peut-être pas dans le même sens que cette majorité. La plupart des gens croient peut-être, qu’un beau jour, quand on a résidé assez longtemps en France, un rendez-vous à la Préfecture et hop, quinze jours plus tard, le décret de naturalisation atterrit dans la boîte aux lettres.

J’avais 13 ans lorsque j’ai été naturalisée. D’abord la paperasse dont mon père s’est évidemment chargée pour moi. Beaucoup de paperasse, mais jusqu’ici rien de choquant, il s’agit de devenir citoyen d’une nation, pas adhérent d’un country club. Mais ce qui me choque aujourd’hui, c’est quand je me revois, attendant avec mes parents dans le hall du tribunal que le juge me reçoive. Je n’ai que 13 ans, je suis plutôt bonne élève, le genre de fille sage, celle du premier rang qui porte des lunettes et a peur de tout, et je me demande donc qu’est-ce que je fais là. On nous appelle, ça va être mon tour, je vais enfin comprendre.

On me fait entrer dans le bureau, mes parents sont priés de rester dehors. Et là, on m’a posé la question la plus surréaliste de toute ma vie : «Pourquoi veux-tu devenir française ?» J’en sais rien moi, je n’ai que 13 ans, 13 ans que je vis en France où je suis née, et dans ma tête, avant que mon père lance toute cette procédure, je me pensais déjà française. Comme tous les enfants de mon âge, je ne sais rien de la France mis à part le fait que la France c’est chez moi. Alors que je fixe mes chaussures, je ne trouve rien d’autre à balbutier que « Euh..je vais à l’école en France ». « D’accord, très bien Latifa me répond-on, tu veux changer ton prénom ? » Là je me suis sentie tellement importante, 13 ans et je peux décider de changer de prénom ? Je réponds « non, je garde le mien ».
Aujourd’hui dix ans sont passés mais j’y repense toujours lorsque je vais chez Starbucks et que l’on me demande mon prénom. Parce que ça me fait rire, parfois je réponds « Chantal », le vendeur me regarde, me dévisage presque. Cela ne va pas avec mon teint, mes cheveux bruns et aussi mon âge. Alors je me dis que j’ai eu raison de ne pas changer de prénom.

Je m’appelle Latifa depuis toujours, et quoi qu’on en dise, je suis française depuis toujours.

Latifa Oulkhouir

 

« Elle n’a eu aucun souci pour devenir française, parce qu’elle est issue d’une famille d’origine bretonne. »

Boucif, 42 ans
« Je suis né à Senlis, dans l’Oise. Mes parents sont nés en Algérie, dans la région de Tlemcen, et ils sont arrivés en France après 1962. Ils avaient alors une trentaine d’années. Je me suis retrouvé français d’office, et naturellement avec la double nationalité.
Par contre, la situation de mon frère a été très différente de la mienne. Il est né en France en 1960, à l’époque de l’Algérie française, et il a fait ses études en France. Son « problème » était d’être né avant 1962. Enseignant, il est resté longtemps contractuel parce qu’il n’était pas français. Il a galéré pendant une dizaine d’années avant de devenir français.

Mon copain Nasser, 43 ans, n’a pas eu ma chance lui non plus. Il est né en Algérie et il est venu en France à 6 ans. Il a fait ses études en France. Il n’était pas français et il ne pouvait donc pas passer les concours de la fonction publique. Il a pu passer un autre concours, celui d’éducateur spécialisé, et exercer ce métier. Quand il a demandé sa naturalisation, il a galéré pendant des années avant de l’obtenir enfin en juin 2013. Il vit en France depuis 37 ans
.
Ma copine Gwenaëlle, 41 ans, professeur d’éco-gestion, est née en Algérie. Quand ses parents expatriés sont rentrés en France, elle n’a eu aucun souci pour devenir française, parce qu’elle est issue d’une famille d’origine bretonne. »

Krim, 55 ans
« Je suis né à Alger, et je suis arrivé en France en 1988. J’avais alors 30 ans. J’ai aujourd’hui la double nationalité. Je suis né avant 1962 : j’étais donc déjà français. Après avoir vécu en France pendant 5 ans, j’avais le droit de demander ma réintégration et je l’ai fait. A Alger, j’ai grandi avec la culture française. L’enseignement que j’ai reçu était français. Au lycée, mes profs étaient français. On apprenait la littérature, la musique française. On étudiait aussi la langue arabe, au sens large du mot, mais c’était un peu difficile pour nous. Ma génération ne savait pas sur quel pied danser… Je me sens français.

J’ai connu des cas de refus de réintégration, dont un cas un peu particulier. Il s’agissait d’un homme divorcé dont la femme avait porté plainte car un jour de colère il l’avait giflée. Etant donné que ça lui était arrivé une seule fois, la femme avait retiré sa plainte. Malgré cela, plusieurs années après, on a refusé la réintégration de cet homme.
D’une manière générale, je pense que c’est important de respecter les différences, de respecter les règles du pays où l’on vit. Reconnaissons la richesse de ces gens qui veulent la nationalité française ».

Marie-Aimée Personne

 

« Remettre en question ce droit qui a façonné la France, c’est vouloir créer des citoyens de seconde zone »

En pleine polémique sur le droit du sol, j’essaie de faire appel à mon bon sens pour dépassionner le débat. Je jette un œil dans le rétroviseur et j’aperçois mes parents qui débarquent dans les années 1970 en France, pour accomplir leur rêve africain. Quarante ans plus tard, ils se sont donné les moyens d’accomplir ce rêve. Entre temps, ce rêve a mué. Aujourd’hui, je fais office de relève et mon rêve est français, tout comme ma nationalité, grâce au droit du sol. Remettre en question ce droit qui a façonné la France, c’est vouloir créer des citoyens de seconde zone. Je n’ai pas envie d’être le triste spectateur d’une nouvelle génération scolarisée en France qui vivra pendant une bonne partie de sa jeunesse sans patrie. J’ai du mal à me faire à l’idée que cette génération qui se sentira pleinement française devra quémander pour obtenir la nationalité.

Pourquoi serait-elle, dès le berceau, coupable des rêves de ses parents ? J’imagine le signal désastreux que cela va leur envoyer en pleine figure, « vous allez à l’école. On vous apprend à être de bons citoyens. Mais comme n’êtes pas bien nés, montrez patte blanche pour devenir français ! » La France est une terre d’immigration, elle s’est enrichie des parcours d’hommes et de femmes qui ont osé rêver une promesse : liberté, égalité et fraternité. Ils ont planté avec optimisme des graines que le droit du sol a fait germer. Le droit du sol c’est cette France généreuse, ambitieuse et juste. Le remettre en cause, c’est laisser un terreau fertile en jachère. Une devise, certes ancienne, me vient à l’esprit quand je mets un pied dans la rue, quand je regarde autour de moi, quand je suis fasciné par l’arc-en-ciel de couleur et de culture qui nous entoure. Face à ce spectacle saisissant, je me répète cette devise: e pluribus unum  – de plusieurs, un. « Plusieurs » c’est la France dans toute sa diversité. « Un » c’est ce dénominateur commun qui nous permet de faire société : la nationalité française garantie par le droit du sol.

Balla Fofana

 

« J’ai l’impression d’être pris pour un bleu, quand je vois certains élus se donner du mal à noyer le poisson de la loi du non cumul des mandats. »

Naître en France, y grandir, parler français, et se rendre compte que pour certains ces trois actes ne sont plus suffisants pour le devenir et obtenir la carte au visage noir et blanc. Depuis quelques jours, un sondage montre que 7 français sur 10 sont pour une modification de ce principe.

Il n’y a pas de réelle surprise dans l’évolution du discours de certains de nos élus. Celui de notre ancien président à Grenoble en 2010 est symbolique. La digue du tabou sur les différents degrés de citoyenneté a été rompue ce jour là.  Le concept d’un discours de plus en plus décomplexé est souvent évoqué, mais de quel complexe parle-t-on vraiment ?
En tout cas, pas du complexe de voir des fils d’immigrés nés en France obtenir leurs nationalité dans un tribunal, pas celui la. Pas du complexe de proposer de modifier le prénom dit « exotique » d’une personne qui va devenir française.

Je contemple cette proposition avec l’angle des élections municipales qui approchent tel un 21 avril. J’observe avec amusement François Fillon et Jean-François Copé se retrouver autour de la question du droit du sol, après s’être entre-déchiré en prime-time pour leur local politique rue Vaugirard.  J’ai l’impression d’être pris pour un bleu, quand je vois certains élus se donner du mal à noyer le poisson de la loi du non cumul des mandats. Je blanchis de peur quand j’imagine que pour certains d’entre eux, le durcissement du droit du sol peut être une réponse politique au marasme du pays. Je vois rouge quand je sens l’imaginaire collectif s’affoler devant l’improvisation d’un mauvais portrait-robot de l’ennemi de la nation : le banlieusard, rom, islamiste, homosexuel…

Alors faites comme bon vous semble, distinguez le Français de souche qui est, au fond, issu d’une immigration plus ancienne, des autres issus d’une immigration un peu plus récente. Continuez à nier les réalités d’un pays qui n’est plus le même que sous Clovis. Vous mourrez d’envie de débarrasser la France de ses parasites qui profitent du système. Faites le n’hésitez pas. Faites de la France une terre de distinction décomplexée des origines.  Allez jusqu’au bout de vos idées. Foncez droit devant vous. Prenez ce chemin : celui de l’appauvrissement. Je constate malheureusement qu’être français c’est aussi le rappeler à ceux qui en doute.

Saïd Harbaoui

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