Apprendre des tours de magie est à la portée de tout le monde. Pas besoin d’avoir un talent inné pour devenir le nouveau David Copperfield. Inutile, aussi, de prendre le train sur le quai 9 ¾ et de rejoindre Poudlard. Le métro fera l’affaire, direction le quartier du Marais. Cela se passe au Double Fond, un café-théâtre où se tiennent des cours de magie. Si l’établissement maintient la tradition attachée au mystère du chapeau et des cartes sous la direction de ses fondateurs Dominique et Alexandra Duvivier, il est désormais possible d’avoir un diplôme de type bac+2  reconnu par l’État. Magie pour enfants, magie des cartes, magie de scène, histoire de la discipline, mentalisme, gestion du stress sont au programme de cette formation atypique.

Une quinzaine d’élèves caressent ce rêve de pratiquer la discipline avec ce précieux sésame en poche. Ils fréquentent le Double Fond, réputé pour ses attractifs spectacles de magie. Mais cette assiduité coûte cher. En effet, pour 550 heures de formation, il faut débourser 14 850 euros (hors taxe)… Et pas de tour de passe-passe à ce niveau-là. En entrant dans le bar, on a déjà un aperçu de la spécialité de la maison. Les photos de magiciens en représentation placardées aux murs plantent le décor. Il n’est pas rare d’observer au loin des séances individuelles de tours de carte données près du comptoir. Assis sur son tabouret, Philippe attend patiemment ses élèves. Tous les mercredis et vendredis, cet ancien centralien leur donne des cours de mentalisme. Si on y trouve un certain nombre de jeunes, tout juste bacheliers ou à la fac pour la plupart, des adultes en reconversion professionnelle sont aussi présents à la table.

C’est dans une salle de spectacle, située au sous-sol de l’établissement que la leçon démarre. Les huit étudiants prennent place face à Philippe, debout devant un rideau rouge. Pas de bouquins sur la table ni d’un tableau d’ardoise pour inscrire les principaux points à aborder. Les élèves sortent leurs accessoires (cartes, tapis, cordes, ciseaux…) pour revoir leurs acquis sous l’œil bienveillant du prof de mentalisme. Si ce dernier sait se montrer taquin avec ses protégés, il n’oublie pas pour autant les vertus de la formation. « Ils doivent être des artistes, énonce-t-il. On leur apprend à faire des tours mais ils doivent aussi connaître l’histoire de la magie en général, d’où ça vient, être capable de se préparer physiquement et mentalement pour une représentation. »

La magie des cordes et le mental des cartes

C’est parti donc pour deux heures de mentalisme avec l’exercice des « Cordons du Fakir ». Ou un « Pertuis Ropes », comme dirait Philippe, avec un accent so british. Suffisant pour faire rire ses élèves et inciter Lucas, jeune bachelier scientifique de Rennes, à se présenter devant son public. Bientôt suivi par deux autres camarades, chacun d’eux prenant les extrémités de cordes distribuées pour l’occasion. « Vous voulez quoi comme objet ? », demande le Breton de 18 ans à son auditoire. Tous lui remettent alors les accessoires choisis au hasard : gilet, foulard, montres, clés et même une paire de ciseaux. Car ces objets ont leur utilité, ils seront enfilés sur les cordes selon la méthode des Cordons du Fakir. Les spectateurs sont mis à contribution durant le sketch en confiant leurs objets au magicien. Dans la peau du grand maître, Lucas, qui malgré sa bonne volonté, n’arrive pas à exécuter ce tour consistant à libérer un par un les objets emprisonnés.

« La corde lui a échappé, c’est pour ça qu’il n’a pu faire son tour », commente un autre élève, Dylan, 22 ans, qui suit des cours de ce type depuis dix ans à Nice. La tentative de Lucas aura fait sourire Jean-Christophe, l’un de ses partenaires. « Fanfaron mais pas conquérant, raille-t-il. T’es allé au combat comme un chevalier ». Après plusieurs échanges de vannes, c’est au tour de Philippe de livrer ses impressions : « Tu ne maîtrises pas bien ce tour, il y a des choses à revoir. Le point positif, c’est que tu t’exprimes avec beaucoup plus de force et d’assurance que d’habitude. Il faut que tu mettes les rieurs de ton côté, trouver des choses à dire et ne jamais perdre le contact avec tes deux partenaires ». Un état d’esprit indispensable à l’exercice du métier. Et ça, Lucas en est bien conscient. « Je me suis inscrit aux cours pour devenir magicien de close up. C’est de la magie de proximité qui consiste à se produire très près des spectateurs. Je pourrais ainsi intervenir dans certains restaurants ou cabarets, par exemple. »

Après avoir expliqué la méthode des Cordons du Fakir, c’est au tour des cartes de Zener de sortir du chapeau de Philippe. Vingt-cinq cartes comportant les symboles formés d’un nombre de lignes croissant : cercle, croix, vagues, carré, étoile à cinq branches. Conçues pour tester la clairvoyance d’un spectateur, « un phénomène de transmission de pensées ». Deux nouveaux volontaires sont désignés pour la démonstration. L’un d’eux, Patsy, endosse le rôle de « caution scientifique ». Cette intermittente du spectacle quinquagénaire a choisi de retourner sur les bancs de l’école pour élever son niveau. « Je veux travailler dans les hôpitaux pour donner du rêve aux enfants malades. Je suis contente d’être avec des jeunes. Ils ont peu d’expérience, ça me booste à fond. Et puis, je suis la seule femme du groupe », sourit-elle. Il n’en faut pas plus pour que Patsy, avec son côté boute-en-train, se prête volontiers au jeu. Calepin et stylo à la main, Patsy se charge de retranscrire les réponses de Jean-Christophe. Elle épaule Philippe qui joue le croupier chargé de tirer les cartes retournées. Le troisième protagoniste, Jean-Christophe, doit deviner les symboles inscrits sur chacune d’elles.

Une concentration extrême est requise. Mais Jean-Christophe maîtrise l’exercice sans effort réussissant à deviner les symboles. Ce qui fait réagir Philippe, amusé par la performance de son poulain. « Il faut que j’appelle l’Université de Duke pour qu’il te recrute », plaisante le prof, faisant référence à l’établissement américain, référence en matière de mentalisme.

Le cours de mentalisme se termine. Les élèves rangent leurs tables, l’air satisfaits de la séance. Devant les conseils et encouragements de Philippe, ils sont plus motivés que jamais pour terminer leur cursus et décrocher le diplôme. Philippe, lui, espère la reconnaissance de la discipline : « Dominique Duvivier a toujours soutenu que la magie devait être enseignée dans les écoles. Nous voulons que la magie soit considérée à la fois comme un art et une profession ». La carte est désormais dans le camp des étudiants du Double Fond…

Fleury VUADIAMBO

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